La « brigade » de Versailles poursuit sa recherche expérimentale sur les décors de théâtre historiques. Cette fois-ci, à partir de six châssis anciens et de quelques frises d’une « place publique » conservés
dans les réserves du théâtre de la Reine.
« Nous nous sommes donné comme défi de compléter ce décor datant de Louis-Philippe, et malheureusement démembré vers 1880, en créant de nouveaux châssis ainsi qu’une toile de fond. Comme ces éléments peints sont indépendants les uns des autres, nous n’avions rien à perdre, mais tout à gagner ! », raconte Raphaël Masson, le conservateur chargé au château de Versailles de tout ce qui a trait aux collections des théâtres. Le résultat est spectaculaire. Dans une harmonie d’ocres et de bleus, cette place publique pavée décline un ensemble de façades magnifiquement ordonnancées. Au fond, un ciel orageux accentue la blondeur de la pierre de taille dont chaque arête a été minutieusement traitée. C’est un émerveillement de se sentir tout à coup happée dans cet espace imaginaire où l’on se glisserait bien au détour d’une rue.
Des lieux de Versailles en guise de façades
Comment ces façades ont-elles été dessinées ? Elles n’ont pas été totalement inventées : « Nous n’avions aucune représentation ni aucune description des éléments disparus, que des dimensions. Il a fallu imaginer quelque chose de cohérent, dans l’esprit de ce qui subsistait. Nous nous sommes rappelés que notre décor de forêt comportait, au loin, un détail du parc, la porte Saint-Antoine, tel un clin-d’œil au château. Pour la toile de fond, nous sommes donc partis de cette idée en introduisant d’autres monuments de Versailles, notamment La cathédrale Saint-Louis de Mansart de Sagonne et son parvis ». En face, un arc de triomphe, discret hommage à Richard Mique qui l’érigea à Nancy, succède au portail des écuries de l’hôtel de Madame Du Barry tandis qu’au loin, se déploie la façade du théâtre Montansier. « Il nous fallait une autre verticale. Nous avons choisi le clocher de l’ancienne église Saint-Julien, depuis longtemps disparue dans le cœur du vieux Versailles, que l’on connaît grâce au tableau de Pierre Patel1 datant de 1668. » Raphaël n’a pas résisté à des références plus littéraires, comme cette évocation du Barbier de Séville, si prisé à la fin du XVIIIe siècle, qui a donné son joli bleu à la boutique (celle de Figaro) peinte au pied de l’église.
Les vertus du brou de noix
L’équipe des peintres décorateurs dirigée par Antoine Fontaine n’a négligé aucun détail, le fer forgé des garde-corps des fenêtres, le voilage à moitié déchiré ou les pots de fleurs contre les vitres, et le décor est transcendé par les effets d’ombre et de lumière qui s’étirent en ce début (ou fin) de journée… La toile de fond a été assemblée et cousue à la main, les châssis fabriqués par les machinistes du théâtre. Un mois et demi à quatre peintres, et de nombreux ajustements, ont été nécessaires pour obtenir une illusion parfaite.
« Cette expérience, nous obligeant à nous confronter concrètement à la réalisation de ce décor, nous a amené à retrouver les gestes des artistes d’autrefois. Elle a fait resurgir des techniques oubliées à travers l’observation attentive des témoins de l’époque », constate, une fois de plus, Raphaël. Ainsi, des traces de brou de noix les ont incités à y avoir recours pour repasser les dessins d’abord tracés au fusain, lequel disparaît vite sous les premiers coups de peinture. Le brou de noix, lui, remonte à la surface, permettant de suivre le trait en continu. Une découverte que l’on doit à l’obstination de Pasquale, membre de la brigade du théâtre et l’un des peintres qui ont fait renaître ce fabuleux décor.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
1. Vue du château et des jardins de Versailles, prise de l’avenue de Paris, 1668, par Pierre Patel.
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