S’emparant avec génie des pouvoirs de l’image, Napoléon Ier a façonné sa propre légende. L’exposition présentée à l’automne au musée des Beaux-Arts d’Arras raconte l’histoire mythique, en France et en Europe, de l’épopée napoléonienne. Frédéric Lacaille, l’un des commissaires de l’exposition, évoque l’ultime bataille que Napoléon mena pour gagner la postérité : celle de la mémoire.
Cette exposition présente la première collection napoléonienne au monde. Comment a-t-elle été réunie au château de Versailles ?
Frédéric Lacaille : Cette collection a une double provenance. Elle comporte, d’une part, des meubles et objets d’art choisis par Napoléon pour le Grand Trianon, où il fit réaliser d’importants travaux en vue d’y séjourner. Et d’autre part, des œuvres d’art – peintures et sculptures – commandées pour le décor des résidences impériales, notamment pour le palais des Tuileries, à Paris. Ces œuvres d’art furent ensuite rassemblées à Versailles par Louis-Philippe. Quand il crée le musée de l’Histoire de France en 1837, celui-ci accorde une place très importante à l’Empire et à l’image napoléonienne. Après quarante ans de bouleversements et de changements politiques, lui qui se présente comme le souverain de la France en paix, garant des acquis de la Révolution et introducteur, en France, d’une monarchie parlementaire à l’anglaise, veut réconcilier tous les Français. Ses galeries historiques racontent l’histoire glorieuse du pays, dans un roman national où brillent particulièrement les figures de Louis XIV et de Napoléon. Dans cette logique, et pour plaire aux bonapartistes qu’il souhaite rattacher à sa cause, Louis-Philippe fait transporter à Versailles un grand nombre d’œuvres commandées par Napoléon, disponibles dans les magasins des musées royaux. À Paris, il replace la statue du vainqueur de la bataille d’Austerlitz au faîte de la colonne Vendôme, achève l’Arc de Triomphe et va même, sur l’idée d’Adolphe Thiers, jusqu’à faire revenir la dépouille mortelle de Napoléon depuis Sainte-Hélène.
Que révèlent ces portraits de l’Empereur, qui multiplia les commandes officielles auprès des plus grands peintres ?
F. L. : Ces portraits, pour la plupart directement commandés par Napoléon, montrent combien l’Empereur était un homme de communication. Très tôt, il s’appuie sur la presse et l’image pour construire sa légende. Tout au long de ses campagnes, depuis la première en Italie (1796-1797), il fait imprimer des journaux et des bulletins qui donnent le récit officiel des événements. Il commande des peintures pour diffuser le récit de ses victoires. Il pose ainsi en héros, dès 1796, dans le portrait Bonaparte au pont d’Arcole peint par Antoine-Jean Gros.
Ces œuvres qui jalonnent la vie de Napoléon racontent une légende vivante, jamais monolithique. Celle du fougueux général, dans les tableaux évoquant le passage du pont d’Arcole de Gros ou du col du Grand-Saint-Bernard peint par David. Puis celle, impériale, vêtue du costume de sacre, presque en contrepoint des portraits plus sobres où Napoléon apparaît en uniforme – mais dans lesquels le Régent, énorme diamant serti sur la garde de son épée, suffit à affirmer sa supériorité. Cette exposition présente aussi l’autocrate qu’impose, dans son omnipotence, le buste au front doublement couronné de lauriers et de la couronne de Fer des rois lombards, réalisé par Bartolini d’après le modèle de Chaudet. Enfin, les dernières œuvres dépeignent l’Empereur en souverain plein d’empathie pour ses soldats blessés ou tombés sur le champ de bataille. La plupart de ces tableaux le représentent au centre de la composition. Ce qui dénote un goût certain pour la mise en scène !
Comment se situe cette exposition parmi les différentes commémorations du bicentenaire de l’Empire ?
F. L. : Contrairement à ce qui s’est passé dans le reste de l’Europe, en Russie ou aux États-Unis, où se sont multipliées les expositions entre 1996 et 2015, les commémorations de la fondation de l’Empire (1804) et de sa dissolution (1815) n’ont pas fait l’objet de manifestations officielles d’envergure dans notre pays. Certes, les musées nationaux ont organisé plusieurs expositions dossiers, comme « Le Sacre de Napoléon » au Louvre en 2004, ou « Napoléon et Versailles » présentée au Château la même année, puis, dans un format plus important, à Kobé et Tokyo au Japon, en 2005 et 2006. Des expositions plus ou moins conséquentes saluèrent certaines dates clés du bicentenaire, telles que « Napoléon et l’Europe » en 2013 au musée de l’Armée, « Napoléon ou la légende des arts » en 2015 au Palais impérial de Compiègne, ou encore « Pie VII face à Napoléon » au château de Fontainebleau en 2015. Sans compter toutes celles organisées par la Fondation Napoléon depuis vingt ans. Mais depuis l’exposition organisée par le Grand Palais en 1969 pour fêter le bicentenaire de la naissance de Napoléon, c’est la première fois que l’on donne à voir autant d’œuvres de la collection napoléonienne de Versailles. Avec cette grande exposition que l’on organise à Arras, il ne s’agit pas de sacraliser ou de réhabiliter le mythe, mais de raconter ce destin unique qui a marqué notre histoire. Au-delà du cliché d’autocrate et de va-t-en-guerre auquel la figure de Napoléon est associée en France.
Au-delà de l’intérêt historique d’une telle exposition, quelle est son importance pour l’histoire de l’art ?
F. L. : Napoléon au pont d’Arcole, par Antoine-Jean Gros, Napoléon franchissant le Grand-Saint-Bernard de David ou Napoléon Ier en costume de Sacre de François Gérard… Réunir en un même lieu ces œuvres, habituellement dispersées dans les différents espaces du Château, permettra de les redécouvrir sous un autre jour et de mesurer leur extraordinaire cohérence. Car bien que très célèbres, ces peintures ne sont pas forcément identifiées comme versaillaises par le public qui associe Napoléon, pour des raisons biographiques, à Fontainebleau, Rueil-Malmaison, Ajaccio… Ces œuvres, pour la plupart conservées dans les salles Empire et les attiques du Château – accessibles seulement en visites guidées – sont rarement visibles aujourd’hui : l’exposition au musée des Beaux-Arts d’Arras permettra d’en profiter comme jamais.
Propos recueillis par Clotilde Nouailhat
Graver son nom dans l’Histoire
Visage marmoréen et cheval blanc cabré, le bras droit levé pour indiquer aux troupes françaises le chemin de la victoire contre l’Autriche… Jacques-Louis David peint le futur empereur dans une représentation magnifiée. La réalité est plus prosaïque : Bonaparte passa le col à l’arrière-garde, monté sur un mulet et revêtu d’une simple redingote. De plus, le passage des Alpes n’était pas si exceptionnel à cette époque. Construisant l’icône de la légende napoléonienne, David associe de grandes figures du passé à Bonaparte : il puise dans diverses sources iconographiques, de l’Antiquité, de la Renaissance et du XVIIIe siècle. Les noms gravés d’Hannibal et de Charlemagne lient Bonaparte, devenu leur égal devant l’Histoire, aux grands conquérants de l’Antiquité et du Moyen Âge. Cette œuvre remporta un succès tel que cinq exemplaires furent réalisés par David et son atelier entre 1801 et 1803, pour rejoindre les palais de Madrid, de Vienne, de Potsdam… Peinte par un artiste américain, une copie de l’œuvre de David – maintes fois reproduite dans la postérité – naviguait même, en 1827, à bord d’un steamer sur l’Hudson River.
Olivier Delahaye
Napoléon de retour à l’abbaye Saint-Vaast
Après les succès de « Roulez carrosses ! » et « Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre » qui mirent en lumière certaines collections versaillaises, le partenariat entre le Conseil régional des Hauts-de-France, la ville d’Arras et le château de Versailles se poursuit avec l’exposition « Napoléon. Images de la légende ». Présentant une centaine d’œuvres des collections napoléoniennes du Château, elle se tiendra jusqu’au 4 novembre 2018 au musée des Beaux-Arts qu’abrite l’abbaye Saint Vaast. Les Arrageois se souviendront peut-être qu’en 1804, Napoléon, qui faisait étape en leur ville, avait rattaché l’abbaye à la commune et donné à son église le statut de cathédrale.
À VOIR
Napoléon. Images de la légende
Jusqu’au 4 novembre 2018
Musée des Beaux-Arts d’Arras
versaillesarras.com
#VersaillesArras
Plus d’informations sur l’exposition.
Commissariat : Frédéric Lacaille, conservateur en charge des peintures du XIXe siècle au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Marie-Lys Marguerite, directrice du musée des Beaux-Arts d’Arras.