magazine du château de versailles

Grandir aux larmes

La grande exposition de l’automne, qui se tient actuellement jusqu’au 19 février, explore la personne de Louis XV (1710-1774) à l’occasion du tricentenaire de son sacre. À travers près de quatre cents œuvres, ce n’est pas le monarque, gouvernant et chef des armées, mais l’homme et ses passions que l’on tente de cerner. L’examen de son enfance, si triste, est un préalable à ce vaste panorama où les arts tiennent une place de choix.

Détail de l’un des vases représentant les Quatre Eléments, par Johann Joachim Kändler et Johann Friedrich Eberlein (Manufacture de Meissen), 1742 : ici, la terre, incarnée par Diane. Dresde, Porzellansammlung, Staatliche Kunstsammlungen. © Adrian Sauer

Quels souvenirs Louis XV peut-il bien garder de sa petite enfance ? Une succession d’images lugubres. Il faut imaginer une suite continuelle de lamentations et de cortèges funèbres, les appartements et les carrosses entièrement drapés de noir, les chapelles ardentes installées à la hâte, les cierges autour des cercueils qui se succèdent, les marches nocturnes au son du De profundis, le tableau de ses parents conduits côte à côte à la nécropole royale de Saint-Denis… De 1711 à 1712, la mort fauche sans retenue dans la famille royale. Une épidémie foudroyante décime les trois héritiers de Louis XIV en ligne directe : son fils, Monseigneur, dit le Grand Dauphin (1711), son petit-fils, le duc de Bourgogne, père de Louis XV, suivi de son épouse six jours plus tard (1712), ainsi que son arrière-petit-fils, le duc de Bretagne (1712), frère aîné de Louis XV. Tous balayés en moins de deux ans. La succession, pourtant, paraissait assurée : jamais, dans l’histoire, un souverain n’avait eu devant lui trois générations d’héritiers présomptifs. La cour de Versailles, jadis brillante, est écrasée de deuils et plongée dans la désolation.

Représentation de l’endroit où a été déposé le corps de Louis Quatorze, roy de France, dans l’église de Saint-Denis le 9 septembre 1715 [détail], par Arnoult Maillot, 1715. © Paris, bibliothèque nationale de France (BnF) / Département estampes et photographies.

Un survivant à protéger
La mort place alors la couronne sur la tête du petit duc d’Anjou, futur Louis XV, âgé de deux ans. Mais ce dernier tombe malade à son tour. Les marques de la rougeole pourprée commencent à apparaître sur son visage et la panique est à son comble. Alors que les médecins s’apprêtent à lui délivrer leurs remèdes funestes – ils venaient d’achever son frère aîné à coups de saignées et d’émétiques – la duchesse de Ventadour, gouvernante des Enfants de France, leur interdit absolument d’approcher le cadet et s’enferme avec lui, lui sauvant la vie. Peu de temps après, l’enfant assiste à la lente agonie de Louis XIV auquel il était très attaché : « Aussitôt qu’il a expiré, raconte le marquis de Dangeau, le duc d’Orléans est allé avec tous les princes du sang saluer le jeune roi, et dès que cet enfant a entendu le traiter de Sire et de Majesté, il a fondu en larmes et en sanglots, sans qu’on lui eût dit que le roi fût mort1. »
Tous les yeux se fixent alors sur la santé du jeune roi que l’on estime à tort fragile. « On ne pensa longtemps qu’à le faire vivre2 », témoigne la duchesse de Brancas. Chaque jour, les mémorialistes consignent comme un grand événement, et avec force détails, la moindre douleur à la cuisse, les maux de tête, sueurs ou vomissements suspects. Il tousse et le royaume entier arrête de respirer, il a de la fièvre et le Parlement ordonne aussitôt de découvrir la châsse de sainte Geneviève et de commencer à prier… Pendant des années, Louis XV est ainsi considéré comme un mort en sursis, à peine adulte et déjà cent fois ressuscité.

Madame de Ventadour avec le roi Louis XIV et ses héritiers [détail], attribué à Nicolas de Largillière et son atelier, vers 1715.
© London, UK, Wallace Collection / Bridge

« Maman Ventadour »
En réalité, ces affections passagères, et bien ordinaires pour un enfant de son âge, étaient dues le plus souvent au percement d’une dent de lait ou à une simple indigestion. Madame de Ventadour veille néanmoins sur lui comme sur un trésor et ne peut se résoudre à le quitter un instant. « Mon petit Maître est à merveille, il est même engraissé depuis son accès de fièvre, mais il n’en fait pas moins de peur pour être aussi précieux qu’il est3 », écrit-elle à Madame de Maintenon qui exerce un contrôle attentif sur le développement du dauphin.

