Un message politique, telle était la vocation des aménagements voulus par Louis-Philippe au château de Versailles qui font actuellement l’objet d’une exposition. Son objectif ? Asseoir la monarchie constitutionnelle dans un pays pris entre des aspirations contradictoires.
L’Europe libérale du XIXe siècle s’est construite, d’une part, en réaction contre la Révolution française et les guerres napoléoniennes et, d’autre part, en accompagnement de l’industrialisation et de l’urbanisation. Dans cette Europe du congrès de Vienne, la France, épuisée démographiquement, affaiblie économiquement, humiliée politiquement par le désastre de Waterloo, était confrontée à deux défis : clore le cycle révolutionnaire en conciliant stabilité des institutions et liberté politique ; surmonter son isolement diplomatique et la méfiance dont elle continuait à faire l’objet de la part des autres puissances qui la considéraient comme la nation la plus dangereuse du continent.
L’une des rares expériences libérales de notre pays
La monarchie de Juillet occupe une place tout à fait singulière dans le cours heurté de l’histoire institutionnelle de la France. Elle constitue l’une des rares expériences libérales de notre pays, placée sous le signe d’un moment anglais : à l’intérieur avec une monarchie constitutionnelle revendiquant une ligne modérée ; à l’extérieur avec la diplomatie de l’entente cordiale servie par les excellentes relations avec la reine Victoria qui fut couronnée en 1837 et séjourna en France en 1843 puis en 1845. Pour cette raison même, la chute brutale et inattendue de Louis-Philippe en 1848 relança les passions révolutionnaires dans toute l’Europe et discrédita durablement le libéralisme politique en France.
Le dilemme politique qui se présentait en 1830 à Louis-Philippe, premier et unique roi des Français, était redoutable. Descendant de Louis XIV, il accédait au trône de France en tant que roi des barricades des Trois Glorieuses. La dynastie qu’il était censé fonder ne pouvait se réclamer ni de la légitimité héréditaire des Bourbons, ruinée par Charles X, ni de la légitimité du suffrage universel portée par l’émergence de la société démocratique. Les valeurs sur lesquelles pouvait s’adosser la monarchie de Juillet étaient donc limitées à la souveraineté nationale, symbolisée par le drapeau tricolore, et à l’ordre constitutionnel incarné par la Charte qui, selon la formule forgée par François Guizot, devenait « désormais la vérité ».
De vrais atouts pour réussir, mais de profonds mécontentements
Louis-Philippe, de par son destin – de sa présence à l’ouverture des États généraux et de sa participation à la Fête de la Fédération à son long séjour en Angleterre ou à son voyage en Amérique de 1796 à 1798, en passant par son engagement dans les batailles de Valmy et de Jemmapes – comme de par ses convictions, disposait de vrais atouts pour incarner et ancrer la monarchie constitutionnelle. Mais le nouveau régime fut d’emblée soumis au feu croisé des légitimistes déchus, des républicains qui estimaient que la révolution de 1830 leur avait été dérobée et des bonapartistes, réconciliés avec la liberté par les Cent-Jours, galvanisés par le retour des cendres de Napoléon et son inhumation aux Invalides en 1840.
« Le paradoxe voulut que la monarchie de Juillet survécût à la multiplication des contestations et des tentatives d’insurrection dans les années 1840, avant de s’effondrer par surprise en 1848, au moment où elle paraissait durablement installée. »
Le paradoxe voulut que la monarchie de Juillet survécût à la multiplication des contestations et des tentatives d’insurrection dans les années 1840, avant de s’effondrer par surprise en 1848, au moment où elle paraissait durablement installée. La menace légitimiste fut la moins sérieuse : l’équipée rocambolesque de la duchesse de Berry en 1832, pour tenter de soulever la Vendée en faveur du comte de Chambord, confirma que toute forme de restauration de l’Ancien Régime appartenait au passé. En revanche, les révoltes des Canuts à Lyon, en 1831 et 1834 et les soulèvements parisiens, en 1832 puis en 1834, soulignèrent l’apparition d’un nouveau risque révolutionnaire, lié à la misère créée par l’industrialisation et à l’émergence du socialisme. Simultanément, l’attentat de Fieschi en juillet 1835 et les tentatives avortées de coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte à Strasbourg en 1836, puis à Boulogne-sur-Mer en 1840, montrèrent que le mythe bonapartiste était loin d’être neutralisé.
