Les sculpteurs sont aux petits soins avec les statues couronnant la Chapelle royale. Ils traitent les cicatrices qui ont marqué ces œuvres monumentales, exposées à tous les vents depuis plus de trois cents ans.
En cet après-midi brumeux d’hiver, les statues hautes de trois mètres, dressées au niveau de l’entablement qui ceinture la Chapelle, rayonnent de blancheur. Nous qui les avons vues maculées de coulures, tachetées de mousses, assombries par d’épais dépôts noirs – sans compter les fissures et les morceaux manquants – nous les retrouvons prêtes à retrouver leur allant.
Emmitouflés dans leurs blousons, plusieurs sculpteurs de la société Tollis, trente mètres au-dessus du sol, s’affairent autour d’elles, tels des chirurgiens d’un genre très spécial. Ils ont déjà purgé les vingt-huit statues de leurs joints en ciment, mettant à jour les différents morceaux qui les constituent.
Ces rondelles monumentales de pierre de Tonnerre sont calées entre elles par du plomb. Le ciment Portland introduit lors d’une précédente restauration est très difficile à retirer, mais il empêche la pierre de respirer. Il est remplacé par du mortier de chaux, plus souple.
Des cicatrices de géants
Cette mise à nu a dévoilé les cicatrices de ces géants qui affrontent le ciel par tous les temps depuis plus de trois cents ans. De précédentes restaurations, comme des gros pansements de pierre, avaient soigné plus ou moins adroitement leurs plaies. Des « greffes » anciennes apparaissent nettement. Après avoir été toutes retraitées, elles disparaîtront sous une patine. Sera ainsi gommé l’aspect trop neuf de ces réparations en cours qui saignent encore : elles sont scellées par une résine rouge tachant la pierre.
Plus ardue s’avère la mise en œuvre des « solins » qui correspondent aux lignes du relief, terminées par un mortier plus liquide. Elle a donné du fil à retordre à Ludovic qui vient d’achever la restauration de sa première statue. C’est rempli de fierté que le jeune apprenti nous fait faire le tour du chantier, indiquant ici un morceau de pierre qui reste à solidariser par des goujons, là un ragréage qui vient d’être réalisé.
Une érosion due aux caprices du ciel
Le chantier est impressionnant, mais « l’intégrité des sculptures en pierre de Tonnerre avait été plutôt bien conservée », selon le diagnostic établi par Frédéric Didier, ce qui permet de s’en occuper sur place, sans les transporter en atelier.
Les greffes ou les bouchons de pierre des restaurations antérieures représentaient « à peine plus de 5 % de la surface sculptée » originale, les parties restituées « moins de 10 % ». La pierre est restée saine et ses fissures se sont avérées d’origine. N’a pas été relevée d’attaque par les sels solubles. Les altérations des statues proviennent essentiellement de l’érosion lente et régulière due aux conditions climatiques (température, humidité, luminosité) depuis leur exécution, dans les années 1707-1708, au sommet du monument édifié par Louis XIV.
Ludovic montre comment les masses ont été habilement réparties par les sculpteurs en fonction de la place de chaque statue face au vent. Le jeune apprenti en souligne l’ingéniosité, se désolant de l’oubli de tels savoir-faire. Il se console à la vue de stries régulières cachées par les replis de pierre : les traces des outils manipulés il y a plusieurs siècles.
Les statues ont été modelées de façon à ce que l’eau ne vienne pas stagner au creux de la pierre, mais au contraire s’écouler naturellement contre le relief. Néanmoins, certaines zones, les plus exposées, n’ont pas échappé à l’usure de la pluie, comme cette étole ornementée de motifs ou ce ventre légèrement rebondi. On peut les comparer avec les parties qui ont été protégées, notamment par les nombreux plis des vêtements.
Une fois leur restauration complètement terminée, les membres de cette majestueuse assemblée recevront une dernière patine au lait de chaux qui harmonisera leur épiderme dans des nuances de rose. Ils auront ainsi retrouvé, en quelque sorte, bonne mine pour continuer à dominer le Château et ses alentours tels des gardiens très haut placés.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
Quatre sculpteurs pour trente figures de la chrétienté
Une croix, des clés, un bâton de berger permettent de reconnaître l’identité de chacune de ces grandes figures de la chrétienté. Les évangélistes, apôtres et Pères de l’Église ainsi que six allégories des vertus ont été sculptés par plusieurs artistes.
Les différences de style sont peu perceptibles au premier abord, mais Ludovic attire l’attention sur la représentation des livres dont sont dotés certains de ces personnages. Saint Augustin et saint Anastase les tiennent fermés contre leur hanche, saint Simon contre son cœur. Grégoire le Grand le montre ouvert, tandis que saint Matthieu écrit encore dessus. Les pages y sont taillées de manière plus ou moins explicite. Elles sont à peine esquissées dans le livre de saint Irénée, apparaissent comme une série de plaques dans celui de saint Jean tandis qu’elles sont bien distinctes dans celui de saint Jacques le Majeur. Saint Basile y glisse même un doigt, invitant, de son regard impétueux, à consulter la parole sacrée.
La Chapelle royale du château de Versailles a été restaurée grâce au mécénat principal de la Fondation Philanthropia, qui a souhaité fédérer d’autres mécènes. Saint-Gobain, Dior et JCDecaux se sont ainsi également mobilisés en faveur de ce chantier d’ampleur.
Les mécènes particuliers et les petites entreprises ont pu participer à la restauration du décor sculpté en adoptant l’une de ces statues.
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- La dorure des ornements en plomb de la Chapelle
- L’origine des dorures de la Chapelle royale
- Le bilan de cette restauration par l’Architecte en chef des monuments historiques
- L’interview de Thomas Clouet et Stéphane Masi qui ont suivi de près le chantier.
Et plus d’information sur la restauration de la Chapelle royale sur le site du château de Versailles.