Pourquoi la signature du traité qui mit fin à la Première Guerre mondiale fut-elle organisée au château de Versailles, dans la galerie des Glaces ? L’histoire remonte loin, bien au-delà de la proclamation de l’Empire allemand en janvier 1871.
Dans la mémoire collective, la date du 28 juin 1919 n’a pas laissé la même trace que celle du 11 novembre 1918, et s’il est vrai que la seconde avait marqué, par la signature de l’armistice, la fin des combats, la première mit un terme définitif au conflit entre la France et l’Allemagne. La date du 11 novembre s’était imposée dans l’urgence pour mettre fin sans délai à la véritable boucherie qui ravageait la France depuis quatre ans. La localisation de l’événement à Rethondes, proche du front, avait permis de réunir rapidement les délégations allemande et française. Le choix de la signature du traité de paix avec l’Allemagne un 28 juin, tout comme celui de la galerie des Glaces pour accueillir la cérémonie, répondaient à une réflexion longuement mûrie et riche de sens.
Consensus sur une réparation
C’est à la demande de Georges Clemenceau que la Conférence de la paix s’ouvrit à Paris en janvier 1919 et que la signature du traité eut lieu au château de Versailles. Le président du Conseil avait été, comme jeune journaliste, profondément marqué par la guerre franco-prussienne et par l’humiliation ressentie lors de la proclamation de l’Empire allemand dans la galerie des Glaces, le 18 janvier 1871. À soixante-dix-sept ans, Clemenceau tenait là sa revanche. Mais loin d’être propre à l’homme d’État, ce vif ressentiment était largement partagé par la population française. Et très tôt, alors que l’issue du conflit était encore incertaine, des voix s’étaient élevées pour que la future signature avec la puissance ennemie ait lieu à Versailles ; ainsi Henri Welschinger écrivait-il dans une biographie consacrée à l’éphémère empereur Frédéric III (1831-1888), publiée en 1917 : « la proclamation de l’Empire allemand eut lieu, le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces, au pied de la statue de Louis XIV au passage du Rhin. Nous n’oublierons pas, je l’espère – et je recommande instamment cette clause aux futurs négociateurs – de faire signer la paix prochaine à la même place, afin d’effacer le souvenir d’un acte insolent, accompli dans le palais du Grand Roi sur notre territoire profané », revendiquant deux ans plus tard « l’honneur d’avoir été le premier, en pleine guerre, bien avant la victoire décisive, à souhaiter une réparation qui va devenir un fait historique considérable entre tous »1.
« La galerie des Glaces cristallise dans son décor la relation conflictuelle entre les deux nations. »
Où « tant de desseins funestes à l’Allemagne ont été formés »
La vision de Bismarck, chancelier de Prusse, au lendemain de la reddition de l’armée française à Sedan et de la chute du Second Empire, était tout aussi symbolique : marquer par une cérémonie à Versailles la revanche de l’Allemagne sur les humiliations subies au passage des armées de Louis XIV et de Napoléon.
La galerie des Glaces cristallise dans son décor la relation conflictuelle entre les deux nations, sa voûte figurant le déroulement de la guerre de Hollande qui avait opposé à la France les puissances alliées, guerre conclue par la paix d’Utrecht en 1678 qui renforçait le pré carré français ; et nombre de compositions rappellent des épisodes victorieux des armées de Louis XIV en terre germanique, notamment La Franche-Comté conquise pour la seconde fois, 1674, où l’Empire est ridiculisé sous les traits d’un aigle « qui crie et qui bat des ailes sur un arbre sec », évoquant « les vains efforts que fit l’Allemagne pour empêcher cette conqueste »2. Outre son décor à la gloire d’une France omnipotente en Europe, la galerie des Glaces était apparue, dès son inauguration, comme l’outil privilégié de la diplomatie de grandeur du Roi-Soleil.
