magazine du château de versailles

Renouveler le regard

Plus d’une centaine de dessins ont été acquis entre 2000 et 2020 par le château de Versailles, marquant ainsi une nouvelle étape dans le développement de son cabinet des Arts graphiques. Le public va pouvoir apprécier à leur juste valeur ces œuvres souvent peu connues, conservées en réserve en raison de leur grande fragilité, et dont certaines seront exposées pour la première fois.

Lavandières à la pièce d’Eau des Suisses, anonyme français, vers 1780-90. Acquis en 2020. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Réalisées au pastel, à la pierre noire, à la sanguine, aux trois crayons, à la plume, à l’aquarelle ou à la gouache, ces feuilles ont été choisies pour leur lien avec Versailles. À travers ses habitants et visiteurs (modestes ou prestigieux), ses lieux et décors (existants, disparus, projetés), elles racontent une autre histoire du Château, loin des images largement diffusées, parfois convenues. Elles nous incitent aussi à prendre le temps : celui d’observer plus attentivement les œuvres et les personnages que nous pensons si bien connaître, d’appréhender la finesse du trait et la subtilité des couleurs, de s’étonner de ces mille nuances, de s’émouvoir.

Louis XIV, par Wallerant Vaillant, 1660. © Château de Versailles / Christophe Fouin. Acquis en 2014.
Ce portrait de Louis XIV – peu connu et peint d’après modèle – restitue sans artifice les traits du jeune roi à une période de sa vie où il est encore peu représenté. Cette commande fait date dans l’histoire du dessin en France : le peintre et graveur Wallerant Vaillant introduit la technique du pastel, couvrant de couleurs la totalité de la feuille. La restauration et l’étude récentes de cette œuvre ont été l’occasion de nombreuses découvertes sur cette technique alors nouvelle, qui ouvre la voie aux pastellistes français des XVIIe et XVIIIe siècles.

Le public sera invité à redécouvrir toutes ces figures de la Cour – princes, rois, artistes – non plus en représentation, mais dans la vérité de leurs expressions et de leur personnalité. Ainsi, ce portrait au pastel du jeune Louis XIV, saisi sur le vif au moment de son mariage, ne montre pas le roi de gloire, le commandant de ses armées, le successeur d’Alexandre, d’Auguste ou de César. Il ne s’affiche pas en armure, en costume de cour ou en tenue de sacre, mais comme un jeune homme que rien, ou presque, ne distingue, sauf peut-être un regard plus fier, légèrement hautain…

La vie quotidienne et animée du Château

Ces dessins nous entraînent également dans l’intimité du Château, où, loin de l’apparat, des réceptions et des cérémonies, vit la famille royale. Des enfants y sont élevés comme des princes, certes, mais aussi comme des adolescents dont les parents suivent attentivement l’éducation : la leçon de géographie donnée par le fils de Louis XV et la dauphine Marie-Josèphe à leurs trois enfants en témoigne.

Le Dauphin, fils de Louis XV, donnant la leçon à ses trois enfants [détail], par Charles Monnet, vers 1765-1770. Acquis en 2013. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

D’autres saisissent des scènes de la vie quotidienne d’un palais qui abrite plusieurs centaines d’habitants. Un carrosse arrive à la grille royale, et la foule se presse. Courtisans, gardes suisses et françaises, petit peuple et marchands versaillais se croisent sur la place d’Armes. Celle-ci nous semble immuable : seule une petite aquarelle permet d’imaginer l’immense caserne – à laquelle une façade de tôle peinte, à l’imitation de toile rayée bleu et blanc, donne un air de campement militaire – qui y fut installée. Elle y resta, tout de même, une trentaine d’années…

La caserne des gardes françaises sur la place d’armes du château de Versailles, construite par Louis-François Trouard, dessinateur anonyme français, vers 1780. Acquis en 2019. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Des lavandières s’affairent avec leur linge à la pièce d’eau des Suisses : cette scène pittoresque avec, en arrière-plan, la silhouette étrangement étirée du Château, évoque un caprice à la manière d’Hubert Robert ; elle est, en fait, le reflet d’une vie ordinaire et industrieuse, peu représentée.

Lavandières à la pièce d’Eau des Suisses [détail], anonyme français, vers 1780-90. Acquis en 2020. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Les projets disparus de Marie-Antoinette, et ceux jamais réalisés de Napoléon

Remonter le temps, imaginer l’avenir… À travers les albums de plans et de dessins qu’elle a elle-même commandés, se perçoit le regard porté par Marie-Antoinette sur « son » Trianon, l’attachement et la fierté de la propriétaire, sa joie de garder la trace de l’éphémère : les jardins, notamment ces fabriques qui, à la mode d’un jour, n’étaient sûrement pas destinées à durer. Certaines n’existent d’ailleurs plus, comme ce jeu de bague chinois si caractéristique de son temps…

Le jeu de bague dans l’Album des plans et vues de Trianon, 1781-1782, par l’agence de Richard Mique [plans] et Claude-Louis Châtelet [vues]. © Château de Versailles / Christophe Fouin. Acquis en 2016.
Ce très précieux volume, classé Trésor national, témoigne de l’attachement de Marie-Antoinette à son domaine de Trianon, cadeau de Louis XVI en 1774. Elle y fait apporter de profondes modifications sous la direction de son architecte, Richard Mique, qui crée un jardin anglo-chinois. Pour en conserver la mémoire, elle en fait dessiner les plus beaux endroits par Claude-Louis Châtelet. Proche d’Hubert Robert, le dessinateur fournit des aquarelles du jeu de bague (disparu), de la Grotte, du Belvédère, du Temple de l’Amour. La Reine offrira des ouvrages semblables à ses hôtes de marque, Joseph II ou le futur tsar Paul Ier. Mais cet album-ci, à ses armes, figurait en bonne place dans sa bibliothèque de Trianon.

