magazine du château de versailles

Printemps fécond

C’est dans les jardins de l’hôtel Ephrussi, à Paris, qu’un jeune conservateur de Versailles a retrouvé deux magnifiques groupes sculptés, commandés respectivement par Louis XIV et Louis XV. Après une histoire mouvementée, Zéphyr et Flore et L’Abondance viennent d’entrer dans les collections du château de Versailles.

Détail de L’Abondance dans l’exposition organisée au château de Versailles. © Didier Saulnier / EPV

Une exposition est actuellement consacrée à ces deux chefs-d’œuvre du XVIIIe siècle, pour la première fois présentés au public avant qu’ils ne prennent place à Trianon. L’Abondance sera installée dans le Pavillon frais du Petit Trianon, Zéphyr et Flore à l’intérieur du Grand Trianon, non loin de ces « salles vertes » – petits bosquets autrefois peuplés de sculptures – auxquelles le groupe sculpté était destiné.

Zéphyr et Flore pour le Trianon de marbre
C’est, en effet, pour les jardins du Trianon de marbre qu’avait été commandé, en 1713, Zéphyr et Flore, l’un des derniers chefs-d’œuvre de sculpture du temps de Louis XIV. Commencé par Philippe Bertrand et René Frémin, puis achevé par Jacques Bousseau, le groupe composé de trois figures consacre cette inflexion vers les thèmes galants et légers qui, au crépuscule du Roi-Soleil, annoncent l’art du règne suivant. L’iconographie de Zéphyr et Flore emprunte tant aux Fastes d’Ovide qu’aux livrets d’opéra, et s’inscrit dans cette thématique florale et amoureuse propre au Grand Trianon. Plusieurs peintures représentant le dieu du Vent de l’ouest et la nymphe du Printemps illustrent la fortune de ce sujet dans la résidence privée de Louis XIV. Il est évident que la grande toile que Louis de Boullogne exécuta en 1701 pour la galerie de Fontainebleau, et dont la composition fut notamment reprise par les liciers des Gobelins, a très fortement inspiré ce groupe sculpté dont le retour à Versailles concrétise, en quelque sorte, l’un des derniers rêves de Louis XIV. Le roi, en effet, n’en aura vu exposée dans ses jardins que la version en plâtre préparatoire : l’œuvre définitive en marbre ne fut achevée qu’en 1726 et remisée immédiatement dans les magasins royaux.

Vue de l’exposition organisée au château de Versailles qui montre, notamment, le succès du thème de Zéphyr et Flore au temps de Louis XIV, avec le tableau peint en 1699 par Antoine Coypel et déposé par le musée du Louvre au musée du Domaine royal de Marly. © Didier Saulnier / EPV

L’Abondance pour le château de Choisy
Trente ans plus tard, L’Abondance subira le même sort. Il s’agit également d’une œuvre majeure, exécutée entre 1753 et 1758 par Lambert Sigisbert Adam, puis achevée par ses neveux, pour la résidence de Choisy que Louis XV avait entrepris d’agrandir tout en embellissant ses jardins. Des nombreuses commandes passées alors aux meilleurs artistes, rares ont été les sculptures à avoir été installées finalement à Choisy. L’Abondance devait prendre place dans un «bosquet de la Paix », imaginé par Charles Antoine Coypel, premier peintre du roi, pour célébrer le second traité d’Aix-la-Chapelle (1748) qui mit fin à la guerre de Succession d’Autriche. Cette allégorie de la prospérité retrouvée sous les auspices du roi pacificateur est la seule des cinq sculptures en marbre commandées pour ce bosquet à avoir été achevée.

Vue du château de Ménars, par Alexis-Nicolas Pérignon, 1761-1763. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais / © Thierry Le Mage

Quand les destins se rejoignent
Zéphyr et Flore et L’Abondance se retrouvèrent ensemble dans les jardins du château de Menars, près de Blois, dont le marquis de Marigny hérita de sa sœur, la marquise de Pompadour, à son décès en 1764. Proche lui aussi de Louis XV, dont il fut directeur des Bâtiments de 1751 à 1773, celui-ci bénéficia de ses largesses. C’est ainsi qu’il se vit offrir plusieurs sculptures conservées dans les magasins royaux : Zéphyr et Flore en 1769, L’Abondance en 1773, mais aussi Vénus Médicis par Jean-Jacques Clérion (exécutée pour l’appartement des Bains de Louis XIV à Versailles), Atlas et Phaétuse de Jean-Baptiste Théodon (sculptures conservées à Versailles) ou encore L’Aurore, commencée par Jean-Joseph Vinache en 1746 et achevée par François Gillet en 1758. Cette dernière, conservée aujourd’hui dans une collection particulière, avait été destinée à être le pendant d’Iris, messagère des dieux, par Clodion.

« Zéphyr et Flore et L’Abondance se retrouvèrent ensemble dans les jardins du château de Menars, près de Blois, dont le marquis de Marigny hérita de sa sœur, la marquise de Pompadour, à son décès en 1764.»

Le marquis de Marigny se montra particulièrement soucieux de son domaine qu’il n’eut de cesse d’améliorer. En témoignent les quelque deux cents cartes, plans et élévations qu’il fit exécuter pour ses projets. Ces documents, conservés dans les Archives départementales de Loir-et-Cher, montrent la variété des jardins. Parterres à la française, jardin anglais, désert propice à une méditation préromantique, étaient peuplés de diverses fabriques imaginées par les plus grands architectes de l’époque et témoignant des goûts contradictoires qui régnaient alors : le strict goût à la grecque, dit néo-classique, et l’exubérance exotique du goût chinois. Parmi ces fabriques, figurait la rotonde de l’Orangerie, magnifique exemple d’architecture néo-classique dû à Soufflot, où fut un temps placée L’Abondance, tandis qu’un belvédère dominant la Loire abritait Zéphyr et Flore, dressé sur un haut socle, ainsi que le montre un dessin.

