À la fin du XIXe siècle, le Château sort de sa torpeur : grandeur, mélancolie, exubérance, c’est tout cela à la fois qui sied à la Belle Époque. Le Tout-Paris est entraîné dans un hymne improbable où se mêlent les brumes de l’automne, les créations historicistes, les images publicitaires, les artistes oubliés comme les figures incontournables.
Oscillant entre abandons et surprenantes résurrections, depuis son origine jusqu’au milieu des années 1950, le Château se nourrit d’un cycle ininterrompu de renaissances. Rien n’est plus vrai pour le tournant des XIXe-XXe siècles, période durant laquelle une confluence unique d’esprits aussi érudits qu’éclairés se penche sur son devenir : politiciens, écrivains, artistes, mondains… Tous se passent le mot : Versailles est de nouveau à la mode. Le Tout-Paris s’y presse lors de fêtes inoubliables, inspirées du Grand Siècle et des folies champêtres de Marie-Antoinette.
Après avoir enduré « une pente de dédains », pour paraphraser Marcel Proust, qui peut encore croire à ce réenchantement ? Probablement, le jeune conservateur du musée, Pierre de Nolhac, qui œuvre au rayonnement de cette institution « qui n’intéresse plus personne ». Mais il n’est évidemment pas le seul. Le recensement des très nombreux acteurs de cette renaissance confinerait à une litanie : Marcel Proust, Maurice Barrès, Robert de Montesquiou, la comtesse Greffulhe, Raymond Poincaré, Alexandre Millerand, Giovanni Boldini, Alexandre Benois, Maurice Lobre, Paul Helleu, Gaston La Touche, Achille Duchêne, Elsie de Wolfe…
Deux « Palais rose » et un « Versailles des mers »
Versailles fait tourner la tête de la Belle Époque, qui assiste à la construction de nombreuses demeures ou villas, plus ou moins inspirées du Grand et du Petit Trianon. En 1902, Boni de Castellane inaugure en grande pompe son « Palais rose », édifié par l’architecte Ernest Sanson à Paris, à l’angle de l’avenue Foch. À l’instar du roi Louis II de Bavière pour son château de Herrenchiemsee, le dandy a poussé la copie jusqu’à reproduire le fameux escalier des Ambassadeurs, avec sa double volée d’honneur et son plafond peint calqué sur celui de Charles Le Brun. Dans les jardins de son pavillon de Neuilly, puis dans son « Palais rose » du Vésinet, le poète Robert de Montesquiou fait revivre la vasque de l’appartement des bains de Louis XIV. Outre-Atlantique, Richard Morris Hunt conçoit Marble House pour la richissime Alva Vanderbilt. Pour tous ces privilégiés de la jet set, Achille Duchêne dessine des parterres et des bassins dans l’esprit versaillais, et la Compagnie générale transatlantique lance en 1912 un nouveau paquebot, au décor néo louis-quatorzien, surnommé « le Versailles des mers ».
Mode et publicité au diapason
Le mimétisme ne s’arrête pas là. Versailles influence la mode et incline les femmes les plus en vue à se déguiser en costumes d’époque, n’hésitant pas à endosser les atours plus ou moins avisés de Marie-Antoinette. Ce phénomène est particulièrement présent aux États-Unis et trouve sa plus belle expression en la personne de Marjorie Post, femme d’affaires à la tête de la colossale General Foods, passionnée par l’art du XVIIIe siècle français dont elle aime s’entourer au sein de ses multiples résidences.
Cette « versaillomanie » aurait-elle donc été l’apanage des plus riches de ce monde ? Si l’impulsion première émane des classes les plus aisées de la société, reconnaissons qu’une forme de démocratisation s’instaure à partir des années 1900-1910, sans doute à la faveur des Grandes Eaux et des Fêtes de nuit. Versailles exerce une immense fascination que ne manque pas d’exploiter la publicité, déclinant à foison son image, notamment sur les cartes-réclames de chocolat… Pour l’Exposition universelle de 1900, le Bon Marché, véritable « cathédrale du commerce » que décrivit Zola, s’offre une réplique éphémère du Grand Trianon. Enfin, dans une veine plus humoristique, voire érotique, le magazine féminin La Vie parisienne ravive les fantasmes associés au lieu.
