L’on raconte qu’une toilette appropriée et le port d’une épée suffisaient autrefois pour rentrer dans le Château. Qu’en disent les visiteurs étrangers dont on a pu conserver les témoignages écrits ? La base de données constituée en 2019 par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV) est une source intarissable qui répond à cette question.
Le plus simple, pour le visiteur français ou étranger arrivant à Versailles, est d’accéder aux jardins et au Château lorsque le Roi n’y est pas. L’usage, qui relève en partie de la légende, veut qu’il faille seulement se munir d’une épée et d’une toilette adéquate. Mais, comme le rappelle Mathieu da Vinha, directeur scientifique du CRCV, il s’agit d’une règle tacite, transmise probablement par le bouche-à-oreille, puisqu’il n’existe pas de règlement à proprement parler1.« Tout ce qu’on lui demande, c’est d’être bien habillé »
Les témoignages corroborent l’idée généralement admise de la tenue correcte exigée ; ainsi de Sophie von La Roche en 1785, de Heinrich Friedrich von Storch en 1786 et de Carl Gottlob Küttner en 1787 : « n’importe qui peut aller dans le palais royal, tout ce qu’on lui demande, c’est d’être bien habillé » (Küttner).
D’autres donnent une vision un peu différente, à une période antérieure : pour Sacheverell Stevens, en 1738, la seule condition d’accès est le port de l’épée et d’une perruque, tandis que « le reste de la tenue est indifférent ». En septembre 1754, le médecin suédois Roland Martin insiste également sur la nécessité de se procurer une coiffure, il précise d’ailleurs être passé à son auberge pour « accommoder sa perruque » avant de se rendre au Château. Le compte de ses dépenses révèle le prix de cet accessoire apparemment indispensable : presque le double de la course de Paris à Versailles.
À la toute fin du règne de Louis XV, Johann Friedrich Karl Grimm, médecin du duc de Saxe-Gotha, considère qu’outre la perruque, il est requis d’être « habillé correctement » et de porter une épée, sans nécessairement avoir de canne. Le lorrain François Cognel focalise l’attention sur encore d’autres éléments en 1787 : l’épée, mais aussi la « bourse ».
En dépit de ces variantes, tous s’accordent néanmoins sur un fait, valable sous Louis XIV comme sous Louis XV et Louis XVI : « tout le monde, natif ou non, sans distinction » peut se rendre dans le parc (Stevens, 1738), « tous ceux qui le souhaitent sont autorisés à entrer et déambuler dans la splendide galerie » (Martin, 1754), « l’accès à la cour est ouvert à tous » (Garampi, 1761 ou 1762), « n’importe qui peut aller dans le palais royal » (Küttner, 1787). En somme, comme l’écrit Johann Peter Willebrandt (probablement en 1758), « avec peu, vous pouvez faire à Versailles ce que vous voulez », « mais rien ne doit être touché » (anonyme, Kurze Beschreibung).
Restrictions et exceptions
Néanmoins, tous les espaces ne sont pas également ouverts au public. En raison des vols et des dégradations, des restrictions plus importantes sont imposées par Louis XIV vers 1680. De même, des précautions plus grandes sont prises après la tentative (avortée) d’assassinat de Damiens sur la personne de Louis XV, en 1757. Comme le relate le Gallois Thomas Pennant en mars 1765 : « l’admission des étrangers n’est pas vraiment aisée depuis l’affaire de Damiens. J’ai été obligé de requérir Marsy [capitaine des gardes] deux fois pour avoir une réponse ». Ces mesures de sécurité limitent alors l’accès aux pièces de l’appartement intérieur du roi, y compris lorsque le prince est absent.
Il existe des exceptions assez nombreuses. Si Storch explique que les « étrangers ne peuvent en général se montrer que dans les grandes pièces » (1786), il s’avère qu’en réalité, certains bénéficient de privilèges grâce à leur statut social, à leurs relations ou parfois, plus simplement, grâce à la bonne volonté d’un officier ou d’un garde. Par l’intermédiaire de Monsieur Hénin, « l’une des personnes les plus appréciées du cabinet du comte de Vergennes », Sophie von La Roche accède ainsi à l’appartement intérieur du roi pendant que Louis XVI est à la messe (7 juin 1785), et même, quelques jours plus tard, aux appartements royaux des attiques (15 juin).
