Ils étaient gardiens du musée, surveillants du Domaine, jardiniers ou encore fontainiers au château de Versailles. Tous, ils concouraient à la préservation et au rayonnement de ce haut lieu du patrimoine national. Pendant la Grande Guerre, ils furent, comme leurs compatriotes, appelés à défendre non plus « la France d’autrefois, mais celle d’aujourd’hui », ainsi que l’écrira un visiteur ému à Pierre de Nolhac, conservateur du musée à l’époque.
En ce début du XXe siècle, les effectifs du Château s’élevaient à environ 260 agents. Près d’une centaine d’entre eux, de tout niveau hiérarchique, à tous les grades militaires, partit sous les drapeaux : 40 fontainiers, 31 gardiens et personnel du musée, 14 « surveillants militaires » et « surveillants portiers », en charge du parc, et 11 jardiniers. Insérés dans leurs dossiers d’agent conservés dans les archives du Château, leurs parcours nous sont parvenus par les formulaires de l’autorité militaire. Par-delà l’aridité administrative, ces documents rendent compte d’une réalité très émouvante et profondément humaine.
Services de guerre
Certains agents, mobilisés dès les premiers jours de la guerre, revinrent à Versailles en sursis d’appel pour être à nouveau engagés dans la bataille quelques mois plus tard. Ainsi, le surveillant militaire Carmier, mobilisé le 2 août 1914 comme sous-lieutenant d’infanterie territoriale à Saint-Omer, reprend son service à Versailles en août 1915. Il est remobilisé comme lieutenant au 27e régiment d’infanterie coloniale le 27 juin 1916, et revient à Versailles en février 1918.
Tel le surveillant portier Lucas, touché aux Dardanelles et évacué à Alexandrie le 16 mai 1915, beaucoup furent blessés, parfois même à plusieurs reprises. Le fontainier Émilien Lecoq, le 7 septembre 1914 à Rambercourt, dans la Meuse, est atteint d’une balle dans la cuisse. Renvoyé dans son régiment sitôt guéri, il est blessé un an plus tard devant Aubérive-sur-Suippe, en Champagne, par un projectile qui éclate près de lui. Le 27 mai 1918, au mont Kemmel, en Belgique, il reçoit un nouvel éclat d’obus.
Marcel Bigot, ouvrier plombier au service des Eaux, soldat de deuxième classe au 2e régiment d’artillerie lourde de campagne, est resté sur le front pendant toute la durée de la guerre. Le 26 septembre 1917, il est blessé au visage par un éclat d’obus et intoxiqué par les gaz asphyxiants. Il reçoit une citation pour « avoir continué son service en dépit des rafales de tir ennemi arrivant sur la batterie » et est qualifié de « bon servant ayant toujours montré une belle attitude au feu ».
Des actes de bravoure sont, en effet, fréquemment mentionnés et mis à l’honneur. En avril 1915, le gardien Ayard est blessé et nommé sergent sur le champ de bataille en récompense de son courage. Albert Gallois, dessinateur au service des Eaux, est incorporé dans une compagnie d’aérostiers au grade de sergent puis d’adjudant. Le 28 février 1918, il commande la manœuvre d’un dirigeable et sauve le ballon de trois attaques faites chacune par plusieurs avions ennemis. Il est décoré de la croix de guerre et de la médaille militaire.
Ceux qui sont partis, ceux qui sont restés
Fernand Boutarel, ouvrier au service des Eaux et caporal au 74e régiment d’infanterie, se distingue par un parcours particulièrement difficile. Le 28 septembre 1915, à Neuville-Saint-Vaast, il entraîne son escouade à l’attaque de Bois de la Folie et est blessé à la main droite par une balle. Il retourne sur le front après son hospitalisation et prend part à la bataille de Verdun. Lors de l’attaque du fort de Douaumont, le 22 mai 1916, il assure avec beaucoup de sang-froid la liaison entre sa compagnie et le bataillon sous un bombardement des plus violents. Il est fait captif deux jours plus tard et restera prisonnier en Allemagne jusqu’au 7 janvier 1919. Il est décoré de la croix de guerre en 1919.
Ce fonctionnaire, comme la plupart de ses collègues, a réintégré son poste à Versailles lorsque l’armistice fut signé.
En revanche, six d’entre eux perdirent la vie, morts au champ d’honneur ou des suites de leurs blessures.
En leur absence, le Château a été entretenu et maintenu partiellement ouvert au public grâce aux agents plus âgés, mais aussi à du personnel supplémentaire, dont quelques femmes. Entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, le lien n’a pas été rompu. En janvier 1919, l’ingénieur en chef du service des eaux, qui a assuré l’intérim du directeur du service lui-même engagé sur le front, écrit à ses collaborateurs : « J’exprime à tous ma reconnaissance tant en mon nom personnel qu’en celui des mobilisés dont la place a été tenue le mieux possible pendant que, de leur côté, ils accomplissaient leur tâche beaucoup plus rude et nous préparaient la victoire éclatante qui a finalement couronné les efforts communs. »
Karine Mc Grath,
chef du service des archives du château de Versailles, et son équipe.
À VOIR
La web-série sur le château de Versailles durant la Grande Guerre.
ILS SONT MORTS POUR LA PATRIE :
Lucien Bory, sous-inspecteur au service des eaux, lieutenant au 1er régiment du génie. Tué à l’ennemi le 9 décembre 1914 à Clermont-en-Argonne, dans la Meuse. Il avait 29 ans.
Yves Burlot, jardinier dans le parc et les pépinières de Trianon, soldat dans le 73e régiment d’infanterie territoriale. Mort au champ d’honneur le 8 novembre 1914 à Langemarck, en Belgique. Il avait 41 ans.
Jean Le Flour, surveillant portier du parc de Versailles, adjudant au 2e régiment d’infanterie coloniale. Tué à l’ennemi le 16 novembre 1914 dans le bois de la Gruerie à Vienne-le-Château, dans la Marne. Il avait 36 ans.
Jules Perot, jardinier dans le parc de Versailles, incorporé dans le 23e régiment d’infanterie coloniale. Mort de ses blessures le 16 octobre 1915. Il avait 29 ans.
Alexandre Quero, surveillant militaire, capitaine au 75e régiment d’infanterie territoriale. Mort aux armées à Châlons-sur-Marne, le 8 juin 1918. Il avait 45 ans.
Prosper Soray, gardien du musée, soldat dans le 270e régiment d’infanterie. Tué à l’ennemi le 10 octobre 1914 à Beaumetz-lès-Loges, dans le Pas-de-Calais. Il avait 29ans.