Sa restauration extérieure a nécessité le démontage de sa toiture, des ornements qui la couvraient et d’autres parties comme ses verrières. Une véritable mise à nu à travers laquelle la Chapelle royale a livré ses secrets, des trésors de conception architecturale et de création artistique.
Après plus de trois ans de travaux, le grand chantier de restauration de la Chapelle royale s’est achevé. Au-delà des apparences triomphales – dont la dorure retrouvée – qui ont émergé peu à peu des échafaudages, il a révélé un véritable « monde caché », tant artistique que technique. Ces éléments, analysés, sauvegardés et remis en état avec le plus grand soin par des hommes et des femmes passionnés de leur métier, confirment, si besoin était, l’exceptionnelle maîtrise de Jules Hardouin-Mansart, qui nous a livré un chef-d’œuvre absolu, un monument de référence à tous points de vue.
En hauteur, des verrières dotées de menuiseries métalliques d’une grande sophistication
Ce qui frappe tout d’abord, c’est le soin apporté aux moindres détails, même à plusieurs dizaines de mètres du sol, quasiment inaccessibles aux regards. Si la dorure focalise l’attention, elle pare non seulement les ornements de plomb de la toiture – que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer1 – mais également les réseaux métalliques qui enchâssent les verrières.
Exécutées en fer forgé d’une remarquable qualité, les ossatures compartimentent les trois niveaux de baies, qui prodiguent largement la lumière au sein de l’édifice. Scandées par des renforts chantournés à chaque intersection, munies de parcloses moulurées et d’ouvrants intégrés, ce sont là de véritables huisseries. À l’instar des réseaux de pierre des grandes fenêtres gothiques de nos cathédrales, elles dessinent et rythment les surfaces vitrées en accompagnement des bordures peintes en jaune d’argent. Naguère banalisées par une peinture extérieure foncée qui les oblitérait, elles ont retrouvé l’importance voulue par Mansart grâce au rétablissement de leur dorure, qui répondait autrefois à celle des menuiseries des fenêtres appartenant au corps central du Château tout autant qu’à celle des toitures, désormais complétée. Le petit-fils de l’architecte, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, en reprendra le modèle, un demi-siècle plus tard, à la Cathédrale Saint-Louis de Versailles, mais il n’aura jamais les moyens de leur conférer si éclatante parure…
Un colosse aux pieds d’argile
L’impressionnante toiture, dont l’élan vertical, côté jardins, jaillit en contrepoint de la longue ligne horizontale de la façade du Château, est portée par une charpente non moins spectaculaire. Celle-ci témoigne du savoir-faire des compagnons du début du XVIIIe siècle, qui renoncèrent alors à la gracilité des charpentes médiévales. Elle dégage une impression de puissance et de force tant la densité de chêne est omniprésente, avec des sections de poutres largement distribuées, assemblées avec une parfaite maîtrise. Avec ses trois niveaux d’enrayures superposés, ses passerelles et ses escaliers, le comble évoque irrésistiblement l’intérieur d’un vaisseau de la marine royale : une forêt de bois, monde clos et chaleureux protégé des éléments déchaînés.
« Avec ses trois niveaux d’enrayures superposés, ses passerelles et ses escaliers, le comble évoque irrésistiblement l’intérieur d’un vaisseau de la marine royale : une forêt de bois, monde clos et chaleureux protégé des éléments déchaînés. »
Les rigueurs du climat n’avaient néanmoins pas épargné cet ensemble très exposé, miné par les fuites de la couverture et entretenu de façon aléatoire. L’un des arêtiers s’était ainsi affaissé d’une vingtaine de centimètres, tandis que les pieds des fermes s’étaient déformés. La pose de tirants, dans les années 1920, n’avait été qu’un palliatif insuffisant.
Mansart avait imaginé une disposition singulière pour assurer à la fois la réception des eaux pluviales en pied des grands versants et le maintien de la base de la charpente : un chéneau de pierre de taille, largement dimensionné, enjambe les pieds des arbalétriers2 et les sablières3. Il dirige l’eau dans des descentes de plomb encastrées à l’intérieur de la maçonnerie jusqu’aux toitures plates des tribunes. Malheureusement, ce dispositif sophistiqué, s’il a l’avantage de dissimuler tout élément trivial au regard, a été mal entretenu, au point de générer des infiltrations. La restauration qui vient de s’achever a, pour la première fois, été poussée jusqu’au bout : le démontage complet du chéneau a permis d’accéder aux sablières, complètement pourries, qui ont été remplacées dans leur quasi-totalité. Les compagnons charpentiers ont accompli la prouesse de changer les bois « en sous-œuvre ». Après avoir étayé la forêt de chêne au-dessus, ils sont même parvenus à redresser les parties affaissées avant que les maçons ne viennent remonter les pierres du chéneau.
