250 chefs-d’œuvre du Trésor du Saint-Sépulcre de Jérusalem s’exposent dans les salles des Croisades au Château de Versailles
ainsi qu’à la Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry.
Chateaubriand aurait-il pu imaginer qu’un jour l’ermitage dans lequel il s’installa en 1807, à son retour d’Orient, accueillerait des peintures provenant des collections des Franciscains de Terre Sainte, dont il a laissé un portrait si émouvant ? Davantage : aurait-il pu imaginer que son projet de conduire la restauration de la basilique du Saint-Sépulcre, gravement endommagée en 1808 par un incendie, trouverait une sorte de lointain écho dans les restaurations de peintures et de pièces d’orfèvrerie exposées dans les salles de Croisades du Château comme à la Maison de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups ?
Réunie au fil de siècles qui ne lui ont pas épargné leurs vicissitudes, la collection d’œuvres d’orfèvrerie, de paramentique (vêtements, coiffes, tentures, parements et ornements utilisés dans les liturgies religieuses) ainsi que de peintures des Franciscains de la Custodie de Terre Sainte a bien la valeur d’un trésor ; par sa nature mais surtout par sa destination : les sanctuaires et les cultes célébrés dans ces sanctuaires. Le trésor latin (catholique) des Lieux saints de Palestine, principalement Jérusalem, Bethléem et Nazareth.
Gages ou témoignages de foi et de piété, selon des formules consacrées ; fines pointes de l’art suscitées par la munificence des donateurs catholiques, certaines des pièces mises au jour sont les débris uniques de collections que l’on pouvait penser entièrement disparues. Somptueux produits de somptuosités, lampes, calices, vêtements… tendent vers la promesse recelée dans la vacuité du « seul tombeau qui n’aura rien à rendre à la fin des siècles » (Chateaubriand) : objets de dépense, de dépense et de luxe, de luxe pour Dieu. Ces chefs-d’œuvre de l’art religieux, réalisés du XVIe au XIXe siècle, sont un remarquable panorama de l’orfèvrerie et de la paramentique européennes (quelques-uns viennent d’Amérique du Sud). Ils n’ont, pour la plupart, jamais été présentés au public dans une exposition ; enfin, ils revêtent parfois un caractère d’unicum [unicité] qui ajoute encore à leur valeur intrinsèque.
Ces objets introduisent également à une histoire heurtée, où les intérêts de prestige liés à la compétition européenne ont revêtu une place considérable. Les chrétiens, auxquels les redditions successives de Jérusalem avaient, en vertu du droit islamique, laissé l’usufruit de leurs propriétés, pouvaient y célébrer, y accueillir les pèlerins, et avaient également la charge de les entretenir. Bientôt, au XIVe siècle, la catholicité confia aux Franciscains la garde, au milieu du monde musulman, du Saint-Sépulcre. Le protectorat des Lieux saints était un enjeu européen, et l’histoire – dont tant d’aspects demeurent encore à éclairer – de la constitution de ce trésor appartient à l’histoire tout court.
Il est de coutume de dire que, globalement, les hommes venaient pour la plupart d’Italie, que l’argent venait principalement d’Espagne et que la diplomatie était surtout française, héritière de l’« amitié » scellée par l’« alliance impie » contractée par François Ier et Soliman le Magnifique pour faire pièce aux Habsbourg (les splendides présents envoyés par Louis XIII et Louis XIV à Jérusalem s’inscrivent dans ce sillage). Mais, tout au long des siècles, les Franciscains de la Custodie de Terre Sainte, tout en étant attentifs à la situation européenne, ont réussi à éviter de se lier à un protecteur unique et ont su conserver à cette institution un caractère international qui prévaut aujourd’hui encore.
