La comtesse Du Barry, maîtresse de Louis XV, a laissé un vif souvenir aux voyageurs étrangers qui la recherchent à Versailles, mais aussi à Louveciennes, n’hésitant pas à faire le détour sur la route de Paris ou de Marly. À notre tour, nous vous y proposons un arrêt à partir des témoignages recensés par le CRCV dans la base « Visiteurs de Versailles ».
Le 24 juillet 1769, Louis XV donne à sa maîtresse le pavillon de Louveciennes. Pour le remettre au goût du jour, la comtesse commande plusieurs vagues de travaux. Elle en fait un véritable bijou venant couronner sa faveur, alors naissante. Eau courante et œuvres d’art viennent agrémenter la résidence, tandis que les jardins sont embellis d’une orangerie, d’une glacière, d’une laiterie, d’une serre chauffée. Est également construit un second pavillon (dit aujourd’hui « Pavillon de musique »), destiné à recevoir les invités et inauguré en septembre 1771.Un « temple de la luxure »
Nombreux sont les voyageurs à se rendre sur place après un passage à Marly, situé tout près. Tous expriment d’abord leur admiration pour le lieu : « très élégant » (Viera y Clavijo, 1777), « très magnifique » (Adams, 1778), « poupée bien soignée » (Bohusz, 1778), « le plus beau qui soit à Paris ou dans les environs ; on ne peut rien imaginer de plus riche, de plus galant et de plus fini » (Cognel, 1787).
Le « goût le plus prééminent » est attribué à tous les éléments du décor : peintures, sculptures, architecture, mobilier, portes et fenêtres, « rien qui puisse être reproché par l’œil le plus critique », comme l’écrit Franciszek Ksawery Bohusz en 1778. Le Suédois Mikael Hisinger, en 1784, ajoute : « tous les maîtres de l’art rivalisant chacun dans sa branche pour le rendre aussi splendide que possible, aussi tout est-il d’un Raffinement exquis ». Cet écrin s’inscrit en outre dans un environnement des plus agréables, avec une vue dégagée sur la Seine.
Ce n’est pas seulement la beauté du lieu qui attire, mais également son usage – ou tout du moins celui qu’on lui attribue. Louveciennes apparaît à tous comme « le temple la luxure », pour reprendre le mot de François Cognel : « toutes les peintures et statues représentent des choses gaillardes », tandis que « Louis XV fait, dans toutes les pièces, face à sa maîtresse ». Le lieu, qui « semblait avoir été dessiné par une plume d’amour » (Viera y Clavijo), rappelle dans ses moindres détails la situation privilégiée de son occupante.
Puis le refuge après la disgrâce
La mort du Roi, le 10 mai 1774, bouleverse le destin de sa maîtresse et, par voie de conséquence, de sa résidence. La comtesse quitte définitivement Versailles et s’installe à Louveciennes. Le nouveau souverain, Louis XVI, accepte de lui laisser le domaine car, comme l’explique Sophie von La Roche, « du vivant de son grand-père, elle ne s’était mêlée à rien et se comporte irréprochablement depuis la mort de ce dernier ».
Franciszek Ksawery Bohusz, aristocrate lituanien en visite en 1778, dresse alors un tableau plutôt morose de cette nouvelle existence : « Là, Madame de Barri vit honnêtement de sa pension, mais seule et ne se présentant plus dans de grandes compagnies et n’accueillant pas beaucoup d’invités chez elle ». Sophie von La Roche décrit quant à elle une résidence en dépérissement, qui « n’a conservé de ses anciens objets de valeur que les fenêtres ».
D’autres témoignages viennent cependant nuancer cette vision mélancolique. Le duc de Bedford rapporte, en 1784, que la comtesse « reçoit la visite de quelques connaissances originales triées sur le volet ». L’année suivante, le scientifique américain John Jeffries assiste lui-même à l’une de ces fêtes « sélectes », avec dîner et « bal privé », durant laquelle Mme Du Barry apparaît encore « excessivement plaisante et de bonne humeur ».
Les autres visiteurs, moins privilégiés, se contentent d’admirer les lieux et, pour les plus chanceux, d’apercevoir de loin la favorite déchue. Mikael Hisinger explique même qu’« aucun voyageur curieux ne manque de voir ceci », à l’image du Lorrain François Cognel qui, en 1787, s’estime heureux d’y parvenir : « nous eûmes une faveur que nous n’espérions pas ; l’ancienne favorite n’aime point à être vue, se sachant un objet de curiosité et de mépris ».
Le destin commun du lieu et de sa dernière occupante s’achève avec la Révolution : Mme Du Barry est exécutée en 1793 et, dès lors, Louveciennes tombe en ruines. Du « dernier monument des péchés royaux », comme l’appelle Kaspar Heinrich von Sierstorpff, « il ne reste rien de remarquable » au début du XIXe siècle.
Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
À LIRE
- Éric Soullard, « Le Pavillon de la machine de Marly d’Arnold de Ville à Mme du Barry (3e partie), 1769-1793 : au temps de Mme du Barry » et « Le Pavillon de la machine de Marly d’Arnold de Ville à Mme du Barry (4e partie), 1771-1793 : le Pavillon de musique de Mme du Barry », Marly, art et patrimoine, n°10 2016, p. 47-54 et n°11, 2017, p. 33-42.
- Catalogue de l’exposition « Madame Du Barry : de Versailles à Louveciennes » (Musée-Promenade de Marly-le-Roi, 21 mars-29 juin 1992), Paris, Flammarion, 1992.
La base de données « Visiteurs de Versailles »
Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les amours royales.