Bassin carré, Plat-Fond, Rond d’eau, Buffet d’eau et autres fontaines : les jardins du Grand Trianon n’ont rien à envier à ceux du Château. Encore l’eau doit-elle les alimenter en quantité suffisante, ce que la reprise de leur système hydraulique est en train de considérablement améliorer.
Dessinés par Michel Le Bouteux, les jardins du Grand Trianon furent étendus par André Le Nôtre lors de la reconstruction des bâtiments, à partir de 1687. Quelle place y trouvait l’eau ?
Jacques Moulin : L’eau a toujours eu son importance dans les jardins de Trianon. Dès les années 1670, elle apparaît à travers des fontaines peintes, selon les archives, « à l’imitation de la porcelaine ». Elle s’est déployée avec les deux cascades aménagées par Le Bouteux, remplacées ensuite par le Buffet d’eau. Les jardins de Trianon étaient identifiés comme des lieux privés et raffinés, où les fleurissements dominaient, mais où l’on accordait autant d’attention à l’eau que dans les jardins du Château.
Au tout début du XVIIIe siècle, c’est au tour de Jules Hardouin-Mansart d’intervenir sur ces jardins et leurs fontaines.
Mansart a depuis plusieurs années la responsabilité des jardins du Château, tandis que la composante baroque des aménagements de Le Nôtre n’est plus d’actualité. Il procède à un rééquilibrage du décor des bassins en déplaçant certaines sculptures depuis Versailles jusqu’au Grand Trianon où aucune, au départ, ne figurait. Le bosquet du Théâtre d’Eau ou les bassins des Saisons se voient ainsi simplifiés au profit des fontaines de Trianon : miroirs et jets s’inscrivent ainsi dans les nouvelles perspectives du jardin, en jalonnant la promenade d’ouvrages précieux et en déclinant toute la diversité des figures hydrauliques du temps.
La restauration des jardins du Grand Trianon a été lancée en donnant la priorité à la mise en place d’une boucle hydraulique. Pourquoi et comment ?L’alimentation en eau des jardins de Trianon dépendait à l’origine d’un seul réservoir, celui du Trèfle, conçu en fonction des premiers aménagements. Les besoins se sont accrus au fur et à mesure que se sont développés les jardins sous Louis XV, puis sous Louis XVI et Marie-Antoinette. Ils ont nécessité la construction d’un aqueduc récupérant les eaux de Rocquencourt et permettant d’amplifier l’irrigation de tout le Domaine. Or, depuis le début du XXe siècle, cette deuxième alimentation est coupée.
Par ailleurs, l’eau qui ressortait des bassins par gravité n’était plus réutilisée mais renvoyée depuis les années 1950 dans les égouts. Le déficit n’en fut qu’accentué, amenant à réduire le fonctionnement des bassins et des fontaines à seulement quelques journées par an. À défaut de pouvoir réintroduire les eaux de Rocquencourt dans le système – ce que j’espère à plus long terme – il fallait tout au moins intercepter ces eaux de trop-plein : elles sont désormais récupérées dans le bras nord du Grand Canal où une pompe plus énergique les renvoie vers le bassin du Trèfle, en circuit fermé.
Parallèlement, une pièce majeure du décor de ces jardins a été remise en état :
le Bassin carré.
Conçu par Le Nôtre, il fut déplacé dans l’axe Nord-Sud des jardins par Richard Mique, à la fin du XVIIIe siècle. C’est l’un des rares bassins qui ait conservé sa structure ancienne : son fond dallé de pierre, son étanchéité en tables de plomb et sa margelle en marbre rouge du Languedoc. L’étanchéité, qui n’était plus assurée depuis longtemps, a été rétablie par les fontainiers du Domaine. Cette restauration permet de rendre toute sa subtilité à la perspective transversale du jardin voulue par Mique, avec la succession de ses trois bassins, le premier rond, le second carré et le troisième octogonal.
Ce travail sera complété par la réfection de la jupe en plomb en forme de rocher qui dissimulait la structure métallique supportant le groupe sculpté. De telles structures n’étaient jamais apparentes, et cet habillage les cachait systématiquement.
Qu’en sera-t-il de la polychromie de ce groupe sculpté ?
Du temps de Louis XIV jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, toutes les sculptures des fontaines étaient dorées ou peintes au naturel. Ces décors faisaient l’objet d’un entretien plus ou moins régulier. Lorsqu’il a cessé, les dorures et les peintures ont peu à peu disparu et se sont fait oublier, laissant le métal des sculptures à nu.
Bien sûr, les groupes sculptés de Trianon doivent, à terme, retrouver leur dorure d’origine : ce serait un gage d’authenticité, de préciosité mais également de protection. Reste à savoir comment. Au XVIIe siècle, certains avaient reçu une dorure à la détrempe, d’autres une mixtion1, donnant un aspect très voisin. Avec des contraintes différentes qui sont toujours d’actualité : le premier procédé coûte cher mais exige peu d’entretien ; le second est plus économique mais impose d’y revenir fréquemment. Il a été réessayé sur les bassins des Saisons, dans les jardins du Château ; Leur observation devrait influencer nos choix ultérieurs. J’ajoute que, si la dorure paraît clinquante les premiers temps, c’est quand même ce qui offre l’aspect le plus satisfaisant à moyen et long terme : voyez comme s’est adoucie celle du bassin de Latone, qui avait choqué au départ !
Et, grâce au mécénat de la Fondation Bru, c’est au tour du Buffet d’eau, fontaine monumentale composée en cascade à l’extrémité d’une des perspectives latérales des jardins.
Le Buffet d’eau est une création de Jules Hardouin-Mansart, du début des années 1700. Derrière son aspect très frontal, cette véritable construction fait plus de 12 mètres de profondeur ! Elle subit aujourd’hui les désagréments de son grand âge – plus de 300 ans – avec des fondations qui se sont altérées. On peut dire que, lorsqu’elle est en eau, elle coule autant à l’intérieur qu’à l’extérieur !
Le cerclage métallique mis en place au XVIIIe siècle pour contenir ces désordres a été défait à la fin du XIXe, lors d’une deuxième opération de restauration. Aujourd’hui, une dépose partielle et une restauration méticuleuse de chacun des éléments s’imposent. On consolidera les fondations et la structure avant de passer aux sculptures et de remettre en marche la fontainerie. L’air de rien, c’est un énorme travail, en particulier pour les somptueux marbres de parements. La plupart d’entre eux pourront être recollés, mais il s’agit de retrouver du rouge du Languedoc et de la brèche violette pour combler les quelques parties manquantes ou trop dégradées.
« Le Buffet d’eau est une création de Jules Hardouin-Mansart, du début des années 1700. Derrière son aspect très frontal, cette véritable construction fait plus de 12 mètres de profondeur ! »
Et du côté du Petit Trianon ?
Le jardin souffre plus encore du manque d’eau. Tous les jeux d’eau des cascatelles, des grottes, de la rivière et du bief du moulin n’existent pratiquement plus. L’étang du Hameau est dénaturé par la ruine de ses berges et la pousse d’une végétation exubérante. Nous allons entreprendre la remise en état de son pourtour maçonné afin que le gazon vienne, comme autrefois, jusqu’à ses rives. La nouvelle boucle hydraulique permet de disposer d’une plus grande réserve d’eau et de mieux alimenter les cascatelles, en retrouvant un peu de l’enchantement hydraulique des abords du Hameau. Néanmoins, la rivière ne reprendra son véritable débit que le jour où nous parviendrons à capter de nouveau les eaux de Rocquencourt.
À plus long terme, comment envisagez-vous la suite de la restauration des jardins du Grand Trianon ?
La restauration d’un jardin s’effectue de manière continue. Nous avons retrouvé une documentation extraordinairement précise sur les dispositions datant de Louis XVI, qui subsistent et qui ont été choisies comme état de référence. La replantation du parc a suivi la tempête de 1999, et celle du jardin du Roi est en cours grâce aux jardiniers de Trianon. Autre changement, et pas des moindres : la taille en plateau des quinconces, qui était moderne, a été suspendue pour laisser les arbres reprendre leur volume naturel. Le sujet suivant concernera les deux grands parterres, haut et bas, qui prolongent le péristyle, avec les fleurissements exubérants qui faisaient la célébrité des jardins du Grand Trianon !
Propos recueillis auprès de Jacques Moulin, Architecte en chef des monuments historiques,
en charge des jardins de Versailles et de Trianon,
par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
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1. La dorure à l’huile ou mixtion donne un aspect plus mat.
La restauration de la boucle hydraulique et du Buffet d’eau est réalisée grâce au mécénat de la Fondation Bru.