L’Opéra royal fête aujourd’hui ses 250 années d’existence depuis son inauguration, le 16 mai 1770. Son architecture, sa modularité, sa taille : tout est hors norme dans ce théâtre qui cache bien son jeu sous ses ors, ses faux-marbres et ses miroirs.
On a souvent tôt fait de résumer le grand théâtre du château de Versailles à un vaste et coûteux équipement qui, fastueusement inauguré à l’occasion du mariage du futur Louis XVI avec la jeune archiduchesse Marie-Antoinette en mai 1770, ne servit que rarement jusqu’à la Révolution. Trente-sept fois en dix-neuf ans pour être exact. Et le pas est vite franchi d’en donner la raison en invoquant les frais exorbitants de son fonctionnement, dus surtout à l’éclairage et à la main d’œuvre nécessaire à son importante machinerie. Non dénué de vérité, cet argument est pourtant bien anecdotique et ne doit pas faire oublier les atouts de cette salle exceptionnelle à bien des égards.
Italien par son plan, français par son élévation
D’un point de vue architectural, tout d’abord, ce théâtre est un chef-d’œuvre. On oublie volontiers qu’Ange-Jacques Gabriel en mûrit le projet pendant près de trente ans pour aboutir à ce miracle d’équilibre et d’élégance. Les Archives nationales conservent fort heureusement les plans de l’architecte, qui permettent, encore aujourd’hui, de suivre et de comprendre cette lente évolution dont le résultat constitue une remarquable synthèse de l’architecture théâtrale du temps.
Si la salle est italienne par son plan, son élévation, elle, est bien française, avec ses balcons en retrait progressif et ses loges non cloisonnées. De plus, le fait d’être à la Cour et de bénéficier des moyens et du savoir-faire des équipes des Menus-Plaisirs permit à Gabriel un audacieux choix architectural, impensable ailleurs que dans une résidence royale : renoncer à un quatrième rang de loges pour mettre en valeur la colonnade des troisièmes loges. Ce choix confère à l’ensemble une grande impression de légèreté et de transparence vers l’ailleurs imaginaire que suggèrent les reflets des arcades recouvertes de miroirs. Ce quatrième rang, nécessaire à la jauge de la salle, exista néanmoins, mais constructible et démontable à la demande, comme n’importe quels gradins ou autres installations provisoires édifiées ailleurs dans le Château, le temps d’un événement particulier.
Des structures amovibles pour la première fois pérennes
Cette faculté d’adaptation et de transformation constitue l’un des autres atouts du théâtre. Dès le XVIIe siècle, il n’était pas rare de voir des salles pouvant, par l’ajout de planchers, former avec la scène un vaste espace, le plus souvent dédié à la danse. Ces agencements demeuraient cependant rudimentaires et ils étaient simplement constitués de tréteaux et de planches qui n’appartenaient pas à la structure même du théâtre. Chargé de l’équipement technique de l’Opéra royal, Blaise-Henri Arnoult, premier machiniste de l’Académie royale de musique, conçut pour Versailles un système pérenne permettant de modifier simplement en fonction des besoins les hauteurs des planchers du parterre et de l’amphithéâtre grâce à une machinerie placée sous ces espaces. Ce fut une première. L’Opéra royal pouvait ainsi, au gré des besoins, devenir salle de bal, salle de festin ou théâtre, et offrir au Château des lieux dont, paradoxalement, il avait toujours manqué.
1 400 à 2 000 spectateurs, et même des chevaux…
Cela explique enfin des dimensions elles aussi tout à fait inhabituelles pour un théâtre de cour. La salle fut en effet conçue pour accueillir les festivités extraordinaires et non pour les besoins réguliers de la Cour. Ces festivités, comme les festins royaux ou les bals parés, étaient de véritables spectacles monarchiques mettant en scène le roi et la famille royale devant le public le plus large possible. Il a donc été nécessaire de prévoir un nombre de places très important, rapprochant la salle de Versailles de celle de l’Académie royale de musique, à Paris.
1 400 spectateurs pouvaient ainsi théoriquement assister à un spectacle (la configuration actuelle de la salle en permet environ 650). La jauge était à peine plus petite pour un festin royal. Quant au bal paré, dont la configuration occupait à la fois la scène et la salle, il pouvait se dérouler devant près de 2 000 spectateurs. Car, côté scène, le gigantisme fut de mise, faisant de l’Opéra royal la plus vaste scène française de son temps (il ne fut dépassé qu’en 1875, date de l’inauguration du Palais Garnier). Avec plus de 700 mètres carrés, le plateau pouvait même accueillir des chevaux, qui accédaient au théâtre grâce à un plan incliné reliant les jardins aux terrasses des réservoirs voisins.
Raphaël Masson,
conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
chargé de la recherche appliquée aux collections et de la conservation des théâtres
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- L’article Un décorateur malgré lui, le dessinateur Jean-Louis Prieur et le drapé du rideau de scène de l’Opéra royal, par Jean-Paul Gousset, Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, 2009, n°12, pp. 71-76.
- L’article Les décors de scène conservés au théâtre de la Reine et à l’Opéra Royal de Versailles, par Jean-Paul Gousset et Damien Richter, Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, 2003, n°6, pp.18-34.