Après plusieurs mois de Grandes Eaux musicales et nocturnes, les fontainiers de Versailles viennent de réaliser l’une des opérations les plus importantes de l’année : la « mise en décharge », qui met en sommeil tout le réseau hydraulique des jardins du Château, mais aussi ceux de Trianon, Marly et Saint-Cloud.
Cascade du bosquet des Trois-Fontaines au temps du gel. © EPV / © Didier Saulnier.
L’hiver approche et les basses températures mettent en danger les conduites de plomb et de fonte dont 60 % ont plus de trois siècles. En gelant, l’eau dans les tuyaux provoque fuites et casses. De même dans les réseaux d’arrosage et les points d’eau ponctuels. Le domaine national de Versailles et de Trianon, mais également celui de Saint-Cloud et de Marly sont pris en charge par un seul et même service qui s’en occupe depuis le XVIIe siècle. Ainsi, comme chaque année, une équipe de deux fontainiers est affectée à chaque parc afin d’effectuer sa «mise en décharge». Cette mission exige une grande rigueur et une parfaite connaissance du système gravitaire d’eau brute et des réseaux d’arrosage. Toute erreur ou oubli peut endommager un patrimoine remarquable datant de Louis XIV.
L’ordre est crucial pour une bonne mise en décharge
L’ordre de décharge des conduites, dont les diamètres varient entre 80 et 500 mm, est déterminant puisqu’il s’agit de commencer par le point le plus haut de chaque parc, depuis le réservoir principal, pour descendre progressivement, de fontaines en fontaines, jusqu’à l’exutoire, c’est à dire le point altimétrique le plus bas. Tour à tour, les robinets placés sur les conduites sont ouverts pour vider complétement les tuyaux. Trois semaines de travail sont nécessaires, avec une stratégie précise afin d’optimiser l’efficacité des opérations. D’autant que chaque parc possède ses particularités, à travers son fonctionnement et ses infrastructures datant de diverses époques.
Vue cavalière du château et du parc de Saint-Cloud vers 1675 (détail), par Étienne Allegrain, 1675-77. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.
Domaine national de Saint-Cloud :
une progression exclusivement gravitaire
Le système hydraulique du domaine national de Saint-Cloud – ancienne propriété de Monsieur, frère du roi Louis XIV – est resté totalement gravitaire. Deux conduites principales partent du Grand Réservoir pour alimenter deux tronçons. Le premier se dirige vers la Grande Gerbe, le second vers les 24 Jets en passant par l’esplanade et les langues de la Petite Gerbe, puis le jardin du Trocadéro.
Plan des différents réseaux qui alimentent les bassins et les fontaines du parc de Saint-Cloud.
Le bassin de la Grande Gerbe(1), en amont, est tout d’abord vidé pour pouvoir intervenir sur les conduites qui s’y trouvent, puis à nouveau rempli. L’eau doit y être maintenue toute l’année, car elle protège les maçonneries et l’étanchéité. Après la Petite Gerbe (2) et les 24 Jets (3), suivent les fontaines des Trois Bouillons(4), des Chiens(5), des Goulottes (6). Puis, les fontainiers se déplacent vers la grande esplanade pour vidanger le bassin de l’Orangerie (7), et des Petits Princes (8). Et enfin, les bassins du Fer à Cheval (9), de Saint-Jean (10), du Gâteau (11) et du Grand Jet (12).
C’est à la Grande Cascade (13), chef-d’œuvre de l’art hydraulique du XVIIe siècle, qu’a lieu la plus longue opération. Là, les fontainiers s’assurent que les soupapes du bassin des Carpes (14) sont bien fermées avant d’ouvrir des dizaines de robinets-carottes et de retirer une trentaine d’ajutages et de bouchons de vidange sur les tuyaux alimentant les vasques, les grenouilles et les masques de la Cascade. Au niveau de la Cascade basse (15), on arrive à la fin du parcours de l’eau : il ne reste plus qu’à fermer les soupapes au bassin du Grand Jet (12) et à ouvrir les ¼ de tour pour vider les masques et les effets d’eau du Bas Canal ainsi que les conduites des Couronnes (16). En dernier lieu, les fontainiers effectuent la mise en décharge du système d’arrosage des Plantations, du Trocadéro (17) et de l’allée des Rosiers avant que toutes les eaux se rejoignent dans une galerie du bas parc, près de la Seine.
L’ajutage du bassin du Miroir, à Marly. © EPV / © Thomas Garnier.
L’ajutage de Marly, composé de trois pièces, est démonté pour être nettoyé en atelier. Il sera reposé en mars, après la mise en charge.