Une liberté appréciée des Anglais
Même limitée à certains égards et restant aléatoire selon les lieux, les personnes et les rencontres, cette liberté de circuler est particulièrement appréciée des Britanniques. Sacheverell Stevens y voit « un grand avantage », surtout lorsqu’il fait la comparaison avec les règles en usage dans les palais des rois d’Angleterre, plus restrictives : « ici [dans le parc de Versailles], n’importe qui peut déambuler sans contrôle, avec la même liberté que s’il était le propriétaire des lieux, sans être dérangé ou importuné ».
Quelques années plus tard, en 1787, l’agronome anglais Arthur Young est également agréablement surpris par cette accessibilité. Bien qu’il reste étonné par la grande variété des publics présents dans l’Appartement du roi (en son absence), il n’en admire pas moins cet esprit ouvert et accueillant, qu’il rattache volontiers au « bon naturel » des Français.
Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
1 Mathieu da Vinha, « Accéder à Versailles », catalogue de l’exposition Visiteurs de Versailles. Voyageurs, princes, ambassadeurs, 1682-1789, dir. par Daniëlle Kisluk-Grosheide et Bertrand Rondot, Paris, Gallimard, p. 48-55.
Du « bon naturel » des Français
Sir George Collier, aristocrate qui se rend à Versailles en 1773 pour visiter le château et assister au Grand couvert, explique :
« Depuis l’attentat contre le roi, la prudence est de mise et seules quelques personnes sont autorisées à s’approcher des appartements privés du roi. Le gentilhomme français avec lequel j’étais s’est efforcé de nous faire entrer, mais en vain. Il commença à exprimer son inquiétude quant à la possibilité d’y accéder. C’est alors qu’un officier de la cour s’approcha de moi et me demanda si ma tenue n’était pas l’uniforme de la marine anglaise. Je répondis par l’affirmative, en lui indiquant mon rang ; sur quoi, avec une grande civilité, il me conduisit jusqu’au gardien des appartements privés, et lui dit de me laisser entrer. J’intercédai pour ma compagnie, qui, avec un peu d’hésitation, fut autorisée [à m’accompagner] ».
Quant à l’agronome Arthur Young, il raconte :
« En examinant l’appartement du roi, qu’il venoit de quitter, avec ces petites marques de désordre qui prouvent qu’il l’habite, il étoit amusant de voir des figures de galériens qui se promenoient librement dans le palais, et même dans la chambre à coucher du roi ; des hommes dont les haillons démontroient le dernier degré de pauvreté, et j’étois la seule personne qui parût surprise de les y voir. Il est impossible de ne pas aimer cette indifférence et ce manque de soupçon. On aime le maître de la maison, qui ne seroit pas offensé de voir ses appartemens ainsi remplis, s’il retournoit subitement ; car si l’on craignoit qu’il le fût, on ne permettroit pas d’entrer. C’est certainement un trait de ce bon naturel, par-tout si visible en France ».
La base de données « Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV dans le cadre du programme « Identités curiales et le mythe de Versailles en Europe », la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages des visiteurs venus du monde entier entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Une série d’articles les met en valeur, confrontant les impressions qui s’en dégagent autour de thématiques récurrentes. Ici, les rituels et cérémonies du quotidien royal.
Versailles a toujours attiré les foules, et pour cause : le roi de France se voulant accessible à ses sujets, sa résidence l’était également. Le château de Versailles était ainsi ouvert à presque tous les visiteurs.
Ceux-ci se caractérisent par une grande diversité, comme l’explique Sophie von La Roche, voyageuse allemande venue en 1785 : outre les diplomates, les grands, les courtisans, les officiers et les fournisseurs, se retrouvent « ceux qui y vont plein d’anxiété avec une requête », ceux « qui y vont pour rendre un service ou pour remercier quelqu’un d’en avoir reçu un », enfin les « curieux et les vaniteux, dont les premiers espèrent voir quelque chose de remarquable, alors que les seconds […] n’y vont que pour pouvoir dire : “J’étais à Versailles” ».
Parmi ces deux dernières catégories, nous comptons les voyageurs étrangers : jeunes aristocrates faisant étape à l’occasion d’un Grand tour, hommes et femmes de lettres invités par des amis ou partis à la découverte de l’Europe, architectes venus compléter leur formation ou observer les lieux, pour n’en citer que quelques exemples.
À LIRE
Sur l’accessibilité de Versailles et, plus généralement, sur le quotidien de la cour :
- Mathieu da Vinha, Le Versailles de Louis XIV. Le fonctionnement d’une résidence royale au XVIIe siècle, Paris, éd. Perrin, 2009.
- Mathieu da Vinha et Raphaël Masson (dir.), Versailles. Histoire, dictionnaire et anthologie, Paris, éd. Robert Laffont.