Les pendules font l’objet de toutes les attentions actuellement à Versailles. Après les bronzes virtuoses de la pendule dite « aux Sultanes », c’est au tour de deux pendules de Louis XV : la pendule en ivoire, exceptionnelle de préciosité, qui est en cours de restauration et sera présentée dans les cabinets intérieurs de Marie-Antoinette, ainsi que la célèbre horloge astronomique de Claude-Siméon Passemant.
La pendule dite « aux Sultanes », sublime turquerie
En 2017 et 2020, cette pendule a fait l’objet d’une importante restauration de ses bronzes, œuvre de François Rémond, l’un des meilleurs maîtres ciseleurs et doreurs de son temps. Depuis, elle a repris sa place dans la pièce des Nobles de l’appartement de la Reine, aux côtés de sa garniture composée d’une spectaculaire paire de candélabres à sept branches soutenues par des autruches.
Cette pendule monumentale au décor exotique composé de quatre dromadaires richement harnachés, de deux femmes vêtues et coiffées à la turque, d’une tente évoquant celle des sultans, mêlée aux motifs de croissants et de perles, a été livrée en 1781 à Versailles pour le second cabinet turc du comte d’Artois. En effet, le jeune prince en posséda trois, deux successifs situés au château de Versailles, au premier étage de l’aile du Midi, le troisième créé dans sa résidence parisienne du Temple. L’engouement général pour les turqueries au cours de la décennie 1770-1780 suscita à la Cour la création de précieux boudoirs turcs, dont les plus célèbres furent ceux du comte d’Artois et de la reine Marie-Antoinette à Versailles et à Fontainebleau.
La pendule en ivoire,
tournée par Louis XV
Cette précieuse pendule a appartenu à Madame Adélaïde, vraisemblablement saisie au château de Bellevue à la Révolution, puis vendue en 1793-1794 au citoyen La Bussière.
Une deuxième similaire, offerte à la jeune dauphine Marie-Antoinette en 1770 à l’occasion de son mariage, figure dans l’inventaire de ses pendules réalisé en 1793 par l’horloger Robin, avec cette mention : « ouvrage de Louis 15 ». Elle est aujourd’hui conservée au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, avec sa garniture de vases en ivoire tourné. Le mouvement de celle de Versailles, réalisé par Jean-Antoine Lépine, indique les quantièmes (la date dans le mois) et le jour de la semaine.
De forme carrée, la cage réalisée en ivoire découpé, tourné et guilloché, est posée sur une terrasse ornée d’une frise d’entrelacs rythmée de fleurons, flanquée de deux colonnes cannelées et couronnée par une cassolette brûle-parfum. La complexité du dessin, l’exécution particulièrement précise et souple des ivoires, la finesse de l’ornementation en bronze ciselé et doré – telles les cannelures torsadées des colonnes –, comme le degré de précision dans l’assemblage, démontrent une maîtrise technique prodigieuse. Partie au XVIe siècle de l’Allemagne du Sud, plus précisément de Nuremberg, ville des mathématiciens et des orfèvres, la vogue des ivoires tournés gagna rapidement toutes les cours d’Europe. Fascinés par ces objets réalisés dans une matière précieuse et exotique, qui devaient autant à l’invention artistique qu’à l’esprit mathématique, les princes et les rois commencèrent à les collectionner, avant de s’y essayer eux-mêmes.« Fascinés par ces objets réalisés dans une matière précieuse et exotique, qui devaient autant à l’invention artistique qu’à l’esprit mathématique, les princes et les rois commencèrent à les collectionner, avant de s’y essayer eux-mêmes. »
Ainsi, au XVIIe siècle, le tour devint un élément incontournable de l’éducation d’un futur souverain, constituant une forme d’apprentissage ludique alliant l’effort intellectuel à la pratique manuelle et contribuant à renforcer les vertus princières qu’étaient la patience, l’adresse, la rigueur mathématique et mécanique. Les princes-électeurs Jean-Georges et Auguste de Saxe à Vienne, le duc Cosme III et son fils Ferdinand à Florence, les rois Christian V et Frédéric IV du Danemark, Pierre le Grand et Maria Feodorovna en Russie, réalisèrent de leurs mains des ivoires aujourd’hui conservés dans les grands musées d’Europe.
À Versailles, Louis XV s’adonna lui aussi à ce passe-temps qui devint une véritable passion, cultivée tout au long de son règne. En témoignent les nombreuses « pièces du Tour », disposées dès l’été 1722 dans ses cabinets particuliers autour de la cour des Cerfs. « Sa Majesté s’est amusée à tourner sur le tour que Mlle Maubois lui avait fait », annonce le Mercure de France en 1726. C’est en effet une femme, Jeanne-Madeleine Maubois, qui occupait la charge de maître de tour du Roi. Elle enseigna à Louis XV et à ses filles, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie, cet artisanat complexe, coûteux et raffiné, et les seconda dans la réalisation de ces pièces. Divertissement aristocratique par excellence, l’art des ivoires tournés devait naturellement s’éteindre à la fin du XVIIIe siècle, avec la Révolution.
L’horloge astronomique de Passemant, icône des collections versaillaises
Quant à la grande pendule astronomique conçue par Claude-Siméon Passemant, elle est actuellement en cours d’étude. Véritable monument artistique et scientifique, elle va faire l’objet d’une restauration fondamentale – la première de son histoire – de son cabinet en bronze, chef-d’œuvre de l’art rocaille, ainsi que de son mécanisme horloger et astronomique. Souvent qualifiée de « magique » ou de « miracle de sciences », pour reprendre la belle formule du duc de Luynes, cette pendule est avant tout une œuvre mécanique qui, si elle n’est pas restaurée, s’enraye en provoquant la détérioration progressive de l’ensemble de son mouvement.
Hélène Delalex,
conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
L’étude de la pendule en ivoire a été possible grâce au mécénat de la SARL Pascal Izarn.
Quant à la restauration elle-même, elle a bénéficié du mécénat de la société Iselin Art Advisory Ldt par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles.
À VOIR
Le portfolio sur les pendules de Versailles réalisé par le photographe Nicolas Lascourrèges
À ÉCOUTER
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l’histoire secrète des pendules du Château
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