Les voyageurs étrangers recensés dans la base de données « Visiteurs de Versailles » s’intéressent beaucoup aux amours royales. Le sujet est évoqué dans presque un témoignage sur dix et met en scène leurs protagonistes : Mesdames de Maintenon (86 occurrences dans le corpus), de Pompadour (45 occurrences) et, enfin, Du Barry (66 occurrences). Portrait d’une dame très sollicitée.
Lorsqu’il se rend à la messe le 17 septembre 1769, le célèbre écrivain Horace Walpole a un objectif clair : « voir Madame Du Barri ». Certains, comme le Saxon Johann Grimm, vont même jusqu’à verser quelques subsides à un garde Suisse pour l’apercevoir. Pourquoi une telle curiosité ?
Des origines douteuses
La comtesse Du Barry est alors la maîtresse du roi de France, Louis XV. Elle intrigue ses contemporains d’abord en raison de ses origines douteuses. Le même Johann Grimm s’en fait d’ailleurs l’écho : « j’ignore si ce que disent certains Français est vrai, à savoir que sa mère est une blanchisseuse qui vit maintenant dans un couvent, que son père porte la bure, qu’elle a reçu une très mauvaise éducation et n’était pas une vraie vierge lorsqu’elle vivait encore au faubourg Saint-Antoine ». Le Saxon n’est pas loin, en effet, de la réalité : née fille naturelle en 1743, Jeanne a occupé plusieurs petits métiers jusqu’à entretenir une liaison avec un entremetteur, Jean-Baptiste Du Barry, grâce à qui elle a rencontré Louis XV en 1768 et en restera la maîtresse jusqu’à la mort1.
Au cœur de la vie de cour
Même si sa beauté peut décevoir (lire encadré), Mme Du Barry reste très recherchée, y compris par les voyageurs, en raison de l’influence qu’on lui prête auprès de Louis XV. Nombreux sont ainsi ceux qui souhaitent être introduits auprès d’elle, comme Bretschneider en 1772 qui « avait besoin d’elle pour une entreprise ». Certains parviennent même à évoluer dans le cercle de la comtesse durant leur séjour, un avantage pour fréquenter les plus puissants protagonistes de la Cour. C’est le cas notamment de la duchesse de Northumberland, qui, en 1770, passe son temps à ses côtés : elle s’assied à sa table de jeu et près de sa loge pour observer le festin des noces du Dauphin dans l’opéra (16 mai), elle assiste à un « petit souper » en présence du roi (18 mai) et dîne dans ses appartements (21 mai).
Jugements mitigés…
Les jugements portés sur la maîtresse et sur son rôle à la Cour n’en sont pas moins mitigés. Elle a ses admirateurs, à l’image de Grimm, qui estime que « si ses origines étaient aussi basses il y a trente ans, son élévation actuelle est d’autant plus honorable ». Il reconnaît un certain mérite à cette femme qui a réussi à se maintenir dans la faveur. En somme, pour lui, « Madame Du Barry doit être respectée et peut être honorée sans honte ».
D’autres, au contraire, se font extrêmement sévères. Lorsqu’il fait le bilan du règne de Louis XV, Caspar von Voght, marchand hambourgeois, ne mâche pas ses mots : « Une [La] Valière, [une] Montespan, [une] Maintenon auprès de Louis XIV, [une] Pompadour […] avaient déjà jeté l’exemple de la corruption sur le trône mais [conservaient] encore un voile de décence que la Dubarry a complètement écarté ».
… et souvenirs plus sévères encore
Après la Révolution, le souvenir que l’on garde de la maîtresse se gâte encore. Elle est plus que jamais associée à l’idée d’une décadence qu’incarnerait le règne du Bien-aimé, ainsi par Ida von Hahn-Hahn, vers 1840. C’est surtout l’image d’une femme sensuelle, s’épanchant avec le Roi dans une vie d’insouciance et de débauche, qui reste dans les mémoires. Pour le banquier anglais Thomas Raikes, elle « stigmatise un règne de luxure » (1833) ; pour l’Américain Henry Wikoff, elle est une « héroïne plus vulgaire [que Mme de Pompadour] » (vers 1834).
L’on dénonce non seulement son passé sulfureux, mais également son influence politique et son « audace irrépressible » (Hare, 1887). Ainsi, plusieurs voyageurs relaient deux anecdotes particulièrement significatives, rapportées initialement par Mme Campan. John Jay Smith les résume en quelques mots en 1845 : « Louis XV laissa Madame Du Barri s’asseoir sur l’accoudoir de sa chaise en présence du conseil et jeter au feu un paquet de dépêches encore cachetées ».
Mais la postérité conserve aussi la mémoire d’une femme pour qui ont été construits ou embellis des bâtiments illustres : le Petit Trianon (qui a néanmoins pour cette raison « mauvaise réputation » selon John MacKinnon), mais aussi l’opéra royal pour Augustus Hare et, surtout, Louveciennes. À suivre…
Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
1. Jeanne ne tient cependant pas son titre de Jean-Baptiste, mais du frère de celui-ci, Guillaume, qu’elle épouse, le 23 juillet 1768.
« Elle est jolie, mais on ne peut pas dire qu’elle soit belle »
Outre son ascension exceptionnelle, c’est également pour sa beauté que Mme Du Barry est célèbre. Lorsqu’ils la voient, les visiteurs étrangers sont néanmoins souvent déçus ; ainsi de la duchesse de Northumberland, en 1770 : « Elle est jolie, mais on ne peut pas dire qu’elle soit belle », et ce bien qu’elle « soit à la toilette quatre ou cinq fois par jour ». Une autre Anglaise venue deux ans plus tard, Mary Coke, est du même avis. Les hommes sont également critiques, bien que plus charitables, à l’image de Grimm : « je ne peux pas dire qu’elle soit d’une beauté parfaite, mais fondamentalement sa personne est agréable et sage ».
À lire également
Jeanine Huas, Madame Du Barry, Paris, Tallandier, 2011.
Pour une biographie plus ancienne mais très complète, accessible en ligne : Charles Vatel, Histoire de Madame Du Barry…, Versailles, L. Bernard, 1883, 3 volumes.
La base de données « Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les amours royales.