Le magazine trimestriel Château de Versailles. De l’Ancien Régime à nos jours vous invite à découvrir, à travers un article, un aspect méconnu de l’histoire du Domaine. Ici, le château de Versailles selon Émile Zola. Extraits.
Émile Zola (1840-1902), surtout connu pour les Rougon-Macquart, a commencé par publier des contes, Les contes à Ninon, puis Nouveaux contes à Ninon qui reprenaient des chroniques de journaliste. Parmi celles-ci figurait un souvenir inattendu de Versailles, qui parut pour la première fois le 9 juin 1872, dans les Lettres parisiennes de La Cloche. Ce n’était pas la première fois que Zola écrivait sur Versailles : en septembre 1871, dans le même journal, « Une nuit a Versailles » évoquait le destin du Château après la Commune, tandis qu’en novembre, « Deux heures a Versailles » traitait des prisons et s’arrêtait sur le « va-et-vient des députés et des solliciteurs » dans la cour des Maréchaux, généré par l’installation de l’Assemblée au Château.
En apparence, le souvenir est de l’ordre de la confidence anodine, il hésite entre la fantaisie d’un conte et le ton du reportage qui traite de l’actualité : « tout voir, tout savoir, tout dire », écrivait Zola dans sa préface. Mais pour évoquer les difficultés de Thiers a contrer les manœuvres des royalistes et justifier le rétablissement de la Chambre a Paris, l’écrivain utilise l’allégorie politique et présente Versailles comme un édifice sans vie. Comme Michelet, Zola était marqué par la rupture de la Révolution française et le départ de la famille royale le 6 octobre 1789. En effet, de peur que le palais, privé de sa fonction résidentielle et gouvernementale, ne devint un lieu de dévotion, chaque gouvernement avait comble le décor vide par une nouvelle fonction. Ainsi après l’installation du musée spécial de l’École française sous le Consulat puis les velléités de Napoléon d’en faire une résidence impériale, Louis XVIII et Charles X n’y avaient entrepris que des restaurations. Il fallut attendre Louis-Philippe pour que toute l’histoire de France y trouvât place, façonnée avec l’aisance d’un dramaturge. Zola n’était pas séduit par l’architecture classique du palais. Au moment où l’écrivain faisait paraître Le Ventre de Paris, comme un hymne à la modernité des Halles de Baltard, le Château est marqué, selon lui, du signe de l’abandon et de la mort, c’était une gigantesque nécropole.
Son immensité déserte révèle « l’usure colossale de l’orgueil d’un roi, qui le voua dès l’enfance à la ruine, en le voulant trop grand ». L’auteur s’en détourne pour se concentrer sur la cour, intermédiaire entre l’intérieur qui appartient au passé et le parc, lieu de promenade dominicale des Parisiens. Face à ce tombeau se dressent les puissances de la vie qui envahissent l’espace. L’essor inexorable de la végétation conduit à ensevelir le palais abandonné. C’est la lutte de la pierre et de l’herbe, du règne minéral de l’Ancien Régime détruit par le règne végétal des révolutions et « le peuple révolté des herbes folles », selon Auguste Dezelay. D’un côté la pierre et la ruine, de l’autre la nature et la vie. La fin du XVIIIe siècle avait montré une prédilection pour les ruines réelles ou factices, anciennes, contemporaines ou futures.
Zola n’était donc pas le premier à assimiler Versailles à une ruine puisque, avant même la Révolution, Sébastien Mercier avait utilise cette métaphore dans L’an 2240 et dans les Tableaux de Paris. Versailles en ruines devint un thème littéraire du XIXe siècle, C’est la « cité des eaux » que Michelet évoquait dans son Histoire de France. Mercier relatait le retour à une scène primitive, il prédisait une disparition sans laisser de traces, l’enfouissement total. C’est l’inverse chez Zola : la ruine imaginaire, moderne, est une métaphore profanatrice. L’essor de la végétation n’est pas comme chez Mercier un effet de la ruine, c’est une puissance agissante qui ensevelit inexorablement le palais abandonné, une nécessité historique contre laquelle il est vain de lutter. Mais la fin de la monarchie n’est pas la fin de la France. Comme dans La Faute de l’abbé Mouret ou dans Germinal, Zola livrait une conception de l’histoire calquée sur le déroulement de la vie naturelle. De sa jeunesse au vieillissement, le palais est un personnage trouble, sans cesse anachronique. Quant à la Sarcleuse, l’ombre de quelque marquise, elle est le fantôme d’un Ancien Régime qui fascinait encore l’écrivain – malgré tout.
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