Ainsi restaurée scrupuleusement suivant ses dispositions primitives – et avec le même soin que les parties visibles –, la magnifique charpente témoigne de la transmission de savoir-faire ancestraux, préoccupation majeure de la restauration du patrimoine. Sans l’intelligence de la main, point de sauvegarde possible, et la France peut s’enorgueillir d’être, grâce à l’action inlassable du service des monuments historiques, l’un des pays d’Europe où l’excellence est encore présente. Ce chantier versaillais aura été, une fois de plus, une magnifique occasion de former une nouvelle génération de compagnons dignes de leurs aînés…
Statues de l’air
Plus évidente à première vue, mais riche en surprises, l’ornementation sculptée de la Chapelle royale se décline, du sol à la toiture, sous de multiples formes : agrafes et guirlandes des baies basses, imposants chapiteaux des pilastres corinthiens et anges surmontant les arcades des tribunes, théorie monumentale des saints et docteurs de l’Église couronnant la balustrade, guirlandes de fleurs aux cintres des baies hautes, grandes torchères scandant la base de la toiture, jusqu’aux figures rampantes du fronton occidental, pour ne citer que la statuaire de pierre…
Les torchères, posées sur le chéneau, avaient déjà été changées au XIXe et au XXe siècles. Elles ont été entièrement refaites à partir de l’unique exemplaire original, datant du XVIIIe siècle, encore existant. En revanche, et paradoxalement, malgré leur exposition sans ménagement aux intempéries, on a pu garder en place les statues et bas-reliefs des parties hautes qui constituent aujourd’hui un unicum : le plus important ensemble authentique conservé sur un monument de l’époque classique, alors que la plupart des grands édifices parisiens (le Louvre, les Invalides, l’École militaire, le Val-de-Grâce…) ont vu leur décor sculpté se dégrader et être renouvelé à plusieurs reprises.
L’état de conservation exceptionnel de la chapelle de Versailles s’explique par le choix, à l’époque, de la pierre de Tonnerre, conjugué à la faible présence, aujourd’hui, de pollution par rapport à celle de la capitale. Face à ce constat étonnant, la Commission nationale des monuments historiques a opté pour le maintien en place, dans son intégralité, de tout ce décor sculpté qui a été numérisé après restauration. L’état de référence issu de cette campagne de travaux restera ainsi documenté sous forme de « moulage virtuel », où le moindre détail aura été précieusement consigné. Une façon parmi d’autres de garder la mémoire de cet extraordinaire dévoilement de la Chapelle royale.
Frédéric Didier,
Architecte en chef des monuments historiques, en charge du château de Versailles.
1. Lire « Ors divins », par Thomas Clouet, dans Les Carnets de Versailles nº17.
2. Grands chevrons portant la toiture.
3. Pièces de chêne posées à plat en tête des murs et servant de socle à l’ouvrage de bois.
La Chapelle royale du château de Versailles a été restaurée grâce au mécénat principal de la Fondation Philanthropia, qui a souhaité fédérer d’autres mécènes. Saint-Gobain, Dior et JCDecaux se sont ainsi également mobilisés en faveur de ce chantier d’ampleur ainsi que, pour les statues, de nombreux particuliers et la Société des Amis de Versailles.
Un travail acharné
L’intervention la plus délicate a concerné les anges en bas-relief de la tribune, déjà largement repris par les architectes Questel, puis Benjamin Chaussemiche entre les deux guerres. Le mélange des pierres originales et de restauration, de natures différentes, joint à des sels issus des infiltrations anciennes provoquait une évolution inexorable des désordres, au point de rendre informes et instables certaines parties.
Les pierres endommagées ont dû être remplacées, mais la lisibilité de toute la narration sculptée a été retrouvée grâce à une exceptionnelle documentation photographique constituée dès le début du XXe siècle, alors que les œuvres étaient beaucoup moins dégradées. Là encore, le travail acharné des restaurateurs et des sculpteurs (consolidation, modelage, épreuve en plâtre, taille directe sur pierre…) a permis, pas à pas, de rendre justice à l’œuvre des plus grands sculpteurs du temps du Roi-Soleil, orchestrée par Mansart et Robert de Cotte.
À VOIR AUSSI :
-
-
- Le portfolio avant restauration par Jean-Philippe Mesguen : au faîte de la Chapelle
- La présentation du projet par l’Architecte en chef des monuments historique
- L‘installation de l’échafaudage de la Chapelle
- La restauration des statues monumentales en pierre de la Chapelle
- La restauration de la charpente de la Chapelle
- La restauration des ornements en plomb de la Chapelle
- La restauration des menuiseries des baies de la Chapelle
- La restauration des verrières de la Chapelle
- L’origine des dorures de la Chapelle royale
- Reportage sur la dorure
- L’interview de Thomas Clouet et Stéphane Masi qui ont suivi de près le chantier.
-
Et plus d’information sur la restauration de la Chapelle royale