Les Frères mineurs pouvaient également voir dans ces présents qui leur étaient fait, sans que pour autant ils en eussent été enrichis, un hommage éclatant rendu au lourd tribut qu’ils ont acquitté comme aux privations qu’ils ont endurées dans l’exercice de leur apostolat. Mais sans doute leur véritable trésor a-t-il de tout temps et est-il toujours ailleurs, cependant. Il nous est arrivé, commissaires ou experts, durant la préparation de cette exposition, que des Frères nous parlent avec chaleur de l’hommage que leur a rendu Chateaubriand dans des pages vibrantes de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem ou des Mémoires d’outre-tombe. On aimerait qu’ils ressentent, à travers cette exposition ainsi que dans le livre qui l’accompagne, une continuation de cet hommage.
Bernard Degout,
Commissaire général de l’exposition et directeur de la Maison de Chateaubriand
Exposition réalisée en partenariat avec le Conseil général des Hauts-de-Seine
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°3 (avril-septembre 2013)
L’histoire du Saint-Sépulcre en 5 dates
33 (env.) Jésus est crucifié à la marge de la grande ville juive. C’est sur ce lieu que repose désormais le Saint-Sépulcre
150 (env.) Les Romains construisent un temple dédié à la triade capitoline (Jupiter, Junon, Minerve) sur le lieu même de la crucifixion.
330 (env.) Constantin arase le temple, alors que Jérusalem commence à attirer les premiers pèlerins chrétiens. L’Empereur, puis ses successeurs, construisent des bâtiments à la mémoire du Christ et esquissent un parcours pour les fidèles.
614 La ville est mise à sac par les Perses, le sanctuaire rasé. Les pèlerins continuent néanmoins à venir.
1050-1180 (env.) Le sanctuaire est reconstruit en conservant, autant que possible, la structure et les proportions de la basilique élevée sous Constantin. Une série de chapelles s’ajoute (certaines ont aujourd’hui disparu). Les Croisés agrandissent ensuite l’édifice et unifient l’ensemble sous le toit d’une vaste basilique de style romano-gothique.
Trois chefs-d’œuvre à ne pas manquer
L’Étoile de Bethléem (1739)
« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent […] : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à son lever et nous sommes venus lui rendre hommage.” » (Matthieu 2. 1-2) Pour les Chrétiens, l’Étoile de Bethléem apprend aux Rois mages la naissance de Jésus. L’objet, présent des souverains de Sicile, est composé d’un disque de porphyre rouge antique irrégulièrement découpé, enchâssé dans une monture d’argent. Le nom de cette roche magmatique, dérivée du pourpre, évoque le sang du Christ. La partie centrale de la monture prend l’apparence d’un cadre partiellement doré. Il est orné de frises concentriques en moulures appelés godrons, de motifs de fleurs et de fruits, de rinceaux et de rocailles disposées de part et d’autre de l’inscription latine. Deux cartouches, l’un figurant l’Enfant Jésus dans la crèche, l’autre portant le monogramme couronné de la reine Marie-Amélie complètent la composition. La partie périphérique de la monture présente des motifs rayonnants de lambrequins, imitations de longs rubans d’étoffe ornés de têtes d’anges, de fleurons, de coquilles et de rocailles.
L’Adoration des bergers (vers 1630)
Pièce maîtresse de la collection de la Custodie de Terre Sainte, offerte par l’Espagne. Le peintre s’inspire de l’Évangile de Luc : « Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux : “Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître.” Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. » (Bible de Jérusalem, Luc, II, 16-17). L’œuvre est caractéristique du Maître de l’Annonce aux bergers, figure de la peinture napolitaine encore mystérieuse : composition équilibrée, rejet de l’appareil théâtral baroque compensé par une intensité dramatique des expressions, rendu naturaliste et individualisé des figures et des chairs ; une palette qui renvoie autant à Caravage qu’à Ribera. Les bergers, Joseph et l’agneau, forment une courbe autour de l’enfant et de la Vierge. L’œuvre est riche des symboles christiques habituels : l’Enfant est présenté par la Vierge sur un linge préfigurant le linceul. L’agneau déposé aux pieds de la Vierge, fait référence à l’Agneau du sacrifice. Joseph, à droite, s’incline et fait un geste d’acceptation.
