magazine du château de versailles

Madame de Maintenon : le rêve d’une chambre à soi – Épisode 2

Rappel du 1er épisode

À la fin d’une de ses lettres, Madame de Maintenon écrit cette boutade amère : « je suis née pour être esclave ». Si la déclaration est surprenante de la bouche d’une femme qui, d’origine modeste, finit reine de France, la lecture de ses lettres lui donne un certain crédit et trahit un de ses rêves secrets : une vie campagnarde et dévote, coupée de toute mondanité, qui se cristallise autour d’un voeu d’une simplicité enfantine : posséder une chambre à soi.

Cinquième salle de la galerie du XVIIe : en fond, Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, et sa nièce, par Louis Elle Le Jeune ; au premier plan, la statue de Louis XIV, roi de France, par François Girardon

Mariage de Louis XIV avec Madame de Maintenon, 1686 (Le Siècle de Louis XIV), Jean Michel Moreau, (1741-1814).

Mariage de Louis XIV avec Madame de Maintenon, 1686 (Le Siècle de Louis XIV), Jean Michel Moreau, (1741-1814).

Après l’épisode de « Maintenon », propriété que la marquise ne put aménager comme elle souhaitait, son rêve d’intimité resurgira sous d’autres formes : c’est l’appartement de Saint-Cyr, au sein de la fondation royale et aux portes du parc de Versailles qui pourra fournir ce supplément d’espace permettant l’activité propre, la réception de quelques intimes privilégiés avec lesquels il est permis d’être un peu moins sur ses gardes. C’est aussi l’espace effectivement conquis à Marly et nommé d’un terme que les précieuses n’auraient pas renié, « Le Repos ». En 1710, Madame de Maintenon exprime son enthousiasme à ce sujet: « J’ai quelque impatience d’y voir deux petites chambres auprès de la chapelle que le Roi me donne, pour aller me reposer quelquefois et me dérober à l’importunité des visites du matin ». Car c’est de silence et de solitude que se nourrit aussi la vie dévote. Exigence bien difficile à tenir et paradoxale dans un univers où le mot de « retraite » ne se conçoit que comme une pratique de religieuse et comme un geste définitif, au moment d’éclatantes conversions, dans le lieu clos du couvent. La tension existentielle est donc réelle qui impose de trouver les moyens d’être à soi et à Dieu au milieu des autres. Il faudrait pour cela, avoir la liberté de penser, de lire, de méditer, de pratiquer une activité continue : toutes choses impossibles dans une chambre bruyante, lieu de dispersion, où l’on se retrouve « pauvre esprit […] tiré à quatre chevaux » et alors qu’il « n’est encore que 11 heures du matin […] » la « tête déjà bandée ».
Placée au coeur d’un espace qui contrarie certaines de ses aspirations profondes, Madame de Maintenon devra aussi en éprouver l’inconfort matériel, inconfort de plus en plus pénible avec l’avancée en âge, comme elle le confie sans fard à la princesse des Ursins. Sur ce point, le trait railleur n’épargne d’ailleurs pas Louis XIV et son goût de la grandeur architecturale :

« Ne croyez pas, Madame, que je puisse mettre des paravents devant ma grande fenêtre ; on n’arrange pas sa chambre comme on veut quand le Roi y vient tous les jours, et il faut périr en symétrie. »

Vue de Marly par Pierre-Denis Martin

C’est en contre-point de cet espace réel qui interdit de s’appartenir, et qui sacrifie le bien-être minimal aux lois de l’esthétique, que se construit, en mots, un autre espace, rêvé celui-là, dans lequel il serait possible de vivre, parfois, une autre vie. La correspondance, permet ainsi par intervalles, lorsqu’elle repose sur une certaine proximité de vues ou sur une liaison ancienne avec le destinataire – le duc de Noailles, Madame de Caylus, Madame de Dangeau, Madame de Ventadour ou la princesse des Ursins –, de recréer la forme de ce lieu intime où il serait possible d’être un peu moins sur ses gardes et de goûter de nouveau les plaisirs de l’amitié. C’est bien ce plaisir projeté qui illumine, plus que le soleil, la peinture de la chambre préparée pour la venue de Madame de Dangeau à Marly en 1688 : « Le Roi vous a destiné, Madame, la chambre de Mlle d’Armagnac ; je suis venue la reconnaître, et c’est de là que j’ai l’honneur de vous écrire. Elle est au soleil levant, elle est chaude, elle est sèche, elle est vis-à-vis de mes fenêtres. Je pourrai tous les matins vous donner le bonjour, par quelque signe agréable. Vous n’y aurez à craindre, Madame, que mes importunités… »

Madame de Maintenon peinte par Pierre Mignard .

De manière rétroactive cette fois, la « chambre obscure de Marly » où Madame de Maintenon et Madame des Ursins ont construit une intimité amicale au cours de 1705, est évoquée à sept reprises dans la correspondance avec la princesse. Souvenir partagé qui pourrait n’être qu’une façon convenue de réactiver le lien distendu par l’éloignement géographique et affectif, la « chambre obscure de Marly » apparaît bien plus profondément comme l’image nostalgique d’un espace perdu où pouvaient se nouer et se développer à la fois les charmes de la conversation spirituelle et piquante et les grâces de l’amitié. Ce qui est ainsi lié, associé à cet espace est un mode d’être, celui de la conversation aisée, souplement conduite de la raillerie à la méditation morale, capacités que Madame de Sévigné reconnaissait déjà à la jeune veuve Scarron lorsqu’elle déclarait en 1672 : « C’est un plaisir de l’entendre raisonner sur les agitations d’un certain pays qu’elle connaît bien, les désespoirs […], les noirs chagrins ou les tristes ennuis des dames de Saint-Germain […]. C’est une plaisante chose que de l’entendre causer sur tout cela. Ces discours nous mènent quelquefois bien loin, de moralité en moralité, tantôt chrétienne, et tantôt politique… » Espaces réels parfois péniblement vécus, ou espaces intimes nostalgiquement revisités ou rêvés, tels que les lettres de Madame de Maintenon les suggère, sont autant d’indices de cette longue histoire de la vie privée pour laquelle l’articulation du XVIIe et du XVIIIe siècles constitue une étape importante.

C’est ici une voix féminine qui permet d’en suivre les traces dans la durée, en près de 60 années de correspondance : témoin d’une évolution que l’architecture de Versailles permettra de suivre au XVIIIe siècle avec les restructurations des appartements royaux en petits appartements, les lettres de Madame de Maintenon nouent ainsi, de manière prémonitoire dans l’histoire des mentalités, la revendication d’une forme de vie individuelle au sein du collectif, l’aspiration à une existence propre au sein du couple et plus profondément le rapport difficile à construire entre vie intérieure et vie sociale. Frémissement timide, espaces volés, entre Marly et Fontainebleau, la chambre pour lire, pour écrire, pour s’extraire de l’agitation constitue bien le contre point de la chambre ouverte à tous, toujours partagée, occupée, où tout est permanente distraction et montre combien se joue là une continuité anthropologique profonde entre les valeurs issues de la dévotion salésienne, l’aspiration à un sérieux féminin et à une existence autonome. La voix de Madame de Maintenon porte ainsi, en s’inscrivant dans une histoire de la longue durée, la revendication d’un nouvel espace, intime, que l’on pourrait appeler, sans référence anachronique à Virginia Woolf, et en donnant au mot « chambre » toute sa valeur sémantique classique, celui d’une chambre à soi.

Christine Mongenot,
Maître de conférences en littérature française Université de Cergy-Pontoise.


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