« Madame de Ventadour veille néanmoins sur lui comme sur un trésor et ne peut se résoudre à le quitter un instant. »

N’ayant jamais connu la chaleur de l’amour maternel, entouré de personnes beaucoup plus âgées que lui, sans frères ni cousins avec qui jouer, la présence affectueuse et sécurisante de sa gouvernante, qu’il appelle « Maman Ventadour », est le seul réconfort de l’enfant. Louis XV lui vouera, tout au long de sa vie, un amour aussi profond qu’inaltérable.

Un caractère féroce ?
Le jeune roi garde des morsures de son enfance un rapport ambigu à la souffrance et à la mort. Ainsi il lui arrive d’avoir des accès de dureté étonnants pour son âge, comme en témoigne cette scène racontée par Edmond-Jean-François Barbier, en 1722 : « On commence à craindre que le caractère du roi ne soit mauvais et féroce. Il a, par-devers lui, l’air très sérieux et morose, mais il lui est arrivé une vilaine aventure il y a trois semaines. Il avait une biche blanche qu’il avait nourrie et élevée, laquelle ne mangeait que dans sa main, et qui aimait fort le roi. Il l’a fait mener à la Muette, et il a dit qu’il voulait tuer sa biche. Il l’a fait éloigner, il l’a tirée et l’a blessée. La biche est accourue sur le roi et l’a caressé, il l’a fait remettre au loin et l’a tirée une seconde fois et tuée. On a trouvé cela bien dur4. » Barbier, qui n’était pas témoin, exagère sans doute. Le marquis de Calvière raconte la même scène, évoquant toutefois non pas un animal apprivoisé, mais « une petite daine fort jolie » qui les suivait gentiment, et si Louis XV a bien tiré plusieurs coups devant ses oreilles, néanmoins il ne l’a pas tuée5. Quelles qu’en soient les circonstances exactes, l’attitude du jeune roi frappe au point d’être racontée.

Détail de l’un des vases représentant les Quatre Eléments, par Johann Joachim Kändler et Johann Friedrich Eberlein (Manufacture de Meissen), 1742 : ici, la terre, incarnée par Diane. © Dresde, Porzellansammlung, Staatliche Kunstsammlungen. © Adrian Sauer

Cette enfance détermine les traits d’une personnalité complexe, silencieuse et saturnienne. Et lorsque la mort le frappe à nouveau, touchant, cette fois-ci, trois de ses enfants à l’âge adulte, la douleur qui le replonge dans les terreurs de son enfance lui « perce » et lui est presque, avouera-t-il dans une lettre à son petit-fils l’infant de Parme, insurmontable. Cette correspondance figure parmi les témoignages les plus intimes et les plus émouvants que nous possédons du souverain.

Hélène Delalex,
Conservatrice du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Journal du marquis de Dangeau, Paris, Firmin Didot Frères. 1854-1860, t. XVI, p. 136.
2 Mémoires de la duchesse de Brancas, Paris, Librairie des bibliophiles, 1890, p. 49.
3 Lettres de Madame de Maintenon, Glasgow, Libraires associés, 1756. lettre XIV datant du 3 septembre 1714.
4 E. Barbier, Chronique de la régence et du règne de Louis XV (1718-1763), Paris, Charpentier, 1857-1866, t. I, p. 212.
5 P. Mormiche, Le Petit Louis XV. Enfance d’un prince, genèse d’un roi (1704-1725), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, p. 260.

L’exposition Louis XV, passions d’un roi est organisée grâce au mécénat d’AXA et de Free – Groupe iliad. Son catalogue a bénéficié du soutien financier de la Société des Amis de Versailles.


À VOIR

Exposition Louis XV, passions d’un roi
jusqu’au 19 février 2023
Château de Versailles, salles d’Afrique et de Crimée

Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17h30 (dernière admission à 17 h).

Billets : Accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

Commissariat :
Yves Carlier, conservateur général du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Martin Michel

© Château de Versailles / Claire Le Meil

Autour de l’exposition

Visites guidées de l’exposition, ainsi que la visite guidée « Chez madame Du Barry, dame de Cour et de cœur » qui mène à son appartement, de nouveau rouvert au public.
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

Visites en famille : Plusieurs activités sont proposées

Un livret-jeu gratuit pour les 6-12 ans, disponible à l’entrée de l’exposition ou sur chateauversailles.fr

Un parcours audio, disponible dans l’audioguide du Château et sur l’application mobile onelink.to/chateau

Cycle d’activités proposé aux 18-30 ans et aux détenteurs du Pass Culture.

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes


À LIRE / À ÉCOUTER

Le catalogue de l’exposition, sous la direction d’Hélène Delalex et Yves Carlier. Château de Versailles / éd. In Fine, 2022, 24 × 30 cm, 496 p., 49 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

Une playlist « Louis XV » : Parcourez l’exposition en musique, au rythme du XVIIIe siècle, grâce à cette sélection musicale, disponible gratuitement sur la plateforme d’écoute Deezer.

L’interview de Julia Kristeva, « Louis XV sur un divan », qui se propose de psychanalyser le roi Bien Aimé;

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