Louis-Philippe répondit à ces oppositions violentes par une politique du juste milieu qui s’efforça de faire la synthèse entre la monarchie, la Révolution et l’Empire, adossée à la constitution d’une classe moyenne et au développement de l’économie que résume la célèbre formule de Guizot : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne ». Ligotée en Europe par le spectre de 1815, la monarchie de Juillet déploya par ailleurs une stratégie méditerranéenne et coloniale afin de répondre aux passions nationales, se tournant vers l’Algérie et le Pacifique pour renouer avec les faits d’armes – à l’image de la prise de la Smala de l’émir Abd-el-Kader. D’un côté, la monarchie constitutionnelle se veut un pont entre le passé et l’avenir, revendiquant les symboles d’une histoire longue : transformation de Versailles en palais-musée ; achèvement de l’Arc de triomphe de l’Étoile ; retour des cendres de l’Empereur. De l’autre côté, est mise en scène l’image d’un roi bourgeois, bon père de famille et de la nation.
L’effondrement du régime en 1848 prouva la fragilité de ces efforts, voire leur danger car le rappel des moments les plus glorieux de l’histoire de France mettait en lumière le manque d’ambition, la médiocrité et la confusion des intérêts propres à la monarchie de Juillet. Celle-ci tomba ainsi sans véritable lutte, le 24 février 1848, faute de soutien dans l’opinion et de forces décidées à se battre pour la sauver – y compris au sein de la bourgeoisie qui en avait largement bénéficié. La révolution comporta une dimension accidentelle, liée au vieillissement, au renfermement et au manque de clairvoyance de Louis-Philippe, issue également de la détestation réciproque entre les trois hommes forts du régime, Guizot, Molé et Thiers. Mais elle répondit également à des causes profondes qui ont donné naissance au Printemps des peuples de 1848.
« Une politesse de marchand plutôt que de prince »
En France, la décomposition de la monarchie de Juillet trouve son origine dans des crises économique, sociale, politique et morale qui ont silencieusement convergé, tandis que Louis-Philippe et ses ministres s’enfermaient dans le déni, mais aussi dans une crise de légitimité indissociable de la personnalité du roi, décrite par Alexis de Tocqueville dans le saisissant portrait qu’il en dresse dans ses Souvenirs : « Il avait des mœurs régulières et voulait qu’on les eût telles autour de lui. Il était rangé dans sa conduite, simple dans ses habitudes, mesuré dans ses goûts ; naturellement ami de la loi et ennemi de tous les excès, tempéré dans tous ses procédés sinon dans ses désirs, humain sans être sensible, cupide et doux ; point de passions bruyantes ; point de faiblesses ruineuses ; point de vices éclatants ; une seule vertu de roi, le courage. Il avait une politesse extrême mais sans choix de grandeur, une politesse de marchand plutôt que de prince. Il ne goûtait guère les lettres ni les beaux-arts, mais il aimait passionnément l’industrie. Sa mémoire était prodigieuse et propre à retenir obstinément les moindres détails. Sa conversation prolixe, diffuse, originale, triviale, anecdotière, pleine de petits faits, de sel et de sens, procurait tout l’agrément qu’on peut trouver dans les plaisirs de l’intelligence quand la délicatesse et l’élévation n’y sont point. Son esprit était distingué, mais resserré et gêné par le peu de hauteur et d’étendue de son âme. Éclairé, fin, souple et tenace ; tourné seulement vers l’utile et rempli d’un mépris si profond pour la vérité et d’une si grande incrédulité dans la vertu que ses lumières en étaient obscurcies, et que non seulement il ne voyait pas la beauté que montrent toujours le vrai et l’honnête, mais qu’il ne comprenait plus l’utilité qu’ils ont souvent ; connaissant profondément les hommes mais par leurs vices seulement ; incrédule en matière de religion comme le XVIIe siècle et sceptique en politique comme le XIXe ; sans croyance lui-même ; n’ayant nulle foi dans celle des autres ; aussi naturellement amateur du pouvoir et de courtisans malhonnêtes que s’il fût né réellement sur le trône ; d’une ambition qui n’était bornée que par la prudence, qui jamais ne se rassasiait ni ne s’emportait et qui toujours se tenait près de terre. »1 La chute de Louis-Philippe, provoquée en 1848 par une nouvelle réplique de la Révolution de 1789, eut des conséquences considérables. Elle porta le coup de grâce au principe monarchique. Elle réactiva la dynamique révolutionnaire et ouvrit la voie à l’expérience autoritaire du Second Empire.
