Dans le centre-ville historique de Versailles, l’ancien hôpital Richaud, édifié entre le XVIIIe et le XIXe siècle a fait l’objet d’une spectaculaire opération de réhabilitation : restauration des parties classées du monument, jardin à la française ouvert sur la ville, programme de logements et de commerces, création d’un espace culturel dans la chapelle. Entretien avec l’architecte du « carré des siècles », Jean-Michel Wilmotte.
Vous accordez beaucoup d’importance aux recherches historiques. Comment celles-ci vous ont-elles guidé pour la réhabilitation du site Richaud ?
La partie historique a été vue principalement par Frédéric Didier (architecte des monuments historiques, responsable en particulier du château de Versailles, ndlr), qui nous a beaucoup aidés. On a essayé de conserver la mémoire des lieux en ce qui concerne la circulation dans les espaces, extérieurs comme intérieurs. Nous avons restitué toutes les ouvertures, deux au Nord, une à l’Ouest, une à l’Est et une au Sud, qui permettent de rendre ce site à la ville. Pour les appartements, on a réussi à convaincre les promoteurs de garder certains escaliers, de renoncer aux mezzanines qui auraient brouillé la lecture du bâtiment. On a gardé le même rythme d’ouvertures que ce qui existait autrefois. On a simplement fortement éclairci l’ensemble. Pour l’extérieur, l’objectif était de redonner ainsi au public des espaces communs, le centre, le jardin à la française de l’hôpital Richaud ou l’esplanade devant l’ancienne chapelle. Et la gageure, c’est d’avoir pu faire en à peine deux ans et demi trois cents vingt logements ! On a réussi à intégrer des logements sociaux, la crèche, les bureaux, les commerces. On a pu faire de l’ancienne chapelle un espace où l’on va créer des évènements. Il y a une possibilité que ce lieu devienne un centre d’expositions et de culture pour la ville, que ce soit de la peinture, de la musique, etc. Versailles abrite à la fois une école de paysage, une école d’architecture, une école de musique formant de très grands musiciens. Richaud doit être le lieu qui accueille cette nouvelle culture vivante où tout se côtoie.
Vous avez habité et travaillé au Japon. Que vous a appris la tradition architecturale de ce pays ?
J’ai eu une agence pendant douze ans là-bas. Je pense que je me suis totalement imprégné du modèle de vie asiatique. De la lumière, de la transparence, des matières simples, des choses brutes et puis de la présence à la fois de l’eau et de la pierre, du bois… Pour moi, c’est une grande leçon de simplicité et d’élégance. Le travail de l’espace par les Japonais a un côté presque religieux.
« J’ai eu une agence pendant douze ans là-bas. Je pense que je me suis totalement imprégné du modèle de vie asiatique.»
En 1993, votre agence a été chargée de la rénovation intérieure du département des métiers d’art du Louvre. Cette expérience a-t-elle changé votre rapport au patrimoine ?
J’avais une idée assez particulière en arrivant au Louvre, mais en échangeant avec le directeur du département, Daniel Alcouffe 1, j’ai fait évoluer mon projet. Je suis arrivé avec l’idée d’un espace blanc permettant une présentation didactique. Puis il m’a poussé à utiliser la couleur comme un écrin pour que les œuvres d’art ressortent mieux. C’est vrai qu’une couleur bleue, bleue sombre, de certaines tapisseries au Louvre, comme celle de Scipion, c’était mieux dans une enveloppe très rouge. Il m’a un petit peu poussé dans mes retranchements pour que j’aille plus loin que les murs blancs traditionnels.
Ce type de projets qui, selon vos propres mots, « associe une écriture du passé à une écriture contemporaine », a toujours été accueilli avec une certaine méfiance. Au début du XXe siècle, déjà le grand magasin d’Adolf Loos, « la maison sans sourcils » sur la Michaelerplatz de Vienne, en face de l’ancienne église, avait provoqué un scandale. Est-ce toujours aussi difficile, aujourd’hui, de proposer cette rencontre entre contemporain et ancien ?
Je pense que cela n’a pas beaucoup évolué. C’est dommage qu’il n’y ait pas la possibilité de faire autrement que marchander, trouver des compromis. Pourtant, les immeubles contemporains face aux bâtiments historiques, donnent l’impression d’avoir toujours été là. Certains petits détails ont pu cependant être intégrés : les doubles hauteurs dans les accès, une verrière sur l’arrière de tout un bâtiment. Les chiens-assis sur le bâtiment historique ont été repris, mais dans une forme beaucoup plus contemporaine, avec des parois latérales vitrées. Finalement, c’est un petit repère, un clin d’œil à la modernité. Il est de toute façon extrêmement délicat d’intégrer l’art contemporain dans des figures comme Versailles.
À propos de modernité, vous êtes en train de rénover la Halle Freyssinet, bâtiment emblématique de l’architecture fonctionnaliste française des années 1920 : y a-t-il des points communs entre Richaud et ce chantier, sachant que ce sont tous deux des bâtiments historiques ?
Le point commun c’est le respect de ce qui a été fait. En fonction de cela, on recherche les meilleures techniques pour sauvegarder un bâtiment. Ces deux bâtiments sont des livres qui nous apprennent beaucoup sur l’histoire de l’architecture. Freyssinet était très, très en avance sur l’utilisation du béton. C’est une technique différente puisqu’on n’est pas dans la pierre de taille, mais dans un autre modèle. Les fers à béton utilisés se sont oxydés et, en se dilatant, ont fait tomber le béton. Il faut donc aller rechercher le fer à béton au coeur des poutrelles, le nettoyer, le protéger de la rouille, puis combler avec le ciment manquant. C’est un travail très difficile, en particulier pour un bâtiment de plus de trois cents mètres de long, mais c’est un projet exceptionnel. D’ailleurs, depuis que nous l’avons nettoyé de tous ses apports successifs, et qu’on retrouve la pureté de la halle d’origine, les visiteurs sont bluffés par la technologie, par l’intelligence, la finesse de ce projet.
Si différentes soient-elles, ces deux réhabilitations ne traduisent-elles pas une même mutation de nos espaces urbains, avec d’un côté un hôpital et de l’autre un hangar qui sont délocalisés hors du centre-ville au profit d’habitations, de commerces ou d’entreprises innovantes ?
Il faut s’y mettre, éviter de casser ! Il y a quarante ans, la Halle Freyssinet aurait été détruite, remplacée par des immeubles un peu standards à la place. Cela veut dire que bien sûr il faut restaurer ; c’est la première chose de sauvegarder un bâtiment, sauvegarder des pages d’Histoire, mais pas n’importe comment : en y mettant de la mixité, en les rouvrant. Des bâtiments qui mériteraient cela, il y en a des milliers ! Maintenant on se retrouve face à un énorme problème qui est finalement : qu’est-ce qu’on fait des hôpitaux qui ne nous semblent plus aux normes, alors qu’il paraît plus facile de construire un hôpital neuf sur un terrain vierge que de réhabiliter un ancien hôpital ? Que fait-on des casernes de soldats, de gendarmerie, d’infanterie également soumis à de nouvelles normes ? Que fait-on de tous ces châteaux, partout, que les petites mairies n’ont plus les moyens d’entretenir ? Richaud, si on l’avait laissé dix ans de plus, avec les trois incendies qu’il a vécu, aurait disparu. Le projet est arrivé vraiment au bon moment.