Domaine de Marly :
histoire d’ajutage
À Marly, ne subsistent, depuis le démantèlement de 1793, que les bassins du Miroir, du Grand Jet et de l’Abreuvoir. Seul celui du Miroir, dont la superficie dépasse les 17500 m2, nécessite la vidange de son jet. La singularité de la manœuvre réside dans l’abaissement du niveau de ce bassin de 40 cm pour pouvoir démonter l’ajutage1, une pièce imposante de 30 cm de haut et pesant 25 kilos. Sans cette opération, les glaces de l’hiver risqueraient de déformer, voire de tordre complètement l’appareil qui a été recréé et inauguré par le service des Fontaines en 2011. Fort heureusement, les eaux de sources abondantes du parc de Marly font ensuite très rapidement remonter le niveau de ce bassin.
Le bassin du Trèfle vu du ciel. © EPV / © Thomas Garnier.
Domaine de Trianon :
sept jours pour fermer sept conduites
Aux jardins de Trianon, la mise en décharge débute au Réservoir du Trèfle, construit sur une butte, d’où partent sept conduites qui alimentent toutes les fontaines. Ici, les vannes à manœuvrer sont placées dans deux galeries jouxtant le Trèfle à une profondeur de sept mètres. Une par jour, c’est le rythme auquel se sont astreints Olivier Grain et Luc Renault pour fermer en une semaine l’ensemble des conduites. Parallèlement, les fontainiers ont vidangé les bouches d’arrosage du Jardin Français, alimentées par un autre réservoir, celui de l’Aile.
Guillaume transmet ses connaissances, notamment sur l’entretien des soupapes, à son jeune collègue, Maxime Jarry, pour qui c’est la première mise en décharge et la découverte d’un fascinant réseau souterrain auquel il n’a pas eu l’occasion d’accéder durant l’année. Ces inspections permettent de découvrir des fuites sur les tuyaux de plomb qu’il faut réparer pour la prochaine saison.
Jardins de Versailles :
soupapes suiffées
À Versailles, les soupapes jouent un rôle important, elles sont nombreuses sur les bassins et les réservoirs que Guillaume Acarregui et Maxime Jarry ont vidangés tour à tour. Conçues en bronze, c’est le poids de leur partie supérieure qui assure l’étanchéité. Ces soupapes sont « suiffées » les unes après les autres, une vingtaine de minutes étant nécessaires pour enduire chacune d’entre elles avec de la graisse animale. Les fontainiers ont effectué également le graissage de leur tige de manœuvre. Le résultat est ensuite fort apprécié par les aide-fontainiers durant les week-ends de Grandes Eaux !
Puis, les bassins sont remplis et les fontainiers vérifient durant plusieurs heures qu’ils ne baissent pas. Cette opération s’applique de manière beaucoup plus longue au niveau des réservoirs Sous-Terre et des Jambettes. Elle débute le vendredi après-midi et dure tout le week-end. Une prise de côte du niveau de l’eau est faite au préalable et vérifiée le lundi matin. Si le réservoir n’a pas bougé, c’est que la soupape joue parfaitement son rôle d’étanchéité. C’est alors seulement que la conduite dépendant de cette soupape peut être vidangée.
Les conduites du Réservoir Sous-Terre sud. © EPV / © Thomas Garnier.
Enfin, quelques jours plus tard, c’est au tour des conduites qui relient le réservoir principal de Montbauron et les Quatre-Robinets d’être mises en décharge. Elles forment, en effet, le point de départ de l’ensemble du réseau hydraulique de Versailles et de Trianon.
Toutes les conduites sont mises hors-gel, tous les réservoirs et bassins sont en eau et la fermeture des vannes garantit leur étanchéité. En attendant le printemps – et la remise en charge du réseau – les fontainiers se hâtent pour l’entretien et le graissage des vannes du Parc, plus de quatre-vingts, qui sont pour la plupart enterrées.
Daniella Malnar,
historienne au service des Eaux et Fontaines du domaine national des châteaux de Versailles et Trianon
1 L’ajutage est une pièce en plomb, en bronze ou en étain, placée à l’extrémité de la conduite du jet qui permet, par sa forme et ses orifices, de dessiner un effet d’eau.
Détail de l’un des bassins des Trois-Fontaines. © EPV / Didier Saulnier.
L’équipe des Fontainiers,
une transmission de génération en génération
Depuis plus de 16 ans, Guillaume Acarregui, Olivier Grain, Jean-Luc Renard et Adrien Renault réalisent des mises en décharge, en alternant chaque année sur l’un des quatre parcs. C’est l’occasion, pour ces fontainiers d’expérience, de redécouvrir et de se remémorer le réseau, de suivre dans son intégralité le parcours de l’eau sur trente-cinq kilomètres de conduites du système gravitaire concernant Versailles. Et surtout de transmettre tous leurs savoirs à la nouvelle et prometteuse génération, composée de Maxime Jarry, Luc Renault et Jean-Pierre Roulin !
L’équipe des fontainiers : Jean-Luc Renard, Luc Renault, Adrien Renault, Guillaume Acarregui, Jean-Pierre Roulin, Olivier Grain.
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