Par sa démesure et les multiples références aux grands modèles d’une Antiquité impériale et mythologique, Versailles put être qualifiée de « Nouvelle Rome ». En plus de deux cents œuvres, l’exposition “Versailles et l’Antique” retrace cet ancrage de la monarchie versaillaise dans ce passé à la fois retrouvé et fantasmé, mis au service de la gloire du monarque.
Alors que le Moyen-Âge se méfiait de la mythologie paganiste de l’Antiquité, la Renaissance la regarde de nouveau avec fascination. En Europe, se développe un culte d’une Antiquité mythifiée, qui mêle divinités et mortels héroïques. Les progrès de l’imprimerie permettent une large diffusion des grands écrits antiques dans les corps d’élite de l’époque. La géométrie d’Euclide, l’architecture de Vitruve, la vie des empereurs par Suétone, la géographie d’Hérodote, les mythes helléniques d’Ulysse et Énée… Ces classiques, et bien d’autres encore, s’imposent aux gentilshommes, architectes, poètes, artistes et hommes politiques comme des références incontournables.
À Versailles, le culte de l’antique est si présent que certains qualifient le lieu de « Nouvelle Rome ». En 1661, alors âgé de 23 ans, Louis XIV entreprend ce que l’on pourrait appeler la première métamorphose romaine de Versailles : le relais de chasse de Louis XIII construit sur une colline marécageuse devient une résidence royale somptueuse, où les palais et leurs jardins constituent un univers dominé par la figure d’Apollon, qui règle les heures du jour, les saisons de l’année, les tempéraments humains. Dieu solaire et inspirateur de l’image du Roi soleil, appelé aussi Phébus, patron de la musique et des arts, il règne sur la mythologie du lieu. La rhétorique antique versaillaise n’est pas, d’ailleurs, un simple habillage lié à la familiarité avec les auteurs latins et grecs de l’époque : le souverain compte retranscrire en langage romain, la puissance nouvelle de l’État qui, aux lendemains des désordres de la Fronde, affirme sa force et ouvre une ère culturelle nouvelle. Les décors de Versailles et de Marly mettent en scène les dieux et les héros de manière à ce que ceux-ci soient associés à la figure royale ou à son action. En 1686, l’historiographe du Roi Guyonnet de Vertron le traduit parfaitement en faisant du Roi rien de moins que la synthèse des divinités gréco-romaines :
« Peu s’en faut Sire, que je n’appelle Votre Majesté le nouveau Panthéon, puisque sa personne sacrée renferme les perfections des divinités du paganisme, l’intelligence de Saturne, la puissance de Jupiter, la valeur de Mars et l’éclat d’Apollon. »
Le Roi semble vouloir entrer aussi dans la mythologie des grands hommes de l’Antiquité. L’identification aux héros des « Vies parallèles » de Plutarque (v. 46 – 125 apr. J.-C.), recueil de l’un des auteurs romains les plus connus à la Renaissance, transparaît en particulier dans les décors des Grands Appartements. Les Vies parallèles rassemblent des couples « moraux » de personnages illustres de l’Antiquité qui n’ont pas forcément vécu à la même époque, mais qui correspondent par certains traits de leur caractère. De ces correspondances, devait surgit le spectacle de la beauté morale qui engendre l’émulation. Par exemple, dans les voussures de chaque salon – excepté le salon de Mars –, quatre grands hommes sont peints, réunis deux à deux comme chez Plutarque. Chaque couple illustre l’une des vertus attachées à la divinité planète qui préside à la salle : prudence et secret dans le salon de Saturne, justice et piété dans le salon de Jupiter, magnificence et magnanimité dans le salon d’Apollon…
Avec son ministre Colbert, Louis XIV met en oeuvre une politique culturelle spectaculaire pour acquérir et faire venir à Versailles ce qu’il y a alors de plus beau en Italie. Au début de l’année 1666, est fondée une nouvelle Académie d’art à Rome, pour permettre aux jeunes artistes français de jouir des mêmes privilèges que les Italiens. Les élèves architectes réalisent des plans et travaillent à la reconstitution des bâtiments, tandis que les élèves sculpteurs exécutent des moulages en plâtre ou des reproductions en marbre des plus célèbres statues pour les jardins de Versailles. L’antique est alors une source féconde et stimulante dans laquelle vont puiser l’ensemble des artistes du chantier de Versailles. Les modèles antiques universellement connus, notamment par la gravure, sont assimilés et réinterprétés. Les grands artistes de l’époque – Le Bernin, Poussin, Rubens – se réapproprient les modèles les plus célèbres avec une telle passion que certaines de leurs oeuvres égalent, voire surpassent les originaux.
Sous Louis XV et Louis XVI, la fascination pour l’antique se poursuit. En 1725, Marie, fraîchement mariée à Louis XV, raconte à son père comment elle apparaît, auprès de ses courtisans versaillais, comme une déesse : « Je subis à chaque instant, écrit-elle, des métamorphoses plus brillantes les unes que les autres ; tantôt je suis plus belle que les Grâces, tantôt je suis de la famille des neuf Soeurs ; hier, j’étais la merveille du monde ; aujourd’hui, je suis l’astre aux bénignes influences. Chacun fait de son mieux pour me diviniser et sans doute demain je serai placée au-dessus des Immortels. » Une transposition mythologique courante à la cour de Versailles qui n’est pas sans évoquer les Métamorphoses du poète latin Ovide (1er siècle apr. J.-C.), devenu un « best-seller » au XVIIe siècle et dont les récits mythologiques ont inspiré de nombreuses statues dans le palais et les jardins de Versailles. Ce recueil dépasse le simple horizon du récit mythologique pour énoncer aussi la philosophie d’un ordre du monde, immuable sous l’apparence d’une perpétuelle mutation. Depuis la création du monde jusqu’à la métamorphose de Jules César en étoile, Ovide utilise le mythe au service d’une explication de la nature des choses et ouvre la voie à un nouveau discours culturel d’influence antique, dont Versailles est l’écho, en plein coeur de l’État moderne.