Et si l’on peut éprouver quelque regret à contempler ces lieux disparus, comment, face aux divers dessins d’architecture, ne pas rêver à ce qui aurait pu être ? Et si Napoléon s’était installé à Versailles ? Et si son premier architecte, Jacques Gondoin, avait pu reprendre la façade et créer de nouveaux décors, mêlant le style de l’Ancien Régime à celui du nouveau ? Et si les aquarelles qu’il présenta à l’Empereur avaient pris forme, et donné une tout autre allure au palais des rois ?

Projet de décor des appartements de l’Empereur et de l’Impératrice au château de Versailles, vers 1807, par Jacques Gondoin. © Château de Versailles / Christophe Fouin.Acquis en 2020.
Cet album est un témoignage unique des projets d’installation de Napoléon au château de Versailles. Autrefois attribué aux architectes de prédilection de l’Empereur, Charles Percier et Pierre-François-Léonard Fontaine, il est bien l’œuvre de Jacques Gondoin. En effet, c’est à lui que Napoléon a commandé des projets de reconstruction et de réaménagement complets en 1806. Proposant d’harmoniser la façade du Château avec l’aile construite par Gabriel, mais conservant les Grands Appartements et la galerie des Glaces, l’architecte conçoit un décor au goût de l’époque : scènes de bataille, paysages à l’antique, célébrations des vertus romaines et tenture au chiffre de Napoléon auraient cohabité avec les torchères (identiques à celles créées par Gondoin lui-même pour la galerie des Glaces en 1769), les consoles ou les lits de style Louis XVI.

Surgissement

Là où la peinture, la sculpture, l’architecture fixent leur objet dans la durée, le dessin traduit l’immédiateté du geste, la liberté avec laquelle il a été initié. Il est l’expression première du talent de l’artiste pour qui, avec le dessin, tout reste encore possible.

Tête de L’Amour de la Vertu, étude pour « l’Apothéose d’Hercule », par François Lemoyne, vers 1733. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux. Acquis en 2020.
Le Mercure de France décrit ainsi le plafond du salon d’Hercule, dévoilé en octobre 1736 : « Hercule, présenté à Jupiter par l’Amour de la Vertu, est tiré dans un char par les génies du même amour. » François Lemoyne prépare soigneusement ce tour de force – son chef-d’œuvre – à travers plus de deux cents dessins préparatoires : seule une vingtaine est aujourd’hui connue. Ce sont principalement des figures isolées, souvent nues, traitées en raccourci pour tenir compte de la forme du plafond. Pour les visages des principales figures, Lemoyne réalise des pastels, presque des portraits. Ainsi, l’exceptionnelle Tête de l’Amour de la Vertu témoigne de sa virtuosité et de sa rapidité d’exécution, associées à une grande précision dans le dessin des yeux, de la bouche et de la chevelure. Le contraste entre l’estompe des aplats au pastel, le trait de pierre noire, qui dessine le cou et relève le mouvement de chaque boucle de cheveux, et les hachures donne un modelé subtil au visage. La traduction picturale en conservera les lignes, mais la douceur sera perdue au profit d’une noblesse bien plus froide, sur fond de discours allégorique très politique.

Tournons-nous, par exemple, vers le plafond du salon d’Hercule, ses 142 divinités réunies sur l’Olympe, ses couleurs éclatantes, sa composition tournoyante, déployée sur 480 m2 – ce qui est un tour de force –, la noblesse de son sujet : l’apothéose du plus grand des héros. On peut être ébloui, comme Louis XV le fut lors de son inauguration. Mais en contempler les esquisses – le doux visage de l’Amour de la Vertu, la silhouette athlétique d’Hercule ou celle, alanguie, d’une Grâce – permet de saisir la subtilité, et non plus l’éclat grandiose, du talent de Lemoyne, d’éprouver le surgissement de sa pensée créatrice, et non plus les effets théâtraux attendus, et de goûter l’émotion provoquée.

Quant à Lucien Lévy-Dhurmer, avec ses Feux de Bengale dans les fontaines, loin d’une représentation réaliste des fameuses fêtes de nuit des Années folles, il en traduit le trouble. Eau et feu se confondent dans une explosion de pastels bleus et verts, la fête et l’histoire se poursuivent, et la mélancolie se mêle aux derniers feux du plaisir…

Élisabeth Maisonnier,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
responsable du cabinet des Arts graphiques.


À VOIR

Exposition « Dessins pour Versailles, vingt ans d’acquisitions », jusqu’au 7 novembre 2021,
en parallèle du Salon du Dessin à Paris.
Château de Versailles, appartements de Madame de Maintenon.

Horaires :
Tous les jours sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets :
Accessible avec un billet Passeport ou un billet Château ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité. Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
La réservation horaire est obligatoire pour accéder au Château.

Commissariat
Élisabeth Maisonnier,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
responsable du cabinet des Arts graphiques.


À LIRE

Le catalogue de l’exposition
Dessins pour Versailles, vingt ans d’acquisitions
Coédition château de Versailles/ Snoeck,
24 x 28 cm ; Prix: 45 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

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