Dessins sur les jardins du château de Ménars dans l’exposition. © Didier Saulnier / EPV

Dans les collections de la famille Rothschild
Cet ensemble prestigieux de sculptures fut dispersé en 1881, lors d’une vente au cours de laquelle les frères Alphonse et Edmond de Rothschild se portèrent chacun acquéreurs des plus belles œuvres. Ainsi, Zéphyr et Flore et L’Abondance intégrèrent les collections qu’Alphonse, amateur passionné, entre autres, par l’art français du XVIIIe siècle, rassembla dans son mythique hôtel parisien de la rue de Saint-Florentin.
Puis vinrent les affres de l’Occupation durant laquelle tous les biens des Rothschild furent spoliés. Les deux sculptures sont alors destinées à Hermann Göring, puissant dirigeant du IIIe Reich, féru d’art français. Elles sont signalées au Jeu de Paume, à Paris, par Rose Valland1, mais, vraisemblablement en raison de leur poids, ne partirent pas en Allemagne. Restitués après la guerre, Zéphyr et Flore et L’Abondance furent placés dans le jardin de l’hôtel Ephrussi-Rothschild qui devint, en 1979, le siège de l’ambassade de l’Angola en France.

Lionel Arsac,
conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
et commissaire de l’exposition Chefs-d’œuvre retrouvés

1 Conservatrice de musée qui, durant l’Occupation, veilla discrètement sur les œuvres d’art spoliées par les Allemands et rassemblées au Jeu de Paume avant d’être transférées.

L’entrée de ces deux chefs-d’œuvre dans les collections du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon a été rendue possible grâce au don exceptionnel de la République d’Angola.


Détail de Zéphyr, dieu du Vent de l’ouest. © EPV / Christophe Fouin

Emporté par Zéphyr

C’est la mention de Zéphyr et Flore dans un ouvrage de référence publié en 1975, French Sculptors of the 17th and 18th Centuries : The Reign of Louis XIV, qui a attiré l’attention de Lionel Arsac : où donc était passé ce groupe sculpté, introuvable dans les collections du Château ? Fort heureusement, un catalogue de vente annoté conservé au centre de documentation donnait le nom de l’acquéreur de la sculpture, bien connu des musées français : celui d’Alphonse de Rothschild. Le conservateur se lança alors sur les traces de l’illustre famille, reconstituant son arbre généalogique et visitant, dans la mesure du possible, les différentes propriétés jalonnant son histoire. En poussant la porte de l’hôtel Ephrussi, Lionel Arsac était loin de se douter de ce qu’il allait trouver : non seulement Zéphyr et Flore, mais aussi L’Abondance, œuvre plus éloignée du contexte versaillais, mais tout aussi précieuse ! Considérant leur importance historique pour le patrimoine français, la République d’Angola a consenti à faire don de ces deux sculptures à la France pour le compte du château de Versailles.


Détail d’un pied de L’Abondance. © EPV / Christophe Fouin

Doigts et orteils

Présentées en extérieur à plusieurs reprises lors de leur longue histoire, ces œuvres en marbre blanc à grains fins de type Carrare ont été confiées à l’atelier de restauration des sculptures du Château. À une date inconnue, Zéphyr et Flore avait été déplacé dans le jardin de l’ambassade, occasionnant quelques dégâts. Plusieurs doigts furent brisés, puis maladroitement restitués. Grâce à une photographie datant de 1975, de nouveaux doigts ont pu être exécutés : ils ont été modelés avant de faire l’objet d’un tirage en pierre reconstituée qui a été collé à la résine acrylique. Réversible, cette opération a permis de retrouver toute la grâce des gestes des statues. Quant à lui disparu, le bouquet de fleurs dont Zéphyr ceignait Flore n’a pas été restitué, car cette opération laissait trop de place à l’interprétation.
De même, L’Abondance avait fait l’objet de quelques restitutions qui, insatisfaisantes, ont été retirées, puis refaites selon le procédé évoqué. À partir de la dernière photographie connue, celle de la vente de 1881, ont pu être notamment restitués les orteils des pieds de la déesse. Quant aux répliques qui seront installées dans le jardin de l’ambassade d’Angola, elles ont été exécutées, grâce au soutien de la Fondation TotalEnergies, par l’atelier de moulage de la Réunion des musées nationaux, bien connu à Versailles par la campagne de mise à l’abri des sculptures du parc.


À VOIR

Exposition
Chefs-d’œuvre retrouvés
Jusqu’au 5 juin 2022

Appartement de la Dauphine

Scénographie : Agences Scénografiá, Graphica et Ponctuelle

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9h à 18h30 (dernière admission à 18h).

Billets : accessible avec un billet Passeport ou un billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

La réservation est obligatoire pour accéder au château.


AUTOUR DE L’EXPOSITION

Retrouvez la vidéo qui raconte l’histoire incroyable de Zéphyr et Flore et L’Abondance sur la chaîne
YouTube du château de Versailles :

Parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application mobile onelink.to/chateau

Visite en famille « Voyage poétique à Versailles »


À LIRE

Le catalogue de l’exposition, sous la direction de Lionel Arsac
Coéditions château de Versailles / éd. Snoeck, mars 2022, 280 p., 24 × 28 cm
Prix : 35 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

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