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Un rideau se lève au théâtre de la Reine

Peu à peu se révèlent toutes les subtilités de son décor : copier ce rideau du début du XIXe siècle s’avère, au théâtre de la Reine, une magnifique leçon d’art théâtral.

L’ancien rideau, datant du début du XIXe siècle, est examiné sous toutes ses coutures. © EPV / © Thomas Garnier.

Nous sommes dans les coulisses du théâtre de la Reine, lové dans les jardins de Trianon. Depuis quelques semaines s’affairent des artistes d’un genre bien particulier qui connaissent la maison : Antoine Fontaine et ses acolytes sont déjà venus plusieurs fois à Versailles participer à la restauration de décors de scène selon les techniques de l’époque, à la colle de peau. Cette fois-ci, il s’agit d’un ancien rideau de manœuvre1, très abîmé, qu’il a fallu se résoudre à remplacer par une copie à l’identique pour pouvoir le conserver.

Observation attentive du rideau original pour en discerner les différents motifs. © EPV / © Thomas Garnier.

Retrouver les gestes qui ont donné naissance à l’œuvre

C’est une nouvelle occasion de retrouver, dans la réalisation concrète de ce rideau peint en trompe-l’œil sur une toile de lin, les gestes exacts du grand Cicéri2 et de son atelier. Ainsi, par exemple, de constater que les motifs répétitifs avaient été reportés selon la méthode du calque. « C’est comme suivre des pas dans la neige : on y cale son pied sans trop savoir où l’on va, mais c’est le plus sûr moyen d’avancer ! », aime à dire Antoine Fontaine. Quant à Raphaël Masson, conservateur de Versailles chargé de ces collections, il jubile d’assister à la résurrection d’une véritable œuvre d’art qui servira bientôt de rideau d’avant-scène. Son fond bleu cobalt, qui fait mine de s’éclaircir aux feux de la rampe, et sa bordure dorée, richement ornée de rinceaux, torsades et molettes, s’accorderont parfaitement avec le décor Marie-Antoinette de la salle, restauré dans les années 2000.

La toile, tout d’abord, a été confectionnée comme au XIXe siècle, avec des lés assemblés à la main, ce qui assure la meilleure des tenues. Le tapissier d’ameublement Sébastien Ragueneau, que connaît bien aussi le Château, a accepté de se prêter au jeu, et ses doigts s’en souviendront : presque huit mètres de longueur (sur cinq mètres cinquante de hauteur), cousus point par point selon un cadre parfaitement rectiligne ! Le résultat est parfait. Aujourd’hui, la peinture du rideau a déjà bien avancé et les restaurateurs s’appliquent sur le damassé d’acanthes et de fleurs qui réhausse son fond bleu. Répartis sur la toile, les quatre hommes colorent d’un ton plus sombre chaque volute, assurant leur point d’équilibre, tels des échassiers, dans le geste de leur long pinceau que contrebalance une main dans la poche. Et adoptant ainsi naturellement des positions bien connues pour ce type de décor.

À quatre pattes ou debout

On y peignait à quatre battes ou debout, selon les effets recherchés. À quatre pattes, les parties plus ornementées, réalisées finement dans l’esprit du décor de la salle. Debout, les parties relevant de l’illusion, faites pour être vues à distance, où le geste se relâche et s’appuie sur la toile, aussi efficace qu’un jeu d’acteur. « La vue de loin y est anticipée, les motifs se délitant au fur et à mesure que l’on s’en approche. Il y a là tout le paradoxe du théâtre : la matière y est plus outrée, mais se révélera, au bout du compte, plus précieuse », indique Antoine Fontaine.

La bordure dorée du rideau sera bientôt rehaussée par des éclats de cuivre, fixés à la cire chaude, qui avaient disparu. © EPV / © Thomas Garnier.

Au fil de l’intervention, les reliefs s’accusent et donnent corps à la toile qui prend l’allure d’un véritable rideau, avec ses faux plis et ses fausses franges, dessinées par les effets d’ombre et de lumière. Ainsi le décor lève, telle une pâte pétrie jour après jour, sous les pinceaux. Une dernière opération provoquera l’étincelle : des éclats de cuivre doré, déposés à la cire chaude selon un procédé qui reste à retrouver. Ils prendront place aux endroits où ils avaient laissé une trace grisâtre, dans un inversement des valeurs. Ce qui s’apparentait de plus en plus à des ombres portées retrouvera alors la clarté mouvante d’une poussière d’étoiles. Et fera briller les yeux avant même le début du spectacle.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Le rideau de manœuvre, au XIXe siècle, servait à masquer, en second plan, les changements de décor qui ne se faisaient pas à vue.
2 Pierre-Luc-Charles Ciceri (1782-1868) fut le peintre et décorateur de théâtre des plus grandes scènes de Paris, notamment de l’Opéra dont il devint décorateur en chef en 1810.

L’ancien rideau en place dans le théâtre de la Reine. Sa copie, dotée de toutes les subtilités du décor d’origine, s’intègrera parfaitement dans cet espace somptueux. © EPV / © Thomas Garnier.


Rideau de manœuvre et d’avant-scène

Ancien rideau de manœuvre, le rideau original était devenu, en 1936, celui d’avant-scène lorsque l’état Louis-Philippe du théâtre de la Reine (avec une salle dans les tons rouges) avait disparu au profit de la restitution XVIIIe, en bleu, rendue possible par la donation Rockefeller. Inévitablement, ce rideau a subi les outrages du temps et de la manipulation. Après avoir fait l’objet, l’hiver dernier, d’une refixation de sa couche picturale et de quelques menus renforcements structurels, il sera soigneusement roulé, puis conservé dans la « cuve à toiles », dans les dessous du théâtre.

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