Ainsi le doge de Gênes avait-il dû se rendre à Versailles en 1685 pour présenter à Louis XIV les excuses de la République ligure. Cette manifestation fastueuse, mais particulièrement humiliante en public, avait marqué la galerie d’un ton politique dominateur vivement ressenti à l’extérieur. Mais l’animosité de l’Allemagne envers la France s’installa durablement à l’occasion du sac du Palatinat, ordonné par Louis XIV lors de la campagne militaire de 1688-1689. Spécifiquement dirigés contre le Saint-Empire, ces ravages systématiques – symbolisés par les ruines volontairement conservées en l’état du château électoral de Heidelberg – ne lui furent jamais pardonnés. Ils exacerbèrent le sentiment anti-français dont Bismarck sut jouer, près de deux siècles plus tard, en réunissant les princes allemands autour de la Prusse.
Une longue table devant les miroirs
La galerie toutefois avait pu présenter un jour diplomatique plus aimable lorsqu’y furent reçus en audience les ambassadeurs du Siam, en 1686, puis l’ambassadeur de Perse en 1715, et sous le règne de Louis XV, l’ambassadeur turc en 1742. Le cérémonial avait alors repris celui de l’audience du doge de Gênes, avec le trône du roi dressé à l’extrémité de la galerie contre l’arcade fermée du salon de la Paix. En 1871, les Prussiens avaient adopté cette même disposition, plaçant toutefois l’estrade du côté du salon de la Guerre. Mais ce ne fut pas le parti retenu en 1919 : ce n’était pas alors un chef d’État, mais le Conseil des Alliés qui recevait la délégation allemande, et ses représentants furent installés au centre de la galerie, derrière une longue table placée devant les miroirs. Tout fut pensé pour transcender le souvenir de 1871.
La délégation allemande, composée de près de deux cents experts, fut logée à l’hôtel des Réservoirs, à proximité immédiate du château, non seulement pour des raisons pratiques, mais surtout parce que c’était là qu’avaient résidé les représentants français lors des négociations avec Bismarck. Les représentants allemands reçurent, au Trianon Palace, les conditions de paix des Alliés le 7 mai, date anniversaire du torpillage du paquebot britannique Lusitania en 1915, qui avait indigné l’opinion. La date du 28 juin choisie pour la signature correspondait à celle de l’assassinat à Sarajevo, cinq ans plus tôt, de l’archiduc François-Ferdinand par le nationaliste serbe Princip, qui avait provoqué l’escalade fatale menant au déclenchement du premier conflit mondial.
Bertrand Rondot,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1. Henri Welschinger, L’Empereur Frédéric III, 1831-1888, Paris, F. Alcan, 1917.
2. Pierre Rainssant, Explication des tableaux de la Galerie de Versailles et de ses deux sallons, Versailles, 1687.
Dans le cadre du partenariat qui réunit Le château de Versailles, la Ville d’Arras et la Région Hauts-de-France.
À VOIR
Exposition
Le traité de Versailles. Le centenaire de la signature
au musée des beaux-arts d’Arras, du 28 juin au 11 novembre 2019.
22 rue Paul Doumer
62000 Arras.
arras.fr
Commissariat :
Bertrand Rondot, conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, et Marie-Lys Marguerite, conservatrice du patrimoine directrice du Musée des beaux-arts d’Arras
Horaires :
Ouvert les lundis, mercredis, jeudis et vendredis de 11 h à 18 h, le samedi, dimanche et jours fériés de 10 h à 18 h.
Droits d’entrée : 2 €
Gratuit pour les – de 25 ans, étudiants, abonnés à la carte « 1 an à Versailles », amis du musée d’Arras et du château de Versailles.
Une journée particulière
De l’arrivée des plénipotentiaires au cérémonial de la signature dans la galerie des Glaces : retrouvez cette journée et ses préparatifs en vidéo dans l’exposition, ainsi que sur la chaîne YouTube du château de Versailles.