Plus d’une centaine de dessins ont été acquis entre 2000 et 2020 par le château de Versailles, marquant ainsi une nouvelle étape dans le développement de son cabinet des Arts graphiques. Le public va pouvoir apprécier à leur juste valeur ces œuvres souvent peu connues, conservées en réserve en raison de leur grande fragilité, et dont certaines seront exposées pour la première fois.
Réalisées au pastel, à la pierre noire, à la sanguine, aux trois crayons, à la plume, à l’aquarelle ou à la gouache, ces feuilles ont été choisies pour leur lien avec Versailles. À travers ses habitants et visiteurs (modestes ou prestigieux), ses lieux et décors (existants, disparus, projetés), elles racontent une autre histoire du Château, loin des images largement diffusées, parfois convenues. Elles nous incitent aussi à prendre le temps : celui d’observer plus attentivement les œuvres et les personnages que nous pensons si bien connaître, d’appréhender la finesse du trait et la subtilité des couleurs, de s’étonner de ces mille nuances, de s’émouvoir.
Le public sera invité à redécouvrir toutes ces figures de la Cour – princes, rois, artistes – non plus en représentation, mais dans la vérité de leurs expressions et de leur personnalité. Ainsi, ce portrait au pastel du jeune Louis XIV, saisi sur le vif au moment de son mariage, ne montre pas le roi de gloire, le commandant de ses armées, le successeur d’Alexandre, d’Auguste ou de César. Il ne s’affiche pas en armure, en costume de cour ou en tenue de sacre, mais comme un jeune homme que rien, ou presque, ne distingue, sauf peut-être un regard plus fier, légèrement hautain…
La vie quotidienne et animée du Château
Ces dessins nous entraînent également dans l’intimité du Château, où, loin de l’apparat, des réceptions et des cérémonies, vit la famille royale. Des enfants y sont élevés comme des princes, certes, mais aussi comme des adolescents dont les parents suivent attentivement l’éducation : la leçon de géographie donnée par le fils de Louis XV et la dauphine Marie-Josèphe à leurs trois enfants en témoigne.
D’autres saisissent des scènes de la vie quotidienne d’un palais qui abrite plusieurs centaines d’habitants. Un carrosse arrive à la grille royale, et la foule se presse. Courtisans, gardes suisses et françaises, petit peuple et marchands versaillais se croisent sur la place d’Armes. Celle-ci nous semble immuable : seule une petite aquarelle permet d’imaginer l’immense caserne – à laquelle une façade de tôle peinte, à l’imitation de toile rayée bleu et blanc, donne un air de campement militaire – qui y fut installée. Elle y resta, tout de même, une trentaine d’années…Des lavandières s’affairent avec leur linge à la pièce d’eau des Suisses : cette scène pittoresque avec, en arrière-plan, la silhouette étrangement étirée du Château, évoque un caprice à la manière d’Hubert Robert ; elle est, en fait, le reflet d’une vie ordinaire et industrieuse, peu représentée.
Les projets disparus de Marie-Antoinette, et ceux jamais réalisés de NapoléonRemonter le temps, imaginer l’avenir… À travers les albums de plans et de dessins qu’elle a elle-même commandés, se perçoit le regard porté par Marie-Antoinette sur « son » Trianon, l’attachement et la fierté de la propriétaire, sa joie de garder la trace de l’éphémère : les jardins, notamment ces fabriques qui, à la mode d’un jour, n’étaient sûrement pas destinées à durer. Certaines n’existent d’ailleurs plus, comme ce jeu de bague chinois si caractéristique de son temps…
Et si l’on peut éprouver quelque regret à contempler ces lieux disparus, comment, face aux divers dessins d’architecture, ne pas rêver à ce qui aurait pu être ? Et si Napoléon s’était installé à Versailles ? Et si son premier architecte, Jacques Gondoin, avait pu reprendre la façade et créer de nouveaux décors, mêlant le style de l’Ancien Régime à celui du nouveau ? Et si les aquarelles qu’il présenta à l’Empereur avaient pris forme, et donné une tout autre allure au palais des rois ?Surgissement
Là où la peinture, la sculpture, l’architecture fixent leur objet dans la durée, le dessin traduit l’immédiateté du geste, la liberté avec laquelle il a été initié. Il est l’expression première du talent de l’artiste pour qui, avec le dessin, tout reste encore possible.
Tournons-nous, par exemple, vers le plafond du salon d’Hercule, ses 142 divinités réunies sur l’Olympe, ses couleurs éclatantes, sa composition tournoyante, déployée sur 480 m2 – ce qui est un tour de force –, la noblesse de son sujet : l’apothéose du plus grand des héros. On peut être ébloui, comme Louis XV le fut lors de son inauguration. Mais en contempler les esquisses – le doux visage de l’Amour de la Vertu, la silhouette athlétique d’Hercule ou celle, alanguie, d’une Grâce – permet de saisir la subtilité, et non plus l’éclat grandiose, du talent de Lemoyne, d’éprouver le surgissement de sa pensée créatrice, et non plus les effets théâtraux attendus, et de goûter l’émotion provoquée.
Quant à Lucien Lévy-Dhurmer, avec ses Feux de Bengale dans les fontaines, loin d’une représentation réaliste des fameuses fêtes de nuit des Années folles, il en traduit le trouble. Eau et feu se confondent dans une explosion de pastels bleus et verts, la fête et l’histoire se poursuivent, et la mélancolie se mêle aux derniers feux du plaisir…
Élisabeth Maisonnier,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
responsable du cabinet des Arts graphiques.
À VOIR
Exposition « Dessins pour Versailles, vingt ans d’acquisitions », jusqu’au 7 novembre 2021,
en parallèle du Salon du Dessin à Paris.
Château de Versailles, appartements de Madame de Maintenon.
Horaires :
Tous les jours sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).
Billets :
Accessible avec un billet Passeport ou un billet Château ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité. Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
La réservation horaire est obligatoire pour accéder au Château.
Commissariat
Élisabeth Maisonnier,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
responsable du cabinet des Arts graphiques.
À LIRE
Le catalogue de l’exposition
Dessins pour Versailles, vingt ans d’acquisitions
Coédition château de Versailles/ Snoeck,
24 x 28 cm ; Prix: 45 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr