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Trois questions à Gaétan Jarry

Figure incontournable de la programmation de Château de Versailles Spectacles, Gaétan Jarry se montre volubile et déborde d’une joie communicative lorsqu’il parle de la « belle musique » qu’il défend, en jean, baskets et chemise blanche, avec son ensemble Marguerite Louise. Rencontre avec le chef de chœur et d’ensemble, titulaire des orgues de l’église Saint-Gervais à Paris, qui devait présenter en novembre, à Versailles, deux programmes autour de Rameau et de Mondonville.

© Château de Versailles – Didier Saulnier.

Vous avez enregistré le premier disque du label de Château de Versailles Spectacles, Les Arts Florissants de Marc Antoine Charpentier, que vous avez donné dans la cour de Marbre en 2019. Vous dites aussi qu’il s’agit du premier CD de musique baroque que vous ayez eu en main. Vous avez une histoire avec cette œuvre…

Gaétan Jarry : Quand j’étais enfant, je jouais tout le temps au chef d’orchestre. Je faisais baguette de tout bois, aiguille à tricoter, barre en plastique de Mecano, debout sur un seau de ménage en guise d’estrade, devant la chaîne Hi-Fi… Dans ma famille, tout le monde fait de la musique, dans des univers différents. Il se trouve que mon père a pour cousine Agnès Mellon, qui était la soprano fétiche de William Christie dans les années 1980, grande époque du renouveau baroque. Nous avions donc beaucoup de ses CD dans la discothèque familiale, dont celui des Arts Florissants de Charpentier dans l’emblématique version des Art Florissants eux-mêmes ! J’en adorais l’ouverture. Et lorsque j’entendais la voix d’Agnès Mellon, naturelle, authentique, j’avais des frissons extraordinaires. C’est par ce disque que je suis entré dans la musique ancienne. C’est en quelque sorte ma madeleine de Proust. Cette œuvre me poursuit dans la recherche du naturel musical que nous cultivons avec Marguerite Louise.

Vous deviez donner à la Chapelle royale un concert faisant entendre quatre grands motets de Rameau et de Mondonville. En attendant la reprogrammation de ce concert, CVS prévoit son enregistrement à huis clos. Comment dialoguent leurs œuvres dans ce programme ?

Gaétan Jarry : Ce programme, à l’origine une commande des Rencontres musicales de Vézelay, met en regard les œuvres de deux compositeurs contemporains, écrites à des moments très différents de leur carrière. Rameau, que l’on connaît surtout pour ses grands opéras, a pourtant consacré l’essentiel de sa vie à la musique sacrée. Quand il écrit ses motets, Quam dilecta tabernacula et In convertendo Dominus, Rameau ne cherche pas la grandiloquence, les effets : ces œuvres, assez austères, empreintes de spiritualité, sont avant tout celles d’un compositeur liturgique. Et cependant, harmoniquement, musicalement, on y retrouve les surprises et déjà certaines lignes sublimes que cet immense novateur nous réservera, des années plus tard, dans ses opéras. À contrario, les motets de Mondonville, Dominus Regnavit et In exitu Israel, sont emblématiques du XVIIIe siècle, du siècle des Lumières. Ce sont des œuvres extrêmement théâtrales, pleines d’effets, d’une intensité incroyable, conçues par un musicien extravagant : de la musique de concert avant d’être une musique écrite pour la messe. Les motets de Rameau et de Mondonville, c’est en quelque sorte la spiritualité versus le spectacle. Ils sont souvent joués ensemble, car avant d’être très complémentaires, ces motets font probablement partie des chefs-d’œuvre les plus aboutis du genre.

Répétition du programme “Rameau triomphant” à l’Opéra royal du château de Versailles. © Château de Versailles – Didier Saulnier.

Vous réunissez dans votre ensemble Marguerite Louise des musiciens d’exception autour du répertoire de la musique sacrée des XVIIe et XVIIIe siècles. L’esthétique que vous cultivez à travers votre communication est en parfait décalage avec l’univers de la musique baroque… Pourquoi ?

Gaétan Jarry : Marguerite Louise, qui était la cousine de François Couperin, était une chanteuse extrêmement réputée pour la beauté et la pureté de sa voix. Sa voix inspirait notamment Couperin à écrire pour elle dans un style extrêmement moderne, voire inédit pour l’époque. À vingt ans, Marguerite Louise était une véritable star de la musique sacrée à la cour de Versailles. Elle est l’une des premières femmes à avoir chanté à la tribune de la Chapelle royale, un privilège autrefois réservé aux petits pages ou aux castrats venus d’Italie. C’était une petite révolution féminine ! En donnant à cet ensemble le nom de Marguerite Louise et cette identité d’égérie pop, je veux dire que si l’on joue de la musique ancienne aujourd’hui, nous sommes avant tout des musiciens du siècle. Même si nous sommes historiquement informés sur les instruments anciens, le style de l’époque, notre démarche est actuelle, et non archéologique. Je dis souvent que je refuse d’être un « autopsiste » de la musique ancienne mais, bien au contraire, mon but est de lui redonner vie !

Propos recueillis par Clotilde Nouailhat.

Répétition du programme “Rameau triomphant” à l’Opéra royal du château de Versailles. © Château de Versailles – Didier Saulnier.

 

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