magazine du château de versailles

La brigade de Versailles

Dans les coulisses, c’est elle qui veille sur la machinerie historique du théâtre de la Reine et sait la faire fonctionner. Une expertise reconnue qui commence à s’exporter hors du Château, auprès d’autres théâtres anciens.

Raphaël Masson (à gauche) a succédé à Jean-Paul Gousset (à droite) pour diriger la brigade de Versailles. © EPV / Thomas Garnier.

À Trianon, depuis quelques années, le théâtre de la Reine reçoit des visites d’un genre particulier, destinées à faire découvrir les secrets d’un exceptionnel patrimoine artistique et technique. Inauguré en 1780, le théâtre que Marie-Antoinette avait commandé à Richard Mique a, en effet, conservé l’intégralité de sa machinerie en état de marche, ainsi que quelques décors du temps de Louis-Philippe, miraculeusement intacts. Les visites permettent au public d’assister à des changements à vue, véritables effets spéciaux de l’époque, puis de monter sur scène où il est accueilli par les machinistes chargés de mettre en mouvement cette vaste et complexe mécanique. C’est l’occasion de découvrir un métier de l’ombre par essence, mais dont l’exercice est vital pour un théâtre. Cette découverte de l’envers du décor s’achève souvent par des échanges nourris.

Longue et prestigieuse lignée de machinistes

Passionnés et fiers de servir un tel patrimoine, Lionel Usandivaras, Édouard Bouchayer, Thomas Genin, Pasquale Mascoli, Charles-Édouard Soudan, Brice Delorme et Demis Boussu, intermittents du spectacle régulièrement employés à Trianon, se consacrent à l’entretien, l’amélioration, la présentation et la conservation de ce patrimoine unique en France. Réunis en « brigade » – terme de rigueur au théâtre –, ils ont tous été choisis et, pour la plupart, formés par Jean-Paul Gousset. Avant de partir à la retraite, ce dernier a ainsi veillé à assurer la transmission d’un savoir et de traditions orales qui rattachent ces machinistes d’un genre un peu particulier à la longue et prestigieuse lignée d’artistes comme Carlo Vigarani, Blaise-Henri Arnoult ou Pierre Boullet. Tous s’illustrèrent de façon éclatante à Versailles, l’un ensorcelant les fêtes de Louis XIV par ses créations, l’autre concevant des systèmes toujours plus ingénieux pour Louis XV et son entourage (la chaise volante de Madame de Pompadour, la machinerie de l’Opéra royal), le dernier livrant à Marie-Antoinette, pour Trianon, un théâtre à l’équipement perfectionné.

La machinerie des cintres du théâtre de la Reine. © EPV / Jean-Marc Manaï.

Machinistes du XXIe siècle, les membres de la brigade ont cependant conscience de s’inscrire dans cette longue filiation et d’être les maillons d’une chaîne ininterrompue. Pour le leur rappeler, des inscriptions et des graffitis parsèment les murs de la cage de scène du théâtre et se repèrent même sur certains châssis de décors. Discrets témoignages qui conservent le souvenir de machinistes comme, par exemple, ceux des Bouffes Parisiens, venus, en mai 1893, servir un spectacle à Trianon. Fantômes bienveillants, ces noms sont tous familiers à la brigade qui sait qu’au théâtre de la Reine, elle perpétue une aventure qui débuta un jour de juin 1780, lorsque le rideau se leva sur un Prologue pour l’ouverture du théâtre de Trianon. Au début de cette petite pièce de circonstance, la scène était montrée sens dessus-dessous, des éléments de décors pendant des cintres dans le plus grand désordre. À la fin de ce prologue allégorique, tout se mettait peu à peu en place à la vue du public. Bel hommage à la machinerie conçue par Pierre Boullet (qui œuvrait alors à l’opéra de Paris) et à ceux que l’on appelait autrefois les ouvriers du théâtre.

Du matériel entièrement d’époque

Peu de choses ont changé depuis. Les machines sont toujours mues à la main (leurs palettes polies par plus de deux siècles de manipulations), équipées de fils de chanvre comme à l’origine. Les décors, plantés sur scène ou rangés dans leur case dite « du lointain », datent pour la plupart du XIXe siècle. La brigade veille jalousement sur ces trésors, dont le plus prestigieux – le tableau du Temple de Minerve – remonte tout de même à 1754… Elle sait manipuler ces trésors avec soin et, le cas échéant, peut renforcer tel ou tel point faible, réparer une charnière ou remettre quelques broquettes. De la même façon, elle ausculte avec attention les machines dont la moindre défaillance pourrait entraîner de graves conséquences. Les parties abîmées sont remplacées à l’identique : même essence de bois, récupération et remploi des pointes ou clous du XVIIIe siècle…

Un conservatoire des techniques anciennes

Ce savoir-faire particulier, constamment alimenté par le souci de préserver tout ce qui touche le théâtre de la Reine afin d’en faire une sorte de conservatoire des techniques anciennes, Versailles le partage aujourd’hui avec d’autres institutions confrontées à des problématiques similaires. La brigade intervient ainsi régulièrement sur les scènes des châteaux de Fontainebleau et de Compiègne, théâtres du XIXe siècle dotés de décors remarquables que l’on commence seulement à redécouvrir. Avec le sentiment, non dénué de fierté, de marcher dans les pas de l’ancienne institution des Menus Plaisirs qui, sous l’Ancien Régime, était chargée – entre autres – des théâtres de la Cour…

Raphaël Masson,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
chargé de la recherche appliquée aux collections et de la conservation des théâtres.


À SUIVRE

La visite guidée Les effets scéniques au théâtre de la Reine au domaine de Trianon,
prochaines séances les 27/01, 09/02, 19/02, 18/03 et 25/03/2002

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