On en rêvait, alors, quand on venait à Versailles. Si, sous l’Ancien Régime, le Château était accessible à un grand nombre de visiteurs, voir le Roi s’avérait plus difficile. Petits conseils répertoriés par la base « Visiteurs de Versailles », publiée en 2019 par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV).
Pour qui veut voir le Roi – et c’est le cas de nombreux voyageurs –, la solution la plus simple est d’attendre son passage pour aller à la messe ou en revenir. Nombreux sont ainsi ceux qui, à l’occasion de leur visite du Château, décident de s’arrêter un temps dans la galerie des Glaces.
Se tenir « ferme et debout »,
sans faire la révérence
Dans son fameux guide intitulé Séjour de Paris, paru pour la première fois en 1718, Joachim Christoph Nemeitz délivre plusieurs conseils pour « la conduite qu’on a à tenir dans ces rencontres ». Il indique qu’à l’annonce d’un garde suisse, deux rangs sont formés de part et d’autre de la galerie pour laisser passer le souverain et sa suite. Il n’est cependant pas requis des personnes présentes qu’elles fassent la révérence, « à moins que Sa Maj[esté] ne s’arrêtât exprès pour faire la grâce de parler à celui qui lui fut présenté ».
Nemeitz prévient cependant : « Qu’on se garde bien de se baisser devant les personnes royales ou autres princes et princesses qui vous passent à la Cour, ou qui jettent par hasard les yeux sur vous, mais tenez-vous ferme et debout ». Et de préciser : « En faisant autrement, l’on montre qu’on n’est pas encore dépaysé et qu’on ne sait pas les manières de la cour ». Giuseppe Garampi, en 1761 ou 1762, fait une remarque similaire, soulignant que « celui qui commence à incliner la tête est immédiatement identifié comme étant italien ».
Certains voyageurs au fait des convenances en font une interprétation politique, à l’instar de Sophie von La Roche, le 31 mai 1785 : « Je trouve dans ce cérémonial une connaissance bien calculée de ce qui est fier et majestueux. Ne dit-on pas qu’aucune révérence ne saurait être assez profonde ou que, de toute façon, le Roi est au-dessus de tout ? Les gens y gagnent en amour-propre, subissant moins d’humiliation et moins de contrainte. Ce fut pour moi un moment singulier durant lequel je me dis : “Voilà donc l’homme auquel vingt-cinq millions de personnes sont assujetties. C’est une créature importante que ce roi de France” ».
Des moments opportuns à saisirEn dehors de cette procession qui précède et suit la messe matinale, l’accès à la famille royale est en général plus délicat. Nemeitz détaille les moments accessibles aux visiteurs étrangers : le Grand lever du roi, le dîner au Petit couvert et le souper au Grand couvert. En 1788, un Anglais anonyme ajoute à la liste la messe dominicale (Sketch of a Fortnight’s Excursion to Paris in 1788). Néanmoins, là encore, doivent être opérées des distinctions en fonction du calendrier et des visiteurs concernés, selon leur condition sociale, leur connaissance des usages et leurs relations à la cour.
Dans tous les cas, il est d’abord recommandé d’arriver en avance pour s’assurer une place. Concernant le Grand lever, il s’agit aussi d’arriver à s’imposer, comme l’écrit Nemeitz, « pour attraper l’occasion d’entrer avec la suite dans cet appartement, lorsqu’on ouvrait la porte. Mais quand on venait par aventure un peu trop tard, l’on attendait dans l’Antichambre, jusqu’à ce qu’un des Grands y entrait, ou on grattait tout doucement la porte avec les doigts disant au Huissier ou Portier, qui on était ». L’accès à la messe et au Grand couvert était-il plus aisé ? Réponse dans un prochain article…
Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
Une journée-type du Roi
La journée du roi de France est codifiée, réglée par un cérémonial décrit notamment par les mémorialistes du temps1. Même si la rigueur de cette mécanique a parfois été exagérée – entre autres par le duc de Saint-Simon avec sa montre et son almanach, il reste que l’on retrouve sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI une organisation globale similaire.
Nom du rituel ou du moment de la journée |
Assistance admise | |
Lever | « Petit Lever » | Nourrice, premier valet de chambre, médecins, dauphin, enfants, petits-enfants de France, et ceux qui ont les entrées « par les arrières (ou derrières) ». |
Grandes entrées (toilette) | Grands officiers de la chambre, premières entrées, secondes entrées, brevets d’affaires. | |
« Grand Lever » (habillage) | Princes, ducs et pairs, maréchaux et secrétaires d’État, cinquièmes entrées. | |
Messe | Famille royale et courtisans. | |
Conseil | « Entrées du cabinet » : Secrétaires d’État, etc. | |
Dîner | « Petit couvert »
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Lorsque le roi dîne seul dans sa chambre, courtisans (hommes) assistent au repas debout. |
Divertissements extérieurs | Chasse | Compagnie choisie par le roi. |
Promenade | Compagnie choisie par le roi. | |
Soirées d’appartement | Compagnie choisie par le roi. | |
Souper | « Grand couvert »
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Rassemble le roi et la famille royale ; public plus large (y compris les dames, certaines bénéficiant d’un tabouret selon leur rang). |
Repas en particulier | Pris par le roi seul. | |
« Petit souper »
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Organisés à partir du règne de Louis XV, rassemblent une assistance plus sélective, choisie par le roi. | |
Coucher | « Grand coucher » | Grandes et secondes entrées (cf. lever). |
« Petit coucher » | Autres entrées, plus limitées (cf. lever). |
1 Sur cette question, voir Mathieu Da Vinha, 2011, « La journée de Louis XIV », Château de Versailles de l’ancien régime à nos jours, n°1, avril-juin 2011, p. 8-17.
La base de données
« Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les rituels et cérémonies du quotidien royal.
À LIRE
- Sur la journée du roi, Béatrix Saule, La journée du roi au château de Versailles, Paris, RMN, 1986.
- Sur le cérémonial de cour en général, Frédérique Leferme-Falguières, Les courtisans. Une société de spectacle sous l’Ancien régime, Paris, PUF, 2007.