À peine avait-on découvert la valeur du patrimoine historique que l’artiste Auguste-Alexandre Guillaumot se prit de passion pour un lieu quasiment disparu. Il fit ainsi ressurgir le souvenir évanescent de la résidence de Marly où les courtisans rêvaient d’être conviés par le Roi.
« Maintenant la charrue se promène sur le sol jadis occupé par les treize palais de Louis XIV ; l’épi doré a remplacé le chêne orgueilleux qui prêta ombrage à une cour brillante […]1 », telle est la vision diffusée par la littérature au XIXe siècle de l’ermitage privilégié de Louis XIV, construit par Jules Hardouin-Mansart. À la suite des vandalismes révolutionnaire et napoléonien, la destinée du domaine était devenue sombre. Marly, résidence royale, n’existait plus, le site était désormais dévolu aux chasses et à l’exploitation agricole. Les rares vestiges matériels témoignant de son passé historique (les ruines du Pavillon royal et l’Abreuvoir) avaient été quasi oubliés et les lignes anciennes du jardin englouties sous la végétation sauvage.
Le dessinateur-graveur Auguste- Alexandre Guillaumot (1815-1895) s’attela cependant à la difficile tâche d’évoquer le monument disparu par la consultation des dessins et estampes témoignant de l’apparence du château anéanti et par de premières fouilles. Sa monographie d’architecture, intitulée Château de Marly-le-Roi, construit en 1676, détruit en 1798, dessiné et gravé d’après les documents puisés à la Bibliothèque impériale et aux Archives, avec texte, contribua à la redécouverte durable de ce domaine prestigieux.
Une vie consacrée à la redécouverte de Marly
De formation académique, Guillaumot participa à de nombreuses éditions d’ouvrages d’architecture, ainsi qu’au Salon des artistes français. Il gravitait autour d’Eugène Viollet-le-Duc, dont le fils possédait une propriété à Louveciennes. Cela amena l’artiste à s’intéresser à Marly et à son passé royal qui occupèrent, à partir de 1857, l’essentiel de ses travaux. Il s’y installa définitivement en 1870.
Son intérêt pour le domaine naquit de sa fréquentation assidue, pendant près de trente-cinq ans, des vestiges dans le parc. Des croquis et des aquarelles attestent qu’il se rendit à de nombreuses reprises in situ pour se familiariser avec les lieux, ce qu’il ne manqua pas de souligner : « Que de fois, poussé par la curiosité à la recherche d’un emplacement que rien ne révélait, j’ai parcouru ce parc et dessiné dans une solitude complète.2 » L’attrait de Guillaumot pour ces vestiges suscita en lui un vif intérêt archéologique. Il effectua les premières fouilles à Marly dans les années 1860-1870 et, après diverses trouvailles fortuites, dirigea plusieurs sondages au cours desquels il découvrit des fragments de carreaux de faïence des bassins. Il croqua les objets découverts dans des dessins aquarellés d’une grande précision et vivacité de coloris et tenta d’en restituer les compositions.
Guillaumot ne manqua pas de proposer au public du Salon des artistes français des vues du domaine, jusqu’à ce que ses travaux fournissent le matériau adéquat pour élaborer un projet éditorial, qui prit la forme d’une monographie d’architecture. Les trois éditions (1865, 1876 et 1910) présentent un texte, mêlant propos historique ou descriptif, anecdotique ou pittoresque, et une riche iconographie gravée. Quelle méthode de travail Guillaumot adopta-t-il pour reconstituer Marly dans ses planches ? Le Musée-Promenade de Marly-le-Roi – Louveciennes conserve un ensemble important de dessins issus du fonds d’atelier de l’artiste et entrés dans ses collections grâce à plusieurs dons.
« Guillaumot fit preuve d’une réflexion rigoureuse, basée sur une importante documentation. En parallèle des croquis et pochades exécutés sur le vif, il se livra à une minutieuse compilation d’archives. »
Guillaumot fit preuve d’une réflexion rigoureuse, basée sur une importante documentation. En parallèle des croquis et pochades exécutés sur le vif, il se livra à une minutieuse compilation d’archives via la copie et le calque de dessins et gravures conservés aux Archives nationales et au département des Estampes de la Bibliothèque nationale. Il poussa toujours plus avant sa connaissance du domaine, consultant massivement les sources, telles que les vues d’architecture, les dessins de l’agence Robert de Cotte ou les estampes diffusées par le Cabinet du Roi. Aux Archives nationales, les « Albums de Marly » exécutés à la fin du règne de Louis XIV lui fournirent de nombreuses vues aquarellées des jardins. Il eut aussi tout loisir d’arpenter le jardin des Tuileries, où de nombreuses statues du domaine de Marly avaient été transférées. Enfin, il élargit son champ par l’étude d’estampes témoignant de la vie de cour aux XVIIe et XVIIIe siècles.
« Ressusciter l’atmosphère des séjours de la Cour »
Toutefois, le caractère scientifique du projet de Guillaumot n’exclut pas une certaine subjectivité et une poétique des ruines liée au pittoresque romantique. Il ne se limita pas à copier fidèlement les sources, mais les interpréta, avec une part de liberté et de fantaisie. Ses apports propres se détectent dans le point de vue surplombant la scène, l’animation de relevés architecturaux arides par des saynètes pittoresques et l’insertion des architectures et bosquets dans leur contexte paysager plus large.
Par cette transposition personnelle, il tendit à produire plus qu’une simple recréation d’une demeure historique en plongeant le lecteur dans la dimension vivante d’une époque. Son objectif constant fut autant de restituer l’apparence architecturale du château que de ressusciter l’atmosphère des séjours de la cour sous Louis XIV. Cette investigation passa par la lecture de témoignages littéraires, tels ceux des mémorialistes récemment redécouverts et réédités. La démarche de Guillaumot, soucieuse d’exactitude historique, de reconstitution archéologique par la confrontation entre vestiges exhumés et archives, et d’évocation de l’art de vivre à Marly, lui permit de réaliser la restitution iconographique du site à son apogée. En outre, l’ouvrage contribua à une prise de conscience patrimoniale, amenant le classement au titre des monuments historiques des vestiges de l’Abreuvoir en 1874, puis d’une partie du domaine en 1928, et enfin du domaine entier en 1932.
Hélène Queval,
historienne de l’art
1. Alexis Donnet, Description des environs de Paris, considérés sous les rapports topographique, historique et monumental, Paris, Treuttel et Würtz, 1824, p. 420.
2. Auguste-Alexandre Guillaumot, Château de Marly-le-Roi…, Paris, A. Morel, 1865, p. 9.
À VOIR
Le parc de Marly est ouvert tous les jours, de 7h30 à 19h30.
Accès libre et désormais ouvert aux vélos.
Informations sur chateauversailles.fr