Des armées de faitouts, magiquement assemblés, qui se transforment en escarpins géants de Cendrillon glam, des cuillères et des fourchettes en plastique qui tissent un somptueux « Cœur rouge indépendant »…
Les sculptures de Joana Vasconcelos, qui investissent le Château et ses jardins à partir du 19 juin, changent notre regard sur le décor versaillais qui les accueille. Rencontre avec la jeune artiste portugaise.
Que voulez-vous apporter au public qui verra vos œuvres ?
J’aimerais lui montrer que Versailles continue à faire partie de l’imaginaire contemporain et que la culture d’aujourd’hui s’accorde bien avec ce lieu.
La métamorphose des objets du quotidien est une constante dans votre travail…
Plus que les objets, ce sont des concepts que je recycle. J’aime faire vivre des formes dans d’autres lieux, leur faire prendre un autre sens. Je me souviens d’une femme qui était venue me voir après la visite d’une de mes expositions et m’avait dit : « J’ai adoré votre chaussure faite avec des marmites, grâce à elle, je vais voir ma cuisine autrement. »
Que signifie Versailles au XXIe siècle ?
Versailles symbolise le virage qui a mené de la monarchie à la République. C’est aussi un lieu synonyme de luxe. Là où s’exprime le goût le plus exquis, les techniques les plus raffinées. Le luxe pour moi est un concept qu’on adapte à sa réalité, en fonction de ses moyens. Ce n’est pas de l’élitisme.
Quelles matières allez-vous privilégier dans vos œuvres ?
La matière, c’est Versailles. Les œuvres seront intégrées à l’architecture. Je ne veux pas faire de la décoration. Je veux jouer avec l’espace, faire changer le regard.
Avez-vous été surprise quand on vous a proposé de venir exposer à Versailles ?
En visitant l’exposition de Takashi Murakami, je m’étais amusée à imaginer comment je pourrais faire fonctionner mes créations dans les salles. Versailles est une référence pour moi. Mon travail appartient à la culture artistique du Château. Versailles a été un lieu hyperbranché, d’intense création, qui a concentré les gens les plus intéressants de l’époque. Les artistes ont toujours travaillé pour des centres importants… Et cela continue aujourd’hui.
Vous dites que la dimension politique de Versailles vous intéresse…
Le Château était un endroit coupé du monde réel et cette situation s’est conclue par une chute. N’est-ce pas ce que nous vivons dans notre société secouée par la crise économique ? L’histoire nous dit qu’il faut que nous changions de modèle. Je pense que l’artiste peut regarder le passé et attirer l’attention de ses contemporains sur les événements qui s’y sont déroulés.
« Le Château est un endroit exquis, merveilleux, féminin, que je voudrais continuer à faire exister en tant que tel. »
Vous êtes une femme artiste et vous le revendiquez. Versailles était-il un système dominé par les hommes ?
Absolument pas. Les femmes ont façonné Versailles, « backstage ». Beaucoup ont laissé leur empreinte. Elles ont assuré une continuité. J’ai appris que dans la chambre de la Reine, dix-neuf enfants sont nés ! Les hommes ne sont pas dans cette permanence. Ils sont là pour imprimer la marque de leur pouvoir. Je viens un peu à Versailles pour poursuivre le travail de ces femmes. Le Château est un endroit exquis, merveilleux, féminin, que je voudrais continuer à faire exister en tant que tel.
Ce Château, énorme symbole historique et artistique connu dans le monde entier, vous intimide-t-il ?
Quand on m’a fait visiter le Château, j’étais accompagnée d’une responsable de la surveillance qui ouvrait les portes avec de grandes clés. En la voyant faire, je me suis sentie tout de suite intégrée. Je connais un peu ce métier, j’ai été chef de sécurité dans une discothèque. Versailles, ce sont des gens qui travaillent au quotidien pour entretenir et rendre accessible un site historique. Ce que je veux faire, c’est venir travailler aux cotés de tous ces professionnels pour offrir au public la meilleure visite possible. Et montrer au monde ce qu’est la culture européenne.
Joana Vasconcelos en 5 dates :
1971 : Naissance à Paris
1989-1996 : Études à Lisbonne, à l’Ar.Co, Centro de Arte e Comunicação Visual.
2005 : Succès et scandale à la Biennale de Venise, où elle expose A Noïva, un chandelier réalisé à partir de 25 000 tampons.
2006 : Création de Madame du Barry, une sculpture en ciment recouverte de crochet de laine fait main, emblématique de son travail qui mêle matériaux du quotidien et techniques artisanales.
2012 : Invitée de l’exposition annuelle d’art contemporain au château de Versailles.
EXPOSITION
Vasconcelos Versailles
du 19 juin au 30 septembre 2012
Château et jardins, de 9 h à 18 h 30
À LIRE :
Hors-série Beaux-arts Magazine : Vasconcelos Versailles, broché, 44 p., 8,50 €