Au cœur du cabinet d’angle trône le célèbre bureau du Roi dont les études ont révélé les traces des vives couleurs d’origine.
Conçu par Jean-François Œben (1721-1763), le secrétaire à cylindre de Louis XV, livré en mai 1769 après neuf années de réflexion et d’essais, a été achevé par son élève, Jean-Henri Riesener (1734-1806), dont c’est la première œuvre connue. Force est de constater que le meuble a marqué l’opinion publique par son caractère exceptionnel au sein des productions de l’ébénisterie du XVIIIe siècle en France.
Au vu de la description des étapes de la création du bureau dans le mémoire écrit par Riesener en 1770, on note l’importance accordée à l’utilisation de bois polychromes dans le but d’obtenir de véritables « peintures ». Évocations de l’Écriture, de l’Astronomie ou de la Marine sous forme de compositions complexes et de bouquets de fleurs, ces marqueteries, au nombre de vingt, sont réparties sur toute la structure du bureau. Il est justement précisé que Riesener :
« a pris tout le soin possible et observé que le tout [les marqueteries] soit aussi bien rendu et coloré que la peinture, ce qui a coûté un temps considérable pour trouver les assortiments du bois convenable, ce qui a occasionné à recommencer plusieurs fois à cause de la quantité des différentes teintes. »1
Malheureusement cette source première, importante pour la compréhension de l’œuvre, montre aussi ses limites dans la mesure où Riesener ne précise pas les noms des différentes essences de bois qu’il utilise, pas plus que ceux des colorants et des pigments employés pour leur polychromie.
L’identification des différents bois de la marqueterie
En l’absence de ces informations, des études d’identification des bois des marqueteries ont permis de distinguer un nombre limité d’essences différentes et, surtout, peu de bois exotiques. Après celle réalisée2 en 1989, la restauration du bureau du Roi a fourni, en 2016, une seconde occasion de l’examiner de très près par le département Restauration du C2RMF3 sous la conduite d’Yves Carlier, conservateur général au château de Versailles. L’observation macroscopique a permis d’identifier de l’alisier, de l’amarante, de l’amourette, de l’aubépine, du bois de rose, du buis, du houx, de l’ébène, de l’épine-vinette, de l’érable, de l’espénille, ou citronnier de Saint- Domingue, et du poirier…
Un premier constat s’est imposé : ce sont les bois à faible duraminisation – présentant peu de tanins phénoliques – qui ont été utilisés pour être polychromés, à l’instar du houx qui est teint en vert pour les feuillages, en bleu pour les objets, en rouge pour la représentation du corail dans le tableau La Mer, et de l’érable qui est imprégné de couleur grise pour le bois de fond des marqueteries et pour les objets symbolisant la Marine…
Les bois colorés naturellement sont aussi présents, comme l’épine-vinette pour représenter le métal doré, observable sur les globes céleste et terrestre et sur les instruments scientifiques à l’arrière du bureau, ou pour figurer des fleurs comme le tournesol visible sur l’entablement supérieur. En dehors des tableaux marquetés, l’amarante sert à leur encadrement, le bois de rose à souligner certaines modénatures extérieures et intérieures du bureau.
Couleurs minérales ou organiques
Dans un second temps, une analyse élémentaire par fluorescence X a été réalisée sur les bois polychromes dans le but de déterminer si la couleur avait été obtenue par un pigment minéral ou non. Cette étude, effectuée par le département Recherche du C2RMF, s’est concentrée sur les bois teints en bleu, en vert et en gris. Dans les deux premiers cas, aucun signal n’a décelé de pigment minéral. Les couleurs bleu et vert seraient donc obtenues grâce à un colorant organique. Le traité technologique L’art du menuisier ébéniste publié par André-Jacob Roubo en 1774 nous livre quelques précisions pour l’obtention de ces couleurs :
« le bleu était obtenu par imprégnation des bois dans des solutions aqueuses composées d’indigo et d’acide sulfurique […] le vert était obtenu par imprégnation des bois dans des solutions aqueuses composées d’indigo, d’acide sulfurique et enfin soit d’épine-vinette broyée, soit de gaude.»4
L’une des couleurs dominantes dans les marqueteries du bureau du Roi est le gris, notamment le gris argenté, puisqu’il se retrouve dans la totalité des tableaux marquetés. La campagne d’analyse nous montre que le fer, élément constitutif principal du colorant gris, procède du même protocole créatif que dans l’ensemble des meubles de Riesener présentant cette couleur5.
Une perception altérée par le temps
Face à l’aspect actuel, édulcoré, du bureau du Roi, il convient de préciser que le vieillissement des pigments et des colorants n’est pas la seule cause d’altération de la couleur ; en effet, le bois et ses composés extractibles sont également des facteurs de dégradation transformant inéluctablement la perception colorée des mobiliers du XVIIIe siècle en une vision romantique où se mêlent les couleurs pastel et monochromes. Les copies du bureau du Roi réalisées depuis le XIXe siècle, dans lesquelles la polychromie est également très atténuée, montrent bien qu’elles ont reproduit l’aspect altéré par le temps du meuble original.
Marc-André Paulin, Chef de travaux d’art, C2RMF
Mireille Klein, Conservateur général du patrimoine, C2RMF
1 P. Verlet, Le Mobilier royal français, Paris, éd. Picard, 1992, p. 68.
2 par Michel Tigréat, ancien responsable du SROA (Service de restauration des oeuvres d’art), et Patrick George, expert indépendant en bois.
3 Centre de recherche et de restauration des musées de France.
4 A.-J. Roubo, L’Art du menuisier ébéniste, 1774, réédition de 2002, p. 795 et p. 797.
5 A.-S. Le Hô et E. Laval, Analyse élémentaire par spectrométrie de fluorescence X, base EROS, rapport nº 29605.
La restauration du bureau du Roi
La restauration du bureau du Roi a consisté en un nettoyage, accompagné de la reprise de ses structures. Elle a rendu tout leur éclat à ses somptueux bronzes, réalisés par Duplessis et Hervieux, que l’on ne pouvait plus apprécier à leur juste valeur.
Les couleurs d’origine de la marqueterie, en revanche, n’ont pu être restituées en raison de leur vieillissement naturel : certaines, tout d’abord, ne sont pas complètement attestées, faute de preuve irréfutable ; par ailleurs, cela nécessiterait de démonter entièrement le bureau, ce qui serait beaucoup trop risqué pour sa bonne conservation. Une restitution virtuelle en 3D palliera bientôt cette impossibilité et sera proposée sur chateauversailles.fr.
À REDÉCOUVRIR
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À LIRE
Dans l’intimité du Roi, le cabinet d’angle, Yves Carlier (dir.), collection « État des lieux », coédition château de Versailles / Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2021.
AUTOUR DU BUREAU DU ROI
Découvrez les secrets du bureau à cylindre de Louis XV.