magazine du château de versailles

Carnet de voyage

Pierre le Grand, célèbre héritier des Romanov et « tsar de toutes les Russies », se rend en France en 1717, vingt ans après son premier grand voyage à travers l’Europe. Au-delà des visées politiques et économiques de ce séjour, le monarque est à la recherche de nouveaux modèles pour moderniser son empire. Sa visite, alors que Louis XV n’est encore qu’un enfant, marquera les esprits. Exceptionnelle, cette exposition l’est par la fenêtre qu’elle ouvre sur les collections de l’Ermitage.

Ce cadran solaire de poche réalisé par Nicolas Bion, ancien ingénieur de Louis XIV pour la construction d’objets de mathématiques, compte parmi les achats de Pierre le Grand. Les objets et accessoires témoins de son séjour en France sont aujourd’hui conservés au musée de l’Ermitage, comme la quasi intégralité des oeuvres, objets, costumes et du mobilier que possédait le tsar. Cadran solaire universel, Nicolas Bion (1653-1733), Paris, début du XVIIIe siècle. © Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, 2017.

En 2017, le Château commémore le tricentenaire de la visite de Pierre le Grand à Paris et dans ses alentours. Issu de la dynastie des Romanov, fils du tsar Alexis Mikhaïlovitch (1645-1676) et de Nathalie Narychkine (1651-1694), Pierre Ier, vingt ans après la « Grande Ambassade » qui l’avait mené une première fois en Europe (1697-1698), entreprit un nouveau voyage en Occident. Il atteignit la France le 21 avril 1717 et y demeura jusqu’au 21 juin suivant. À Versailles, il fut logé au Grand Trianon, du 24 au 26 mai puis du 3 au 11 juin.

Plusieurs mémorialistes français, parmi lesquels Saint-Simon, le marquis de Dangeau ou Jean Buvat, nous ont laissé de précieux témoignages permettant de retracer ce séjour. Voltaire le relate également dans son Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand. Le parcours de l’exposition suivra pas à pas cette visite qui, pour être officielle, n’en fut pas moins imprévisible. Force de la nature, peu accoutumé à l’Étiquette, Pierre Ier bouscula le protocole à maintes reprises. Sa rencontre avec Louis XV, tout juste âgé de sept ans, marqua d’ailleurs les esprits : faisant fi du cérémonial de Cour, il prit l’enfant Roi dans ses bras.

« Force de la nature, peu accoutumé à l’Étiquette, Pierre Ier bouscula le protocole à maintes reprises. »

Si ce séjour avait des visées politiques et économiques – un projet d’alliance avec la France contre la Suède d’une part, la signature d’un traité de commerce de l’autre –, le tsar réformateur, fondateur de la Russie moderne, voulait par-dessus tout voir ce que la France possédait de plus remarquable afin d’en adapter certains modèles à son propre empire. Durant les deux mois qu’il passa dans le Paris de l’époque de la Régence, visites et discussions avec les Français nourrirent la réflexion de Pierre et infléchirent les travaux qu’il entreprenait depuis 1703 à Saint-Pétersbourg et dans ses environs.

Animé d’une curiosité universelle, il s’intéressa aux arts, aux techniques et aux sciences. Alors que son palais de Peterhof était en chantier, ce grand bâtisseur souhaita voir de ses propres yeux la magnificence des résidences royales. Il révéla une véritable passion pour l’architecture et les jardins dont ceux des châteaux de Versailles, de Trianon et de Marly lui fournissaient les plus beaux modèles.

Ce buste en bronze est une œuvre très connue de Bartolomeo Carlo Rastrelli. Né à Florence, l’architecte, ingénieur et sculpteur vécut en Russie de 1716 à sa mort. Pierre le Grand, Bartolomeo Carlo Rastrelli (1675-1744), 1723-1729. © Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, 2017.

Pierre se rendit à l’Académie des Sciences, dont il devint membre honoraire, à l’Observatoire, à l’Hôtel royal des Invalides et à l’Hôtel de la Monnaie où l’on frappa une médaille en son honneur. Le tsar visita la manufacture des Gobelins qui lui inspira la création d’une fabrique de tapisseries dans sa nouvelle capitale. Visitant les marchands parisiens tel un simple particulier, il fit provision de livres, d’instruments scientifiques et techniques. Enfin, comme il était d’usage, ce voyage suscita l’échange de prestigieux cadeaux diplomatiques ; on fit notamment présent à Pierre de la tenture du Nouveau Testament, composée de quatre tapisseries d’après Jean Jouvenet et conservée aujourd’hui au musée de l’Ermitage.

