Les Carnets de Versailles rendent hommage à une grande figure de la philanthropie américaine, sans qui le domaine de Versailles ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
Il faut imaginer la visite de John Davison Rockefeller Jr à Versailles, pendant l’été 1923. Guidé par l’ancien ambassadeur en Russie, Maurice Paléologue, Président de la Société des Amis fondée seize ans plus tôt pour sauver le domaine royal de la ruine et d’un oubli programmés, il se promène dans un parc à l’abandon. Il pleut dans le Château et l’on perd les traces de certains bosquets. Le Hameau de la reine est sur le point de s’écrouler. En fait, tout a empiré depuis sa dernière visite dix-sept ans plus tôt. Le célèbre journaliste Eugène Tardieu s’alarmait déjà en 1907 dans l’Écho de Paris, de l’état pitoyable du Petit Trianon qui, ouvert à tous les vents, servait d’abri aux voleurs et aux vagabonds. Mais à l’époque, le Gouvernement avait bien d’autres soucis : la guerre menaçait.
Aujourd’hui, en cet été 1923, la guerre est passée mais elle est encore dans toutes les têtes. Les liens entre la France et les États-Unis se sont renforcés. Les Français ont découvert la générosité des Américains qui ont partagé leurs souffrances. La France dans cet après-guerre, aussi, est à la mode. Paris fait rêver et les images brillantes de Versailles inspirent les décorateurs outre-manche. John D. Rockefeller a quarante-neuf ans. Philanthrope raffiné, il n’a jamais cessé d’admirer l’influence culturelle de la France. Il est impressionné par les chefs-d’œuvre français. Il constate que la France, dans le désastre de la guerre, n’a pas les moyens d’entretenir son patrimoine prestigieux. C’est à ce titre qu’accablé par ce qu’il voit à Versailles, il écrit au Président du Conseil Raymond Poincaré, pour « solliciter le privilège » d’aider à la restauration de certains monuments français en péril : la cathédrale de Reims, le château de Fontainebleau et Versailles.
Aussi discret qu’il est généreux, John D. Rockefeller Jr est aussi un homme d’affaires efficace et déterminé. Il « suit » ses chantiers et Versailles est un chantier gigantesque. On le devine impatient. Trois donations successives, en 1923, 1927, 1932, évaluées à quelques trente-cinq millions de francs permettent d’accomplir les réfections indispensables et « réveillent » les responsables français : Versailles ne sombrera pas alors que, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, certains se demandaient trivialement au début du XXe siècle, « quoi en faire ».
Le 30 juin 1936, cet homme qui aime profondément la France et qui ne manque jamais de saluer l’esprit, le courage des Français et leur attachement à leur pays, inaugure les restaurations qu’il a permises. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay, dévoile une plaque en son honneur. Dans son discours, John D. Rockefeller Jr donne une jolie définition du mécénat : « ce que je dois faire, ce n’est pas ce que les autres font, c’est ce que les autres ne peuvent faire. »
Depuis, des millions de visiteurs sont passés devant cette plaque. Certains n’y prêtent pas attention. Très souvent, les Américains s’y arrêtent parce qu’ils savent ce que les mécènes de leur pays font, à l’exemple de ce premier grand bienfaiteur, pour le château. D’année en année, la Société des Amis que préside désormais Catherine Hamilton, contribue à faire revivre le Palais qu’un des leurs a voulu sauver d’un lent déclin. Ce lien qui ne se défait pas, c’est beaucoup plus qu’un soutien financier, c’est l’histoire qui s’écrit dans l’Histoire : l’histoire américaine de Versailles.
Catherine Pégard,
Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles