Trois somptueux décors de théâtre – dont deux ont été retrouvés et identifiés récemment – sont présentés à l’occasion de l’exposition consacrée à Louis-Philippe. Leurs dimensions, leur complexité de structure et leur richesse d’ornementation illustrent magistralement l’esthétique théâtrale du temps de la monarchie de Juillet.
La galerie des Batailles en rideau d’avant-scène
Dans l’exposition même, est suspendu un rideau d’avant-scène représentant la galerie des Batailles. Peint en 1838 pour un théâtre provisoire du château des Tuileries, ce rideau était resté roulé pendant plus d’un siècle à Compiègne (au Théâtre impérial d’abord, puis au château) où il avait fini par être oublié. De récentes recherches ont permis d’établir avec certitude son origine et de le rapprocher d’un autre élément de décor conservé, lui, à Versailles : le cadre de scène de ce théâtre provisoire, encore intact, mais de dimensions trop importantes pour être exposé.
Le « Palais de marbre rehaussé d’or » au complet
Pour la représentation donnée le 10 juin 1837 à l’occasion de l’inauguration du musée de Versailles, un somptueux décor a été réalisé par le célèbre décorateur de l’Opéra de Paris, Pierre-Luc-Charles Ciceri (1782-1868). Évoquant la galerie des Batailles, ce « Palais de marbre rehaussé d’or » 1 servait de cadre au ballet final du spectacle. Il ne fut utilisé qu’une seule fois. Après la chute du Second Empire, le Sénat, s’installant dans l’Opéra royal, fit procéder au débarras de la scène et de ses dépendances et ce décor fut, lui aussi, transféré à Compiègne. Retrouvé et identifié en 1998, il fut de nouveau transporté à Versailles, mais dans un état, hélas, incomplet : si les châssis avaient été conservés, la toile de fond ainsi que les frises avaient été vendues par l’administration des Domaines en 1877. Conscient de l’exceptionnelle valeur patrimoniale de ce décor (dernier de cette taille subsistant en France), le château de Versailles a décidé, à l’occasion de l’exposition Louis-Philippe, d’en faire percevoir toute la splendeur au public. L’absence de frises et de toile de fond risquait néanmoins de rendre le propos décevant et peu lisible, la scène s’accommodant mal d’une présentation archéologique. Montrer les vingt-quatre châssis seuls n’aurait pas suffi à faire comprendre ni l’organisation ni la cohérence ni l’ampleur de ce décor. La nécessité de le compléter s’est donc naturellement imposée. Considérant que le théâtre a toujours été un espace de liberté, cette dernière option a été privilégiée, tout en respectant au plus près la description donnée par les inventaires. Fort d’une expérience similaire et réussie au Théâtre de la Reine à Trianon 2, Antoine Fontaine a participé à la restitution de l’oeuvre. Le résultat, impressionnant, témoigne du relief tout particulier que Louis-Philippe entendit donner aux fastes inauguraux du musée de Versailles en 1837.
Un « Palais gothique » dans le théâtre de Marie-Antoinette
Enfin, le Théâtre de la Reine à Trianon, utilisé lui aussi par Louis-Philippe pour quelques représentations à caractère privé, accueillera le magnifique et inédit « Palais gothique ». Le château de Fontainebleau a très généreusement accepté de prêter ce décor, dû lui aussi au pinceau de Ciceri, dont l’histoire a pu être retracée au prix d’une longue enquête dans les registres des Archives nationales. Créé vers 1845, il était destiné au théâtre provisoire installé sous une tente dans le parc du château d’Eau. Cependant, les circonstances firent qu’il n’y fut jamais envoyé. Il fut conservé, à Paris, au Garde-Meuble, puis au théâtre du château de Saint-Cloud. La destruction de ce dernier sur ordre de Napoléon III, en 1863, entraîna son transport au château de Fontainebleau. Jamais utilisé, conservé dans d’excellentes conditions, le « Palais gothique » se trouve aujourd’hui dans un état de fraîcheur incomparable. L’oeuvre pour laquelle il avait été conçu, reste inconnue. On pense aujourd’hui à La Dame blanche 3, mais, selon les usages du temps, il aurait fort bien pu servir à plusieurs ouvrages du répertoire. Toujours est-il que l’on demeure surpris de la vivacité de ses coloris et de l’inventivité de son dessin. Ces trois décors témoignent de la richesse du patrimoine théâtral du XIXe siècle encore conservé dans les collections des palais nationaux et permettent de comprendre les goûts de la monarchie de Juillet dans ce domaine.
Jean-Paul Gousset,
Directeur technique de l’Opéra royal
1. Tel qu’il est décrit dans les inventaires.
2. Où le peintre décorateur a déjà recréé la toile de fond du tableau de l’« Intérieur rustique ».
3. Célèbre opéra comique de François-Adrien Boieldieu (1775-1834).
Un décor protéiforme, offrant plusieurs tableaux différents
La structure du « Palais gothique » obéit à la tradition scénique du XIXe siècle qui privilégie les décors construits, avec plafonds et châssis obliques. Elle totalise huit plans (toile de fond comprise) et forme comme une boîte que le spectateur perçoit parfaitement close alors qu’en réalité, face à la nécessité d’éclairer l’ensemble, des espaces sont aménagés entre les châssis axiaux et les châssis obliques, habilement dissimulés par des pilastres. La particularité du « Palais gothique » réside dans sa nature modulable : moyennant des modifications simples, mais efficaces, il est, en effet, possible d’obtenir plusieurs tableaux différents. Dans son aspect le plus resserré, le décor s’étend sur les quatre premiers plans. Au quatrième, une grande ferme compose un fond à trois ouvertures que l’on peut soit laisser vides, soit, au moyen de châssis d’applique, garnir de portes à doubles, vantaux, de fenêtres pourvues de tamis de fer peint permettant de produire un effet de transparence, ou même d’une cheminée, prévue pour la partie centrale. Démontée, cette ferme en révèle une autre, plantée au septième plan. D’une architecture très ouvragée, celle-ci comporte en son centre un remarquable pilier en forme de trophée d’armes. Quant à la toile de fond, elle représente une immense nef à transept dont la perspective biaise, désaxée par rapport à l’axe frontal des châssis, augmente encore l’effet de profondeur.
À VOIR
Le rideau d’avant-scène représentant la galerie des Batailles est visible dans l’exposition « Louis-Philippe et Versailles », jusqu’au 3 février 2019.
Le décor du Palais de marbre est exposé sur la scène de l’Opéra royal jusqu’au 13 novembre 2018 et visible lors des visites guidées « Splendeurs de Versailles ».
Deux représentations exceptionnelles d’œuvres de Berlioz, contemporaines du règne de Louis-Philippe, auront lieu au cœur de ce décor historique. Elles immergeront ainsi le public, dans l’ambiance authentique des salles de spectacle sous la monarchie de Juillet :
Hector Berlioz (1803–1869)
Symphonie fantastique
Concert
Programme
– Le Corsaire : ouverture
– La Mort de Cléopâtre
– Les Troyens : chasse royale
et orage
– Les Troyens : scène finale « Ah,
je vais mourir… Adieu fière cité »
– Symphonie fantastique op.14
Distribution
Lucile Richardot, alto
Orchestre révolutionnaire et romantique
Direction : John Eliot Gardiner
Dimanche 21 octobre 2018, à 17 h, Opéra royal,
Version de concert
Distribution
Bryan Register, Faust
Anna Caterina Antonacci,
Marguerite
Nicolas Courjal, Méphistophélès
Choeur de l’Armée française
Choeur Marguerite Louise
Direction : Gaétan Jarry
Les Siècles
Direction : François-Xavier Roth
Mardi 6 novembre 2018, à 20 h, Opéra royal
Le décor du Palais gothique est présenté durant toute la durée de l’exposition, jusqu’au 3 février 2019, sur la scène du Théâtre de la Reine. Il est visible depuis l’extérieur du théâtre et lors des visites guidées « Les effets scéniques au Théâtre de la Reine » :
- À 13 h 30 : 19 et 23 octobre ; 7 et 30 novembre ; 4 et 18 décembre ; 9 et 30 janvier ;
- À 15 h 15 : 19 et 23 octobre ; 7 et 30 novembre ; 4 et 18 décembre ; 9 et 30 janvier.