Toute cette agitation s’accompagne d’une grande effervescence intellectuelle : les travaux scientifiques des conservateurs et autres historiens d’art se succèdent, assortis de projets de restauration ambitieux, qui ne manquent pas d’éveiller les débats et des critiques parfois acerbes. Pour certains, comme Maurice Barrès, la décrépitude confère un caractère sublime au lieu et il apparaît sacrilège d’y apporter le moindre remède.
Cadavres exquis pour une exposition « un peu folle »
Dans l’esprit même de ce foisonnement tous azimuts, l’exposition « Versailles Revival » explore et analyse cette fascination depuis le Second Empire jusqu’à la fin des années 1930. C’est un monde quasiment englouti que nous avons tenté d’exhumer, ressuscité dans le cadre de cette rétrospective, à la manière de « cadavres exquis »1 dont le seul dénominateur commun demeure Versailles. À bien des égards, on pourrait assimiler l’exposition à un Salon des Refusés, tant la plupart des artistes mis à l’honneur ont disparu des orbites de l’histoire de l’art. Le peintre Maurice Lobre y fait figure de modèle : son œuvre aujourd’hui oubliée s’apparente à une déclaration d’amour pour le Château. De même, tout un pan de la production en lien avec le courant historiciste demeure très difficile – voire impossible – à débusquer dans la nébuleuse des collections privées.
Il ressort de notre enquête un ensemble très hétéroclite, propre à l’effervescence de la période : peintures, dessins d’architecture, films, cartes postales…. Le catalogue reflète cette multiplicité des sujets et les perspectives ouvertes par cette vaste investigation. Si l’on ne peut prétendre à l’inédit – le musée Lambinet, à Versailles, ayant, par le passé, exploré une partie du sujet lors de deux expositions – c’est la première fois que le musée réserve ses cimaises à cette période un peu folle.Claire Bonnotte,
co-commissaire de l’exposition
1. Jeu d’esprit inventé par les surréalistes.Dernière salle de l’exposition. © château de Versailles / Didier-Saulnier.
La réaffirmation d’un rôle politique
Parallèlement à ces différents courants, plus ou moins concomitants, Versailles réaffirme son assise par le biais de la diplomatie et de la politique. En 1871, le IIe Reich allemand naît dans la galerie des Glaces, insupportable affront. C’est dans ce même salon qu’est signé, en 1919, le traité de paix mettant fin à la Première Guerre mondiale.
Entre-temps, la République s’est installée à Versailles, faisant renaître tout un appareil étatique au sein du palais : pour les besoins de l’Assemblée nationale, puis du Sénat, l’Opéra royal est sacrifié dès 1871. Tout au long de la IIIe République, les visites diplomatiques de grands chefs d’État se succèdent.
À VOIR
Exposition Versailles Revival, 1867-1937
du 19 novembre 2019 au 15 mars 2020
Château de Versailles
#VersaillesRevival
Commissariat :
Laurent Salomé, Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
et Claire Bonnotte, collaboratrice scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Scénographie : Hubert Le Gall, assisté de Laurie Cousseau
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Audioguide de l’exposition, disponible en français, anglais, espagnol. Inclus dans le billet.
Téléchargeable gratuitement sur l’application Château de Versailles.
Visites guidées de l’exposition, sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne
Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles »
Visites familles, sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne
À LIRE
Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles – In Fine ; 448 p., 24 x 30 cm ; prix : 49 € ; disponible sur boutique-chateauversailles.fr et dans les boutiques du Château.
Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans est disponible à l’entrée de l’exposition et en téléchargement
En partenariat avec Paris Mômes