À 22 ans, Valentin Tournet se raconte avec la simplicité et la joie de celui qui aime à partager sa passion. Il revient sur son parcours que l’alchimie du contexte familial, des rencontres, des choix et des émotions, a tracé tout droit vers ce qu’il est aujourd’hui : chef d’orchestre, fondateur de l’ensemble La Chapelle Harmonique et sensible interprète d’un instrument qui a traversé les siècles, la viole de gambe. De prochains concerts à la Chapelle royale et à l’Opéra royal de Versailles nous donneront le plaisir de l’entendre.
Comment êtes-vous arrivé à la musique ?
Valentin Tournet : Dans ma famille, la musique est une donnée essentielle : mon père est musicien professionnel, ma mère, mélomane. À 4 ans, j’ai entendu la bande sonore de Tous les matins du monde, ce film d’Alain Corneau qui a provoqué une petite révolution musicale à sa sortie en 1991. J’ai ressenti une émotion très forte à l’écoute de cette musique de Marin Marais, composée pour la viole de gambe. J’ai commencé à en jouer à 5 ans, sur un modèle de taille adaptée. L’une des premières choses que j’ai appris à faire, c’est l’improvisation, la création de variations autour d’une mélodie simple. C’est cette capacité d’évasion et cette liberté que j’ai appris à cultiver avec mon père, qui m’ont permis de développer un rapport aussi intime et fusionnel avec mon instrument. Aussi, j’ai fait partie du chœur d’enfants de l’Opéra de Paris, ce qui m’a permis de découvrir les scènes du monde entier. J’ai ensuite été formé au Conservatoire royal de Bruxelles puis au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Je me suis passionné pour la direction d’orchestre auprès de Pierre Cao, fondateur des Rencontres musicales de Vézelay. Le gambiste et chef d’orchestre espagnol Jordi Savall et le chef d’orchestre belge Philippe Herreweghe sont aussi pour moi des figures très inspirantes.
Quelle signification donnez-vous à l’ensemble que vous avez fondé, La Chapelle Harmonique ?
Valentin Tournet : Dans les années 1960-1970, la musique et les instruments anciens ont été redécouverts. En France, ont fleuri des festivals consacrés à ces répertoires que l’on a fait ressurgir du passé, comme celui de Saintes ou de la Chaise-Dieu pour la musique sacrée… Aujourd’hui, nous sommes les disciples de la génération de Jordi Savall et de William Christie, qui ont fait renaître ces musiques anciennes. C’est une histoire de transmission, de passation : désormais, nous revient la responsabilité de faire perdurer ces répertoires que l’on avait oubliés jusqu’à ne plus savoir les jouer. C’est ce qui a motivé la création de mon ensemble, La Chapelle Harmonique, en 2017. Nous servons un vaste répertoire qui s’étend de la polyphonie de la Renaissance jusqu’au baroque des Lumières. Le nom de mon ensemble fait écho à la musique sacrée que j’aime profondément et à l’harmonie, sans laquelle la musique et la vie sont si pauvres.
Quel lien vous unit au château de Versailles ?
Valentin Tournet : J’ai grandi près de Versailles et je connais le Château depuis l’enfance. J’y suis venu à de nombreuses reprises, que ce soit pour faire mon jogging dans le parc, me promener au hameau de la Reine, mon lieu de prédilection, et bien sûr, pour donner et entendre des concerts. J’ai fait ma rencontre « officielle » avec le château de Versailles lorsque j’avais 16 ans : j’ai écrit à Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, pour lui proposer de programmer ma version de la Passion selon saint Jean de Jean-Sébastien Bach. Laurent Brunner m’a reçu et m’a fait confiance. Il m’a permis, grâce au mécénat de l’ADOR (les Amis de l’Opéra royal), de produire ce concert en 2017, après trois ans de travail sur le projet. Depuis, j’ai eu l’occasion de jouer à Versailles à de nombreuses reprises avec mon ensemble. Nous avons enregistré notre premier disque avec Château de Versailles Spectacles, le Magnificat et Cantates pour Noël de Jean-Sébastien Bach, que nous jouerons en fin d’année à la Chapelle royale.
Vous nous donnez plusieurs rendez-vous à Versailles cette année…
Valentin Tournet : Nous avons quatre concerts programmés cette année, jusqu’à novembre autour des Indes Galantes de Rameau et décembre avec Bach. Très prochainement, en avril, nous jouerons la Passion selon saint Jean de Bach dans une version peu courante, très personnelle, avec des tonalités et une instrumentation qui nous replacent dans le contexte du XVIIIe siècle. Nous donnerons ensuite, en juillet, la Messe de la Bataille de Joan Cererols, un compositeur majeur du baroque espagnol dont le nom a été oublié. On ne sait presque rien de sa vie, et si peu de son œuvre ! Pour jouer la Messe de la Bataille, qui célèbre la conquête du royaume de Naples en février 1648, nous avons fait reconstruire, sur des modèles du XVIIe siècle, un consort de violes Renaissance, un consort de bajoncillos, ou bassonnets hispaniques. Ce travail de recherche nous a permis de retrouver les sonorités de ces compositions, la richesse de leurs couleurs harmoniques. Leur émotion et leur sensibilité aussi, car plus que le brio et les effets, je recherche la musique sensible du cœur.
Propos recueillis par Clotilde Nouailhat.
À VOIR
- Bach : Passion selon saint Jean, samedi 6 avril 2019.
- Cererols : Splendeurs Catalanes, vendredi 5 juillet 2019.