La France et la Chine célèbrent cette année le 50e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, depuis la reconnaissance de la Chine populaire, le 27 janvier 1964. Mais les relations culturelles et diplomatiques entre les deux pays remontent bien au-delà de cette époque, comme en témoignent les chefs-d’œuvre exposés dans l’exposition « La Chine à Versailles art et diplomatie au XVIIIe siècle », du 27 mai au 26 octobre.
La Chine à Versailles ne va pas de soi. Pourtant, dès le règne de Louis XIV, des liens nourris d’admiration et d’intérêt réciproques furent tissés entre le royaume de France et l’empire du Milieu, liens qui se concrétisèrent par de nombreuses découvertes mutuelles et se prolongèrent jusqu’à la Révolution française. Dès les années 1670, la famille royale et la cour, à Versailles comme dans les résidences royales d’Île-de-France, montrèrent un attrait très grand pour tout ce qui venait de Chine et qui était, aux yeux de tous, paré de rareté et d’exotisme.Le 15 septembre 1684, Louis XIV reçut fastueusement à Versailles un jésuite flamand, le père Philippe Couplet, accompagné d’un jeune Chinois converti au christianisme, nommé Shen Fuzong, qui piqua la curiosité de toute la cour. Le père Couplet avait passé de nombreuses années en Chine et venait chercher de l’aide pour renforcer les missions jésuites. Convaincu par ses arguments, en 1685, Louis XIV envoya en Chine, sur sa cassette personnelle, six Jésuites français en tant que mathématiciens du roi, munis de cadeaux à l’intention de l’empereur Kangxi, son exact contemporain. Parvenus à Pékin en 1688, cinq d’entre eux réussirent, grâce à leurs connaissances mathématiques, médicales et astronomiques, à gagner la confiance de Kangxi et à mener des travaux scientifiques et artistiques de haut niveau qui perdurèrent au siècle suivant. L’empereur, que Voltaire encensa plus tard comme un modèle de vertu, se montra particulièrement bienveillant à leur égard. L’un d’eux, le père Bouvet, fut l’un des premiers Européens à établir un parallèle entre Kangxi et Louis XIV, dans son célèbre Portrait historique de l’empereur de la Chine, paru à Paris, en 1697.
Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, la mission jésuite de France était encore très vivante, en particulier grâce au ministre Henri Léonard Bertin (1720-1792), un sinologue averti, vivement intéressé par les sciences mais aussi par les productions artistiques, agricoles et industrielles chinoises, en perpétuelle correspondance avec les pères jésuites présents en Chine. La sinologie moderne était née. Bertin, dont la figure sera largement évoquée à l’exposition, eut aussi à cœur de faire connaître la France en Chine, profitant de la situation privilégiée des jésuites auprès de l’empereur.
À cette admiration des sinophiles français pour la civilisation chinoise, s’ajoutait, à la cour de France comme chez les amateurs éclairés du XVIIIe siècle, une fascination pour les productions artistiques de la Chine. Aux XVIe et XVIIe siècles, les compagnies des Indes portugaise puis néerlandaise s’étaient chargées de diffuser en Europe des objets chinois que les marchands français achetaient à leur tour pour leur propre clientèle. Cet attrait pour les productions de la Chine fut renforcé en 1686 par la réception des ambassadeurs, envoyés à Louis XIV par le roi de Siam. Ces derniers, reçus fastueusement dans la galerie des Glaces, couvrirent Louis XIV de cadeaux. Parmi eux figuraient de nombreux objets chinois, notamment des porcelaines, des étoffes, des papiers peints et des meubles en laque, qui séduisirent la cour. Sous le règne de Louis XV, la Compagnie française des Indes orientales prit les rênes du commerce avec la Chine et fit parvenir les objets d’art chinois sur le marché français en quantités beaucoup plus nombreuses. À Paris, le commerce du « Lachinage » ou de « Lachine » était essentiellement détenu par les marchands merciers dont le plus célèbre, dans la première moitié du siècle, fut Edme-François Gersaint qui n’hésita pas à débaptiser son magasin Au grand Monarque en un plus exotique À la Pagode.
Si les souverains français, protecteurs naturels des manufactures, des artistes et des artisans français ne pouvaient montrer ouvertement leur goût pour la Chine dans les appartements d’apparat de Versailles, de nombreuses œuvres d’art chinoises ou à la chinoise figuraient dans leurs appartements intérieurs ou dans leurs résidences de campagne favorites. Ainsi, Louis XV emplit-il le petit château de Choisy, réaménagé pour lui par Gabriel à partir de 1740, de meubles en laque d’Extrême-Orient ou ornés de vernis « façon de la Chine », ainsi que de porcelaines, d’étoffes et de papiers peints chinois.
L’abondance des productions artistiques de la Chine chez les amateurs français conduisit les artistes travaillant pour la Cour à réaliser de nombreux sujets chinois. En 1742, François Boucher fournit des esquisses peintes à sujets chinois, à la manufacture de Beauvais, destinées à être reproduites en tapisserie. Une tenture chinoise, tissée à Beauvais d’après les esquisses de Boucher, fut offerte à la fin des années 1760 par Louis XV à l’empereur Qianlong. Celui-ci s’en montra très satisfait. Enfin, dès 1775, la reine Marie-Antoinette confia à son architecte favori, Richard Mique, la création d’un jardin anglo-chinois, à proximité immédiate du petit château de Trianon que Louis XVI lui avait offert l’année précédente. L’une des fabriques les plus célèbres de ce jardin était un jeu de bague chinois, à l’imitation de celui du duc de Chartres, à la folie Monceau.
Marie-Laure de Rochebrune,
conservateur au château de Versailles et commissaire de l’exposition.
Fontaine à parfum
Ce vase en porcelaine «truittée», livré en 1743 par le marchand Hébert pour la garde-robe de Louis XIV à Versailles, avait préalablement été transformé par un bronzier en fontaine à parfum. C’est à ce jour la seule pièce de porcelaine de Chine bien identifiée ayant appartenu à Louis XV.
La Chasse chinoise, par Jean-Baptiste Pater,
1736.
Le cycle des neuf chasses exotiques, dit des Chasses en pays étrangers, fut exécuté de 1735 à 1739 pour Louis XV par quelques-uns de ses meilleurs peintres pour décorer la Petite Galerie, aménagée à Versailles dans son petit appartement, au deuxième étage, au nord de la cour de Marbre. On distingue dans le tableau plusieurs fauves et, au fond, une pagode, inspirée par la célèbre pagode de porcelaine de Nankin.
Vue du jeu de bague chinois de Trianon, par Claude-Louis Châtelet, 1781-82
En 1774, la reine devint propriétaire du domaine de Trianon et souhaita voir planter, au nord-est du château, un jardin anglo-chinois. Les travaux furent confiés en 1776 à Richard Mique. La même année, on décida de construire, à proximité immédiate du château, un jeu de bague chinois, sorte de manège dont les sièges étaient constitués de paons et de dragons et dont le mat principal était orné de figures chinoises.
À VOIR :
La Chine à Versailles, art et diplomatie au XVIIIe siècle
Du 27 mai au 26 octobre 2014
Château de Versailles, appartements de Madame de Maintenon