Elle confirma les difficultés de la France à se doter d’institutions stables et à acclimater la liberté politique en raison de l’héritage conjoint de la monarchie absolue et de la Révolution, mis en évidence par Alexis de Tocqueville2 : l’extrême centralisation de l’État ; la défiance envers les contre-pouvoirs, les corps intermédiaires et la société civile ; la volonté de fonder la liberté sur une rupture totale avec la tradition et la religion ; la passion pour l’égalité ainsi que la fascination pour la violence, le soulèvement populaire et le recours aux hommes providentiels. L’influence des idées libérales se révéla décisive dans les phases de modernisation de la France, même si elle fut souvent masquée. Mais force est de constater que les réformes s’inscrivirent le plus souvent dans des stratégies de transformation du modèle français conduites par des régimes autoritaires, du Second Empire à la Ve République. Le libéralisme politique, à l’exception de la IIIe République orléaniste, ne s’est jamais pleinement remis en France de l’échec de la monarchie de Juillet. La Ve République en témoigne encore aujourd’hui, monarchie républicaine qui repose sur des institutions hybrides dont la stabilité a pour contrepartie le caractère faiblement démocratique et foncièrement antilibéral.
Nicolas Baverez,
Économiste, chroniqueur et essayiste
1. Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Paris, 1893, Gallimard, 1964, p. 41-42.
2. Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, 1856.
À VOIR
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Exposition
Louis-Philippe et Versailles
Jusqu’au 3 février 2019, château de Versailles
#LouisPhilippeVersailles
Commissariat : Valérie Bajou, Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Scénographie : Hubert le Gall
Horaires :
Tous les jours, sauf le lundi.
9 h-17 h 30 (dernière admission à 17 h).
Billets :
Accessible avec un billet Passeport ou Passeport 2 jours, le billet Château, le billet Exposition, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Visites guidées de l’exposition :
À 10 h 30 : 16, 18 et 24 janvier ; 1er février
À 14 h 30 : 31 janvier ; 2 février.
Visites guidées pour approfondir le Versailles du XIXe siècle : « La galerie des Batailles, l’histoire selon Louis-Philippe », « Les salles des Croisades », « Les salles Empire : la légende napoléonienne », « Louis-Philippe et sa famille à Trianon ».
Visites Famille : « Louis-Philippe en famille »
À 10 h 30 : 13 et 27 janvier.
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr
Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles »
À LIRE
Catalogue de l’exposition :
Sous la direction de Valérie Bajou, co-édition château de Versailles / Somogy, 24 × 30 cm, 49 €.
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr
Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans disponible également à l’entrée de l’exposition.
En partenariat avec Paris Mômes.
À APPROFONDIR
Versailles du XIXe siècle en 100 secondes : une mini-série à découvrir en partenariat avec Beaux-arts.
De nombreux contenus et vidéos sont à retrouver sur chateauversailles.fr et nos réseaux sociaux. #LouisPhilippeVersailles