L’exposition mettra également en lumière les rapports de Pierre le Grand avec les artistes. Dès 1716, le tsar attira à la cour de Saint-Pétersbourg plusieurs maîtres français, parmi lesquels Louis Caravaque (1684-1754), l’architecte Jean-Baptiste Le Blond (1679-1719) et le sculpteur ornemaniste Nicolas Pineau (1684-1754). Lors de son séjour en France, il fut portraituré par deux peintres brillants, Jean-Marc Nattier (1685-1766) et Jean-Baptiste Oudry (1686-1755). Souverain guerrier et voyageur, Pierre le Grand parcourut le monde pendant près de quatre décennies, de la mer Blanche à la mer Caspienne, de la Hollande à la Moldavie et de l’Angleterre à la Perse. Cette personnalité hors du commun sut s’imposer, au regard de la postérité, comme l’un des monarques les plus marquants de l’histoire de son pays, initiateur d’une nouvelle Russie.

Gwenola Firmin,
Conservateur, chargée des peintures du XVIIIe siècle au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon


Suivez le voyage de Pierre Le Grand en France en 1717

Découvrez sur le compte Twitter @CVersailles toutes les étapes du séjour de Pierre Ier dans le Paris du jeune Louis XV de mai à juin 1717. 300 ans presque jour pour jour après cette visite diplomatique mémorable, le hashtag #ExpoPierreLeGrand permet, au fil des jours, de revivre le voyage d’un tsar puissant et réformateur en quête d’inspiration autant politique et économique qu’artistique ou scientifique.



Un portrait haut en couleur

Portrait du tsar Pierre le Grand, miniature montée en médaillon, anonyme, Paris, musée du Louvre.

« C’était un fort grand homme, très bien fait, assez maigre, le visage assez de forme ronde ; un grand front ; de beaux sourcils ; le nez assez court sans rien de trop gros par le bout ; les lèvres assez grosses ; le teint rougeâtre et brun ; de beaux yeux noirs, grands, vifs, perçants, bien fendus ; le regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démontait les yeux et toute la physionomie, et qui donnait de la frayeur. Cela durait un moment avec un regard égaré et terrible, et se remettait aussitôt. Tout son air marquait son esprit, sa réflexion et sa grandeur, et ne manquait pas d’une certaine grâce. Il ne portait qu’un col de toile, une perruque ronde brune, comme sans poudre, qui ne touchait pas ses épaules, un habit brun juste au corps, uni, à boutons d’or, veste, culotte, bas, point de gants ni de manchettes, l’étoile de son ordre sur son habit et le cordon par dessous, son habit souvent déboutonné tout à fait, son chapeau sur une table et jamais sur sa tête, même dehors. Dans cette simplicité, quelque mal voituré et accompagné qu’il pût être, on ne s’y pouvait méprendre à l’air de grandeur qui lui était naturel. »

Saint-Simon, Mémoires, 1717, tome 14, chapitre XVIII.

 


Quand Pierre le Grand rencontra l’enfant roi

Louis XV rend visite à Pierre le Grand à l’Hôtel de Lesdiguières, le 10 mai 1717, Louis Hersent (1777-1860), 1838. Château de Versailles.

« […] Le roi alla voir le tsar, qui le reçut à sa portière, le vit descendre de carrosse, et marcha de front à la gauche du roi jusque dans sa chambre où ils trouvèrent deux fauteuils égaux. Le roi s’assit dans celui de la droite, le tsar dans celui de la gauche, le prince Kurakin servit d’interprète. On fut étonné de voir le tsar prendre le roi sous les deux bras, le hausser à son niveau, l’embrasser ainsi en l’air, et le roi à son âge, et qui n’y pouvait pas être préparé, n’en avoir aucune frayeur. On fut frappé de toutes les grâces qu’il montra devant le roi, de l’air de tendresse qu’il prit pour lui, de cette politesse qui coulait de source, et toutefois mêlée de grandeur, d’égalité de rang, et légèrement de supériorité d’âge ; car tout cela se fit très distinctement sentir. Il loua fort le roi, il en parut charmé, et il en persuada tout le monde. Il l’embrassa à plusieurs reprises. Le roi lui fit très joliment son petit et court compliment. »

Saint-Simon, Mémoires, 1717, tome 14, chapitre XVIII.


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