Pour cette nouvelle biographie de Marie-Antoinette, Jean-Christian Petitfils a réuni parmi les meilleurs spécialistes autour d’un axe fort : celui des lieux que la Reine a habités, aménagés à son goût, traversés par pur divertissement ou sous la contrainte du peuple en colère.
Un nouveau livre sur Marie-Antoinette ! On serait tenté de dire « encore » ! Comment celui-ci se démarque-t-il des autres ?
Plus qu’un personnage historique, la reine Marie-Antoinette est, en effet, une icône mondialement connue. Des centaines d’ouvrages lui ont été consacrés : biographies et essais psychologiques – dont le plus célèbre naturellement, celui de Stefan Zweig, splendidement écrit, reste contestable dans son analyse – mais aussi bandes dessinées, pièces de théâtre et films, le plus récent étant celui de Sofia Coppola, en 2006, qui présente l’image réductrice d’une adolescente capricieuse et délurée, revendiquant son droit à la vie privée.
On a scruté sa destinée, son caractère, ses goûts, ses fréquentations, ses lectures, sa correspondance, mais personne n’avait essayé jusqu’à présent de la comprendre à travers les paysages qu’elle a contemplés, les demeures qu’elle a habitées, les routes qu’elle a parcourues. C’est ce que se sont efforcés de faire historiens et conservateurs regroupés dans cet ouvrage collectif coproduit par le Château de Versailles et les éditions Perrin.
« La géographie façonne nos paysages intérieurs», écrivez-vous dans l’avant-propos de cet ouvrage. À l’inverse, le caractère et les désirs de la Reine ne sont-ils pas intervenus sur les lieux, au point même d’en expliquer certaines particularités ?
Bien entendu sont étudiées ici, non seulement les résonances produites sur la Reine par ces lieux – lieux de bonheur, puis lieux de malheur –, mais également les interactions entre elle et ses demeures.
Ces lieux, elle les a utilisés, mais les a aussi transformés, avec goût et raffinement. Elle a suivi de près, par exemple, l’aménagement en 1781, par son architecte Richard Mique, du ravissant cabinet de la Méridienne, qui lui servait de boudoir. La disposition de cette pièce suivant un plan octogonal permettait aux femmes de chambre de passer de la grande chambre de la Reine à la bibliothèque sans interrompre le repos ou les méditations de Marie-Antoinette.
En 1783, pour harmoniser la décoration du cabinet Doré avec sa collection de boîtes de laque japonaises, héritée de sa mère, elle n’hésita pas à remplacer par des boiseries précieuses les soieries trop colorées, commandées quatre ans plus tôt.Pressant les artisans et les inspecteurs à se plier à la valse de ses désirs, Marie-Antoinette modifiait constamment ses appartements intérieurs. Elle concevait, démolissait, arrangeait, réaménageait dans un rythme effréné les décors : les portes, les passages, les cloisons, les boiseries, les ornements, le mobilier, tout était marqué de son empreinte, avec, il faut le reconnaître, un goût exquis.
Jusqu’à en refléter les « paysages de son âme »…
Arrivée de Vienne, où l’atmosphère à la cour impériale était, hormis les cérémonies officielles, simple, familiale, presque bourgeoise, elle se trouva soudainement plongée, à quatorze ans et demi, dans le milieu guindé de la cour de France. Aussi, la vie dans son appartement public, avec ses grands salons en enfilade, lui parut tout de suite étouffante. Saisie d’un incoercible besoin de liberté, d’affranchissement des règles, de fantaisie, elle se retirait le plus souvent dans le dédale de ses cabinets intérieurs, par la petite porte dissimulée à côté de son lit d’apparat, « porte de l’intimité, celle du refuge loin des exigences de l’étiquette, celle des lieux où elle pouvait espérer n’être plus la reine, mais simplement elle-même », comme le dit Hélène Delalex.
Pour être elle-même, des lieux, elle en a aussi créé de toutes pièces.
Oui, à Trianon, dont Louis XVI, sitôt après la mort de son grand-père, s’empressa d’offrir à son épouse les clés, serties de 531 diamants. Marie-Antoinette en fit son domaine propre, y vivant en châtelaine et y donnant de somptueuses fêtes. « Ici, rayonnait-elle, je ne suis plus reine, je suis moi ! » Les règlements qu’elle faisait afficher à l’entrée de ses jardins commençaient par ces mots : « Par ordre de la reine ». Cela ne s’était jamais vu !
Elle conçut de nouveaux bâtiments, confiant notamment à Richard Mique la réalisation d’une petite salle de théâtre à l’emplacement d’une serre de Louis XV, « véritable bijou d’ingéniosité, d’élégance et de virtuosité », écrit Jérémie Benoît.
À l’incontournable Mique, elle demanda également de concevoir un jardin anglo-chinois exaltant la nature « champêtre », puis – afin de permettre à ses enfants de connaître la vie rurale et de pratiquer le jardinage – de construire le Hameau : un chef-d’œuvre de grâce bucolique. D’où les surnoms, lourds de conséquences, donnés à ce domaine de « Petit Vienne » ou « Petit Schönbrunn ».
L’ouvrage évoque aussi des lieux disparus comme le palais des Tuileries où la Reine a passé trois longues années avant de partir au Temple.
Après les journées des 5 et 6 octobre 1789, où Marie-Antoinette échappa de peu à la mort lors de l’attaque du château de Versailles, la famille royale fut conduite à Paris. Elle s’installa au palais des Tuileries, qui avait été plus ou moins abandonné depuis le séjour qu’y avait fait le jeune Louis XV de 1716 à 1722. Elle s’entassa, fourbue dans quelques pièces lugubres et inhospitalières. « Comme c’est laid, ici, maman ! » murmura le dauphin. « Mon fils, Louis XIV s’en contentait bien ! » Se remettant des émotions violentes qui l’avaient secouée, Marie-Antoinette veilla cependant à la rénovation du palais. Un semblant de cour sembla renaître. Mais, bien vite, les tensions politiques réapparurent, et les Tuileries, surtout après l’épisode de Varennes, se révélèrent une prison de moins en moins dorée.
Voire des lieux prémonitoires, comme la tour du Temple dont la farce sinistre résume à elle seule le basculement soudain de son destin….
Le 10 août 1792, la monarchie constitutionnelle était renversée par les sans-culottes qui s’étaient emparés des Tuileries. Que faire de la famille royale réfugiée à l’Assemblée ? Le 13 août, elle fut confiée à la garde de la Commune insurrectionnelle, qui avait pris le pouvoir à l’Hôtel de Ville, et conduite à l’hôtel du Grand Prieur, où on lui servit un souper de gala dans le magnifique salon des Quatre Glaces. Vous imaginez son soulagement, durant quelques heures, avant qu’on lui fît comprendre brutalement que ce n’était nullement en ce lieu qu’elle vivrait désormais, mais dans l’ancien donjon à demi ruiné qu’on voyait au fond du jardin.
Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
À LIRE
Marie-Antoinette, dans les pas de la Reine, Jean-Christian Petitfils (dir.), château de Versailles / éd. Perrin, Paris, mars 2020. 140 x 210 mm, 304 p., 23 € TTC.
Textes de Jean-Paul Bled, Yves Carlier, Hélène Delalex, Jérémie Benoît, Jean des Cars, Alexandre Maral, Patrick Daguenet, Jean-Christian Petitfils, Cécile Berly, Charles-Eloi Vial, Antoine Boulant et Hélène Becquet.