Dans le cadre de la restauration de la Chapelle royale, s’est rapidement posée la question de sa très riche ornementation extérieure en plomb. Démontée en même temps que la toiture, celle-ci a été examinée sous toutes les coutures pour déterminer la meilleure façon de lui rendre toute sa délicatesse.
L’ornementation en métal présente, dans la plupart des restaurations, deux problématiques majeures : l’état de son épiderme, souvent altéré par le temps, et celui des armatures internes qui la structurent. Se pose alors souvent la question de la compatibilité des matériaux utilisés. Dans le cadre de la Chapelle royale, les petits problèmes de peau ont été vite résolus par une micro-abrasion douce. La réparation des structures internes s’est révélée plus complexe.
Son ornementation extérieure en plomb fait partie des caractéristiques notables de la chapelle du château de Versailles. Elle souligne les lignes principales de la toiture, ourlant son sommet entre deux splendides groupes d’anges sculptés. C’était autrefois encore plus vrai avec le lanternon qui se dressait en son centre, mais qui fut très vite détruit, en 1764. Sont restés néanmoins l’essentiel de ces décors de plomb qui retrouveront toute leur importance une fois dorés, tels qu’on les voit représentés sur les documents anciens peu après leur réalisation.
Plus notables encore sont les auteurs de ces groupes sculptés qui ornent les deux extrémités de la toiture, Est et Ouest. Artistes renommés, Guillaume Coustou (1677-1746) et Pierre Lepautre (1659-1744) ont réalisé de véritables chefs-d’œuvre dont il s’agit, au cours de cette restauration, de restituer la splendeur. Ces anges ont été conçus pour dominer l’ensemble de la Chapelle, à peine visibles depuis le sol.
Déposés et transportés à Périgueux jusque dans les ateliers de SOCRA, à qui la restauration a été confiée, ils révèlent, à hauteur d’homme, la tendresse de leurs bras et de leurs cuisses potelés, la douceur de leurs têtes joufflues, entourées de boucles.
Des anges plus affaiblis que les autres
Malgré un aspect peu amène, avec des teintes irrégulières dues à l’oxydation et à la corrosion du métal, les surfaces de ces différents éléments se sont révélées dans un état plutôt satisfaisant. Leur diagnostic a, en revanche, souligné la grande différence entre les deux groupes. Celui situé à l’est a plutôt bien résisté au passage du temps tandis que l’autre, à l’ouest, s’est dangereusement affaissé. Cela paraît logique, ce dernier se trouvant exposé aux vents qui s’abattent, sans rencontrer d’obstacles, sur le Château.
La raison principale est néanmoins à trouver ailleurs : c’est pour en discuter que Frédéric Didier s’est rendu, ce jour d’avril 2019, chez SOCRA. Tel un détective, l’Architecte en chef des Monuments historiques chargé du château de Versailles (agence 2BDM) tourne autour des sculptures, à l’affût du moindre indice. Guettant les imperfections, scrutant l’intérieur des corps ouverts, il suit du doigt les anciennes réparations du métal que trahissent les changements de couleur.
« Guettant les imperfections, scrutant l’intérieur des corps ouverts, il suit du doigt les anciennes réparations du métal que trahissent les changements de couleur. »
Les deux groupes ont, en effet, connu plusieurs interventions de restauration dont le détail n’a pas toujours été consigné. Leur fixation à la toiture n’allait elle-même pas de soi : « Il nous a fallu un peu de temps pour comprendre que ces anges ne tenaient que par l’action de la gravité, posés sur d’énormes poinçons », raconte le directeur de SOCRA, Richard Boyer. Les sculptures devaient leur stabilité à la répartition subtile des masses, raccordées entre elles par de généreux drapés, selon un système dit « autoportant » : ce sont les armatures internes, savamment disposées à l’intérieur des corps, qui servaient de structure de soutien.
Question d’armatures
À l’aide d’un endoscope, SOCRA a examiné ces armatures pour chacun des groupes sculptés. Un rapport, illustré par de nombreuses photographies et des relevés 3D, en décrit la nature et la configuration. Le groupe ornant l’est de la toiture a dévoilé des fers de très belle qualité, scellés directement contre la peau. Depuis les jambes jusqu’aux extrémités des ailes, ils épousent parfaitement les courbes des corps selon des lignes tortueuses.
Le groupe Ouest présente une structure moins fine, à partir de « crinolines » : comme les jupons gonflant autrefois les robes, une trame de métal glissée au cœur des sculptures qui comporte deux étages de cerces, l’une au niveau du bassin, l’autre au niveau des épaules. Ces dernières armatures ont été changées à certains endroits par des renforts en inox recouverts de résine qui, d’évidence, sont plus récents. Ils datent probablement de la restauration des années 1980. Paradoxalement, celle-ci a été moins efficace que les précédentes.
Les supports du groupe Est n’ont, au contraire, pas bougé. Ils sont en fer pur, plus malléable que l’inox, et, surtout, ont été enrobés de plomb par passes successives. « C’est une idée de génie, souligne Richard Boyer, car cet enrobage forme une protection des fers, qui craignent la condensation, tout en restant compatible avec la peau des anges ». Une idée qui remonte probablement aux restaurations menées au XIXe siècle par Dufour (1819) ou Questel (1873), les armatures d’origine ayant pratiquement disparu.
Quand les anges parlent
Le parti pris de l’époque explique le très bon état de ce groupe sculpté qui nécessitera un minimum d’intervention. Il inspire grandement ceux qui s’empressent autour du groupe Ouest pour décider d’un protocole de restauration à la fois sûr et respectueux du passé. Quel métal choisir ? Avec quelle section ? Et comment introduire à l’intérieur des anges ces barres de fer ? Par la tête, en la scalpant, par le dos en ménageant des trappes, comme cela a été fait précédemment ? La croix et le palmier qui complètent ces groupes sont également passés au crible. Les remarques fusent, Alexandre, l’un des métalliers de SOCRA, opinant du chef ou, au contraire, faisant la grimace. Quinze années d’expérience au corps à corps avec les matériaux sont sans équivalent pour pouvoir imaginer la mise en œuvre exacte des précédentes réparations et fixer la suivante.
Au fil de la discussion, il paraît clair qu’il faut reprendre la méthode adoptée pour le groupe Est afin de restaurer le groupe Ouest, après avoir vidé celui-ci de ses dernières armatures. « Ce sont les anges eux-mêmes qui nous ont indiqué, par leurs plaies, la démarche à suivre », conclut, avec une certaine émotion, Frédéric Didier. De leur regard juvénile, plein de vivacité, ils nous parlent, en effet, ces anges ailés.
Lucie Nicolas-Vullierme, rédactrice en chef des Carnets de Versailles
La Chapelle royale du château de Versailles a été restaurée grâce au mécénat principal de la Fondation Philanthropia, qui a souhaité fédérer d’autres mécènes. Saint-Gobain, Dior et JCDecaux se sont ainsi également mobilisés en faveur de ce chantier d’ampleur.
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Et plus d’information sur la restauration de la Chapelle royale
sur le site du château de Versailles.