magazine du château de versailles

Flux et reflux
des Grandes Eaux

Elles se sont tues, au printemps dernier, à cause de la pandémie, et viennent d’être relancées. Le cours des événements, les Grandes Eaux l’ont toujours reflété, s’interrompant lors des grandes crises, mais reprenant toujours de plus belle.

Un dimanche de Grandes Eaux à la Belle Époque : le bassin de Neptune (carte postale). © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Le 4 avril 2020 aurait dû être un jour de fête. Comme chaque année, des milliers de visiteurs devaient se presser dans le parc de Versailles pour assister à l’ouverture des Grandes Eaux. Chacun aurait pu admirer la puissance hydraulique, le tour de force technique, les jets facétieux et la poésie de verdure. Las ! Au printemps 2020, les grilles du parc sont restées fermées : on n’a pas vu courir d’enfants et, pour la première fois depuis longtemps, les Grandes Eaux de Versailles sont restées muettes.

Versailles ne s’entend pas sans ses jardins et, plus encore, ses fontaines. La quête des eaux fut la grande affaire du Roi-Soleil : Versailles, situé 100 mètres au-dessus de la Seine, ne bénéficie que d’une seule et faible alimentation naturelle, le ru de Clagny. Pour satisfaire les ambitions du souverain, on imagina un système hydraulique complexe, poussant les ingénieurs-fontainiers à aller chercher l’eau toujours plus loin, jusqu’à la Loire, pour alimenter les centaines de jets et effets d’eau. Malgré les millions engloutis, malgré la mobilisation de l’armée pour construire aqueducs et canaux, le combat fut vain : les fontaines de Versailles ne fonctionnèrent jamais toutes en même temps. Elles étaient actionnées successivement, selon le trajet des promenades royales.

Le Théâtre d’eau au temps de Louis XV, estampe de Jacques Rigaud, entre 1729 et 1752. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin.

Les eaux de Versailles s’arrêtèrent une première fois, lorsque la Cour quitta le Château à la mort de Louis XIV. Pendant sept ans, l’entretien du réseau hydraulique fut négligé. Au retour du Roi et durant tout le siècle, les jeux d’eau furent simplifiés ; des bosquets furent supprimés, comme le Labyrinthe et le Théâtre d’eau, très consommateurs ; le nombre de jets et effets d’eau passa de 1 400 à 600.

Plus de dix ans de sommeil avec la Révolution

À bien des égards, la Révolution fut une rupture. Le départ de la famille royale en 1789 vida le Château et une bonne partie de la ville de ses habitants. Le Parc fut à l’abandon, le Grand Canal asséché et transformé en champ. En conséquence, les fontaines se tarirent, on ne jouait plus les Grandes Eaux. La ruine menaçait : les canalisations furent délaissées, on pensa même faire passer la charrue sur tout le Domaine. À défaut, on planta le long du Tapis vert des arbres fruitiers ; d’autres arbres du Parc furent exploités pour en faire des affûts de canon.

Pendant une décennie, la cité des eaux s’endormit. Alors que l’avenir de Versailles était incertain, Napoléon lui donna un nouvel élan en logeant dans les ailes des Ministres les soldats blessés. En 1801, il ordonna de reprendre le spectacle des Grandes Eaux. Le 19 juillet, qui tomba opportunément un dimanche et un décadi, l’affluence fut énorme pour assister à leur jaillissement. Après dix ans d’oubli, Versailles redevint à la mode. Plus tard, alors que l’Empereur nourrit de grands projets pour l’ancienne demeure royale, il fit réparer les bassins, le château d’eau, les aqueducs et les ponts. Parce que rien ne devait résister au souverain, on étudia même le projet d’installer des pompes à vapeur pour réaliser le rêve du Roi-Soleil : faire fonctionner toutes les fontaines en même temps. Mais ce fut en vain, de nouveau.

De Paris à Versailles pour les Grandes Eaux (1842), Un Tamponnement au Pont de Sèvres, n°145, par Albert Feuillastre, vers 1910-1920. Caricature qui fait partie d’une série récemment acquise par le château de Versailles. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Sous la monarchie de Juillet, la facilitation des transports
attira des milliers de visiteurs

Le 2 août 1839, un événement bouleversa Versailles. L’arrivée du train mit la ville à quelques dizaines de minutes de la capitale, au lieu de plusieurs heures jusqu’alors. Avec le musée dédié à toutes les gloires de la France, ouvert trois ans plus tôt, Versailles devint une attraction aisément accessible depuis Paris. À la visite du monument s’ajouta la déambulation dans les jardins de Le Nôtre. Une vingtaine de fois durant les beaux jours, le spectacle des Grandes Eaux s’imposa comme une attraction de choix. On se précipita à Versailles pour assister à la magie hydraulique, en train ou en hippomobile, malgré les désagréments du voyage, moqués par le dessinateur Albert Feuillastre.

Dans les années 1850 furent comptabilisés jusqu’à 50 000 visiteurs et si le temps fit son œuvre, sur le Château comme sur l’infrastructure hydraulique qui, selon le mot de Pierre de Nolhac, « se ruin[ai]ent peu à peu », seules des crises majeures vinrent par la suite interrompre le spectacle, en particulier les guerres.

Le jour-même de la signature du traité de Versailles, en juin 1919, les Grandes Eaux sont jouées (carte postale).© Château de Versailles / Christophe Fouin.

Quand les guerres arrêtèrent le cours des eaux

En 1914, la mobilisation vida le Château de ses gardiens et de ses jardiniers ; le Parc, déjà délaissé, tomba en ruine. Les treillages des bosquets furent arrachés pour servir de bois de chauffe, et l’élagage des arbres fut interrompu. Les eaux se turent, le froid gela les canalisations. Il fallut attendre la signature de la paix au Château, cinq ans plus tard, pour que la féerie des eaux reprenne. Le 28 juin 1919, à 16 heures, alors que le dernier délégué reposait la plume, des salves d’artillerie retentirent, tandis que, pour la première fois depuis le début de la guerre, les Grandes Eaux jaillirent dans le parc, sous les vivats de la foule.

Soldats allemands assis sur le bassin de Latone asséché. Détail de la photographie, prise sous l’Occupation, alors que les Grandes Eaux sont complètement arrêtées. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

En 1939, Versailles était mieux préparé à la guerre ; dès le mois d’août, les œuvres d’art furent évacuées dans des châteaux de province. Selon le mot de Pierre Ladoué, « le château, fermé aux visiteurs, a revêtu sa tenue de guerre. Il est devenu le château de la Belle au bois dormant1 ». Surtout, les bassins furent vidés pour éviter que les reflets n’attirent l’attention des avions ennemis. On tâcha d’entretenir le Parc, on restaura même certaines fontaines, mais la magie des Grandes Eaux s’évanouit. Bientôt, tout le Domaine fut envahi par les troupes, des tranchées furent creusées autour de la pièce d’Eau des Suisses, des batteries de DCA installées dans le Grand Parc. Ce ne fut qu’à la fin du printemps 1946, un an après l’armistice, que les bassins du Petit Parc furent remplis. Silencieuses pendant près de six ans, les Grandes Eaux bruissèrent à nouveau dans Versailles.

Le dimanche 9 juin 1946 marque la reprise du jeu des Grandes Eaux en public, interrompu pendant la guerre. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Soirs de fête

Au cours du XXe siècle, en temps de paix, les Grandes Eaux furent jouées le dimanche des beaux jours, mais aussi, comme sous l’Ancien Régime, les soirs de fête. Lorsque John et Jackie Kennedy montèrent dans leur voiture à l’issue de la somptueuse réception offerte en 1961 par le général de Gaulle, l’eau jaillit des fontaines alors que la voiture présidentielle traversait le parc pour rejoindre la porte Saint-Antoine. La plupart des chefs d’État reçus à Versailles eurent droit à ce même cérémonial. Au printemps 1982, pour sécuriser le sommet du G7 organisé au Château, le parc et ses fontaines furent interdits au public pendant deux semaines : les eaux ne se déployèrent à nouveau que le 6 juin, au milieu d’effets pyrotechniques, alors que les dirigeants regagnaient le Grand Trianon après le dîner de gala servi dans la galerie des Glaces.

Le bassin d’Apollon sous les jets des Grandes eaux musicales. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Plus de guerres, plus de sommets internationaux : les visiteurs de la belle saison peuvent désormais profiter de la soixantaine de bassins et des 670 jets et effets d’eau. Aujourd’hui, le rêve de Louis XIV est réalisé : depuis l’abandon dans les années 1950 et 1970 des aqueducs de Buc et de Trappes, les Grandes Eaux jouent en même temps, en circuit fermé, grâce à un système de pompage à destination des réservoirs. Plus que jamais, Versailles est le « palais aquatique où les parterres sont des îles, tandis que des bassins au Grand Canal s’étend une mer qui gronde à l’occasion2 ». Nous l’entendrons, cette mer grondante de jets et de cascades multiples, au long de l’été 2021 !

Fabien Oppermann,
historien

1. Pierre Ladoué, « Au château de Versailles, 1938-1939 », Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1939, p. 181-184.
2. Roger Nimier, Versailles que j’aime, 1968, repris sous le titre « Le palais de l’ogre », dans L’élève d’Aristote, Gallimard, 1981, p. 75


L’officialisation des Grandes Eaux au XIXe siècle

Longtemps réservées aux fêtes et aux visites de marque, les Grandes Eaux deviennent, grâce au train, un divertissement populaire auquel se rendent, à partir du milieu du XIXe siècle, des milliers de visiteurs. Elles s’organisent et se diversifient jusqu’à ce qu’un calendrier officiel établisse, en 1861, « le jeu des Grandes Eaux, tous les premiers dimanches de chaque mois, et les Petites Eaux, le troisième dimanche »1. Les horaires se précisent, et les restaurations successives des bassins accroissent l’ampleur du spectacle qui mobilise, à la fin du XIXe siècle, entre 16 et 18 fontainiers.

De Paris à Versailles pour les Grandes Eaux (1842), Sous les Quinconces de la Patte d’Oie, n°148, par Albert Feuillastre, vers 1910-1920. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin.

En 1922, on passe à deux programmations dominicales par mois dans le parc de Versailles, auxquelles s’ajoute une nouvelle dans les jardins de Trianon. Et c’est en 1931, à la faveur de l’Exposition coloniale, que les Grandes Eaux se mettent à « jouer » tous les dimanches2.

1. Sauf en août et septembre, où l’on adapte le calendrier pour les fêtes de l’Empereur, de la Saint-Louis et des Loges.
2. Lire « Les Grandes Eaux, quel spectacle ! », par Daniella Malnar, dans le catalogue de l’exposition « Versailles Revival, 1867-1937 », Laurent Salomé et Claire Bonnotte (dir.), Coédition château de Versailles / In Fine, 2019, p. 348.


À VOIR

Le spectacle des Grandes Eaux

Dans la journée, les Grandes Eaux musicales animent les jardins du château de Versailles les samedis et dimanches.

Le soir, les Grandes Eaux nocturnes se déploient tous les samedis de la belle saison : deux heures et demie de promenade, pour petits et grands, au rythme de la musique baroque. À l’issue de cette déambulation libre à travers les jardins à la française somptueusement mis en eau et en lumière, un grand feu d’artifice vient clore la soirée.

Informations pratiques sur chateauversailles-spectacles.fr

Le feu d’artifice qui clôt aujourd’hui les Grandes Eaux nocturnes dans l’axe du Tapis vert et du bassin de Latone. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

mot-clés

partagez

à lire également