Au Château, l’écoulement du temps prend une dimension particulière. Il se plie aux exigences de la Cour jusqu’à ce que les horlogers Claude-Siméon Passemant et Louis Dauthiau mettent au point, au milieu du XVIIIe siècle, leur extraordinaire pendule astronomique qui rythme, toujours aujourd’hui, le temps au sein de l’appartement intérieur du Roi.
Le premier cadran que les visiteurs découvrent en arrivant à Versailles est celui qui orne le fronton central de la cour de Marbre. Dépourvu de mécanisme, les aiguilles de ce cadran étaient actionnées manuellement et servaient seulement à indiquer les heures de départ et d’arrivée du Roi. Ces aiguilles marquèrent 8 h 15 de la mort de Louis XIV jusqu’au retour de son arrière-petit-fils Louis XV, le 21 juin 1722.
Le château de Versailles possède deux cadrans solaires installés sur le mur nord de la cour des Cerfs. Celui situé sous le balcon servait au repérage de l’heure de l’équinoxe de printemps à celle de l’automne, et le plus haut, au décompte des heures pendant les six mois restant de l’année. […]
C’est une installation archaïque, presque anachronique puisque, à l’époque déjà, les horloges fournissaient une idée plus précise de l’écoulement du temps, avec le décompte des minutes et la succession des quarts et des demies. En témoignent toutes les horloges réparties dans les salles du Palais, preuves de l’exigence de ponctualité qu’impose le cérémonial de la Cour. Louis XIV n’achève jamais le Grand Lever sans dire : « Messieurs, il est huit heures et quart ». La montre du souverain est réglée chaque jour d’après l’heure indiquée par l’horloge de sa chambre de parade, tout comme les Parisiens se fient à l’horloge du Palais de la Cité ou au méridien de Saint-Sulpice pour régler leur existence. […]
La pendule dite de Passemant : « Un rapport parfait entre l’espace et le temps »
Cet objet remarquable décline simultanément le temps astral, représenté au sommet par une sphère armillaire de type copernicien ; le temps horaire avec un cadran en porcelaine émaillé doté de quatre aiguilles ; le temps calendaire avec un mécanisme qui intègre automatiquement les variations mensuelles, tandis que la succession des vingt-neuf décans lunaires est représentée en dessous, sur un fond de ciel étoilé. En période d’éclipse, un cache en argent apparaît, précisant si elle sera totale ou partielle. La position de chaque planète est donc établie en fonction du mouvement ellipsoïdal que Kepler avait déduit des écarts de positions de Mars séquencées par Tycho Brahe.
Cette prouesse technique a exigé vingt années de travail. Le mathématicien Passemant consacra huit années à l’élaboration des calculs et à la conception du rouage dont la fabrication demanda douze ans à l’horloger Dauthiau. Soumise à l’appréciation de l’Académie des sciences, l’expertise de cette pendule dura deux ans en raison de la complexité des calculs et du mécanisme. Finalement, elle fut déclarée exacte au dixième de degré près, signifiant ainsi un rapport parfait entre l’espace et le temps.
Le rouage est actionné par un balancier qui décline les secondes et actionne la troisième aiguille du cadran horaire. […] Notons un détail important qui est rarement évoqué : le balancier est équipé d’une réglette graduée. Elle est indispensable, car la longueur du balancier doit être réglée selon la latitude qui correspond à Versailles à 42 degrés de latitude nord. Il faut également noter que la tige du balancier est en acier alors que le disque fixé à son extrémité est en cuivre. Ce dispositif s’est imposé pour contrarier la dilatation des métaux susceptible de contrarier l’oscillation du pendule en fonction des variations de température. […]
D’ici au 31 décembre 9999 à 23 heures 59 minutes 59 secondes
Le calendrier mécanique imaginé par Passemant indique séparément l’année, le jour, le quantième et le mois. L’affichage des années bissextiles s’effectue donc automatiquement. Le changement de datation est programmé à 0 heure pour chaque nuit de l’année. La datation universelle est donc assurée jusqu’au 31 décembre 9999 à 23 heures 59 minutes 59 secondes. Il s’agit donc d’un calendrier civil alors que le calendrier imposé par Grégoire XIII avait une utilité astrologique et liturgique. Chaque année, le roi Louis XV réunissait ses proches devant la pendule pour assister au changement de datation du calendrier.
Les vibrations du plancher peuvent dérégler le fonctionnement du mécanisme. La pendule est donc installée sur un socle en marbre qui fait office de masse d’inertie. La secousse du tremblement de terre de Lisbonne fut ressentie jusqu’à Vienne, le 2 novembre 1756, et ce jour-là, la pendule de Passemant s’arrêta.
À l’époque de Louis XIV, les horloges du palais étaient réglées d’après l’heure fournie par celle de la chambre du Roi. La seule qui nous soit parvenue est celle de Morand, installée dans le salon de Mercure depuis 1706. Louis XV exigea qu’elles soient désormais réglées sur la pendule de Passemant, censée fournir au royaume une heure administrative invariable. Dans le même temps, le cadran de la cour de Marbre fut équipé d’un mécanisme conçu par l’horloger Le Roy, rendant ainsi officiel le régime horaire adopté et respecté par le souverain et auquel ses sujets devaient désormais se référer. […]
Jean-Luc Delpech,
historien
Article extrait des Carnets de Versailles n°15 (avril-septembre 2019).
À LIRE
Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 33 de la revue Château de Versailles (avril-juin 2019).
La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château