Ces tableaux géants, trop grands pour être présentés au public de manière permanente, sont conservés sur des rouleaux. Le récolement décennal offre l’occasion de les déployer un par un, et de redécouvrir des œuvres parfois très connues.
Depuis que la conservation du Château s’est lancée dans le récolement décennal des collections (lire encadré), fin 2009, la dernière étape, du côté des peintures, était très attendue : le déroulement des tableaux de très grand format, stockés dans les réserves depuis des décennies. Cette opération, programmée sur plusieurs années et organisée par sessions de quelques jours, a débuté à l’automne 2018.
« Autant dire qu’en raison du format des peintures, du poids des toiles et des rouleaux sur lesquels elles sont conservées, l’affaire n’est pas simple à mettre en œuvre. »
L’équipe de la régie des collections – chargée du déplacement des œuvres – et tous ceux qui sont impliqués dans le récolement décennal travaillent de concert avec un groupement de restauratrices extérieures1. Autant dire qu’en raison du format des peintures, du poids des toiles et des rouleaux sur lesquels elles sont conservées, l’affaire n’est pas simple à mettre en œuvre, mais elle est l’occasion de redécouvertes spectaculaires.
Des tableaux monumentaux roulés du temps de Pierre de Nolhac
L’opération concerne environ 90 tableaux, depuis des cartons de tapisserie du règne de Louis XIV jusqu’à de « grandes machines » illustrant les débuts de la IIIe République. Ces batailles et revues navales, visites diplomatiques, remises de récompenses et obsèques nationales étaient entrées au musée au temps de Pierre de Nolhac2 avant que l’administration ne se détourne de Versailles pour des raisons aussi bien pratiques – le musée était « plein à craquer » – qu’idéologiques – l’État tendait à inonder le pays de commandes et d’achats « républicains« .
Beaucoup de ces tableaux roulés l’ont d’ailleurs été du temps de Nolhac, lorsqu’il eut entrepris de rendre à la résidence royale sa splendeur originelle. Désireux de restituer les lieux les plus importants du château, il était aussi conscient de la nécessité de moderniser le musée. Pour ce faire, il fit démonter méthodiquement les installations de Louis-Philippe, ce système de tableaux enchâssés dans des boiseries qui garnissait la totalité des espaces réaménagés entre 1834 et 1848, y compris les appartements royaux et princiers, dans le cadre du grand programme des Galeries historiques.
Un « chantier de collections » hors normes
Notre chantier du moment s’organise en une suite d’opérations : le déroulement du tableau – il peut y en avoir jusqu’à trois sur un même rouleau – ; un constat d’état complet, de la toile comme de la couche picturale ; des prises de vues ; puis le ré-enroulement du tableau, avec beaucoup de soin, sur un matériel plus récent. La plupart de ces tableaux avaient déjà été déployés dans les années 1970-1980 et photographiés en noir et blanc, mais jamais en couleurs ! C’est chose faite. Le constat d’état est accompagné de propositions de restauration : au-delà du récolement, il faut penser à l’avenir de ces œuvres. Cela n’avait jamais été fait non plus ; nos prédécesseurs ne disposaient pas des moyens et locaux appropriés pour mener à bien une entreprise de cette ampleur. Il s’agit là d’un véritable « chantier de collections » tel qu’il s’en pratique dans tous les musées depuis quelques années.
Retrouvailles
Parmi les œuvres redécouvertes, on notera les cartons réalisés pour la prestigieuse tenture de tapisserie de L’Histoire du Roy relatant les événements du règne de Louis XIV. Tous avaient été placés sous Louis‑Philippe dans les Grands Appartements, où Nolhac les remplaça, à la veille de la Grande Guerre, par les tapisseries correspondantes. Beaucoup des batailles napoléoniennes, qui se trouvaient dans les salles historiques de l’aile du Nord ou dans celles du Consulat et de l’Empire, au rez-de-chaussée de l’aile du Midi, datent de la monarchie de Juillet. Rétrospectives et de moindre valeur, elles avaient été écartées par Nolhac au profit de celles commandées par l’Empereur lui-même.
Mais il nous tarde de retrouver les plus grands tableaux : la Bataille de Marengo, de Carle Vernet (4,65 × 9,95 m), autrefois installée dans la salle qui porte son nom et retirée au temps des Assemblées, dans les années 1870 ; le Sacre de Charles X, de Gérard (5,14 × 9,72 m), le dernier grand spectacle de la monarchie restaurée ; le Siège de Rome, en 1849, d’Horace Vernet (4,89 × 9,97 m) ; ou les deux grandes victoires du Second Empire, la Prise de la Tour de Malakoff, à Sébastopol, en 1855 (6 × 9 m), et la Bataille de Solférino, en 1859, d’Adolphe Yvon (6 × 9 m), présentées autrefois dans la salle du Maroc, etc.
Au terme de cette campagne, espérons – gageons – que certaines de ces œuvres retrouveront une place à Versailles, ou ailleurs. En tous cas, la première étape de leur nouvelle vie aura été franchie.
Frédéric Lacaille,
conservateur en chef du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1 Claire Boual, mandataire, Chantal Bureau, Costanza Ceradini, Aurélia Garnier-Liénart, Sophie Germond, Marie-Noëlle Laurent-Miri, Camille Thill, Lucia Tranchino et Antonella Trovisi.
2 Conservateur au musée de Versailles de 1887 à 1920.
Récolement : un mot d’expert pour une identification
« Le récolement est l’opération qui consiste à vérifier, sur pièce et sur place, à partir d’un bien ou de son numéro d’inventaire, la présence du bien dans les collections, sa localisation, son état, son marquage, la conformité de l’inscription à l’inventaire avec le bien ainsi que, le cas échéant, avec les différentes sources documentaires, archives, dossiers d’œuvres, catalogues. »
Voir « Le récolement décennal dans les musées »
Quand ces grands tableaux sortent de leur réserve
De tous les grands formats acquis par la République, nous avons pu découvrir ces dernières années, les Funérailles de Sadi Carnot au Panthéon, 1er juillet 1894, de Georges Bertrand (6,05 × 9,28 m), dans l’exposition « Le Roi est mort» (2015), et nous pouvons actuellement voir la Fête du Centenaire des États-Généraux au bassin de Neptune, d’Alfred Roll (6,10 × 9,30 m), dans l’exposition « Versailles Revival ». Ce tableau a été commandé pour la salle du Sacre, où il a figuré à la place du tableau éponyme, de 1894 à 1947, puis a été remplacé à son tour par la seconde version du Sacre, acquise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.