L’Ornement pontifical de Louis XIII (1619)
Composé de quatorze pièces, cet ensemble est le plus ancien ornement d’origine française actuellement conservé dans les couvents des Franciscains, où il est parvenu en 1621. Malgré des retouches regrettables qui ont dénaturé l’ensemble, les fleurs de lys considérées individuellement, les colombes du Saint-Esprit planant sur les nuées ou sur la grande croix de l’antependium, les galons brodés à fleurs de lys, ainsi que les textes subsistants donnent une idée du faste de l’ornement offert par Louis XIII. En dessous de certains détails, on aperçoit également le fond d’origine, une soierie blanche lamée d’argent.
Les salles des Croisades
Les salles des Croisades, qui accueillent l’exposition Trésor du Saint-Sépulcre, constituent l’un des éléments du projet politique que Louis-Philippe met en œuvre à partir de 1833 en transformant une partie du château de son cousin Louis XVI en musée d’Histoire de France.
5 500 œuvres (peintures et sculptures) y déroulent le grand roman des héros nationaux depuis Clovis jusqu’à l’avènement du roi des Français, en 1830. Inaugurées en 1843, les cinq salles évoquent par la peinture les huit expéditions de la noblesse française au Proche-Orient entre le XIe et le XIIIe siècle. Par cette mise en valeur des faits d’armes de la dynastie capétienne en Terre Sainte, Louis-Philippe tente de séduire la vieille noblesse d’épée légitimiste qui voit en lui un usurpateur.
La création de ces salles est née du cadeau diplomatique que le prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe, reçoit, en 1836 de la part du sultan de l’empire ottoman Mahmoud II : une porte en cèdre sculpté provenant de l’hospice des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem sur l’île de Rhodes, en Grèce. Pour mettre en valeur ce présent, l’architecte Nepveu surélève la grande porte des chevaliers et l’inclut dans un mur de la cinquième salle, encadrée par deux toiles. Le sculpteur Plantar complète la porte et s’inspire de sa partie supérieure pour réaliser les dessus-de-porte des salles, écrin de boiseries parsemées des blasons des familles ayant participé aux Croisades.
Le style néogothique de ces décors est le résultat d’un mouvement de redécouverte du Moyen-Âge par les artistes, sous le Consulat et l’Empire. Au style troubadour de l’Impératrice Joséphine qui déploie une vision épique de l’époque médiévale, succède une démarche plus érudite, à partir des années 1830, où les artistes ambitionnent de produire une véritable peinture d’histoire qui exalte l’héroïsme et la grandeur. Parmi les peintres sollicités pour les salles des Croisades, on retrouve Ary Scheffer et Horace Vernet, deux artistes appréciés par Louis-Philippe. Bien que le roi n’aimât pas sa peinture, Delacroix a reçu la commande de L’Entrée des Croisés à Constantinople (parti au Louvre en 1883 et remplacé par une copie d’époque). D’autres peintres, oubliés aujourd’hui, mais qui à l’époque jouissaient d’une notoriété équivalente à Vernet ou Delacroix sont encastrés dans les boiseries des salles : Blondel, Mauzaisse, Odier, Picot, de Caisne, Laemlein… Mais les remous de l’histoire vécue et vivante sont venus perturber l’histoire peinte et figée. La Défense de Rhodes de Wappers a été terminé par son auteur alors que la Révolution de 1848 éclate. Le cartel pour l’accueillir était en place, mais le tableau ne fut jamais accroché. Ce n’est qu’en 1996 qu’il arrive au château. Face au tableau de Delacroix, on devait aussi trouver un Scheffer qui fut seulement esquissé par l’artiste mais jamais livré. C’est La bataille de Las Navas de Tolosa, de Vernet (1817), accroché provisoirement dans la salle, qui est resté depuis en place.
François Appas,
Responsable des visites conférences au Château
À VOIR
Trésor du Saint-Sépulcre, présents des cours royales européennes à Jérusalem
Du 16 avril au 14 juillet 2013
Château de Versailles, salles des Croisades
horaires : 9h-18h30 ; dernière admission 18h
Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry
horaires : du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 18h, le dimanche de 11h à 18h.
À LIRE
Le catalogue de l’exposition, éd. Silvana Editoriale (dir. Bernard Degout), 416 p., 39 €