magazine du château de versailles

Tour
de palettes

Lambris, moulures et ornementations en bois habillent de nombreuses parties du château de Versailles. Les restaurations de l’appartement du Dauphin, du cabinet de retraite de la Dauphine et, tout récemment, de l’appartement de madame Du Barry ont ravivé des couleurs que l’on affectionnait sous Louis XV.

Bichromie « rose layette » pour la salle des buffets. © EPV / Didier Saulnier.

Les teintes grises ou blanches combinées aux dorures dominent, au château, en faveur de la période de référence choisie : la fin de l’Ancien Régime. L’appartement de madame Du Barry fait figure d’exception, conservé dans son état de 1774, jugé le plus significatif1. Divisé en quatorze pièces sur une superficie de 350 m², il déploie un éventail de couleurs propre à un XVIIIe siècle gai et délicat.

Ton « vert émeraude » pour la salle à manger de l’appartement de madame Du Barry. © EPV / Didier Saulnier.

Différentes teintes pour l’appartement de madame
Du Barry
L’enfilade d’apparat offre les teintes gris-bleuté et or en usage pour ces espaces. Elle est accompagnée de pièces de services dans un ton de gris pour lequel on s’est inspiré de celui du supplément de bibliothèque de la Reine, de l’autre côté de la cour de Marbre. Ce gris est reconnaissable par son effet spalté2, issu de la traditionnelle peinture à la colle de peau. À la jonction de l’enfilade, se dévoile un autre ensemble de pièces, plus intimes, dont le charme et la richesse des couleurs témoignent d’un Versailles raffiné. Donnant sur la cour des Cerfs, la salle à manger et son vestibule, peints en vert sur fond blanc-gris, rejoignent la salle des buffets. Une bichromie rose layette sur un fond crème fait de celle-ci un exemple unique au château. Quant à la salle de bains, comme son pendant, le cabinet de chaise, elle est vêtue de bleu sur des lambris blancs polis appelés aussi « chipolin ».

Le « bleu de Prusse » pour la salle de bain de madame Du Barry. © EPV / Didier Saulnier.

Une gamme limitée de pigments
Durant le XVIIIe siècle français, les couleurs du peintre se concentrent autour d’une gamme limitée de pigments. Sur une palette, ces tons sont disposés selon une première rangée, du blanc de plomb jusqu’au noir d’ivoire, en passant par les ocres jaunes et rouges, puis les terres brunes. Une seconde rangée sert aux couleurs vives telles que le jaune de Naples, les rouges – celui de Venise, le cinabre et la garance – les verts de gris ou la terre verte et, pour finir, des bleus comme l’indigo, l’outremer, le smalt ou le bleu de Prusse. Aux alentours de 1700, le chimiste J. K. Dippel jette des réactifs dans sa cour, et y découvre plus tard une réaction d’un bleu très pur. Issue du hasard, cette altération chimique à base de potasse, de sang, d’alun et de sulfate de fer inaugure le bleu de Prusse. Ce pigment de synthèse vient rapidement remplacer l’outremer, issu du lapis-lazuli, devenu trop onéreux. Très apprécié des peintres pour son intensité et sa transparence, le bleu de Prusse a notamment été retrouvé sous des enduits modernes de la salle de bains, orientant, à l’aide de l’analyse scientifique, un nouvel objectif pour sa réfection.

La pièce des Buffets remeublée. ©EPV / Didier Saulnier.

« Rose Pompadour » et « rose Du Barry »
Dans le cadre de la restauration de l’appartement de madame Du Barry, de nombreux procédés ont été employés pour concorder au mieux avec les différentes techniques picturales utilisées pour les pièces colorées. Afin de réactualiser ces anciens savoir-faire, toutes les teintes ont été préparées à partir de pigments. Elles ont pu être délayées dans l’eau, puis associées à une détrempe3, comme c’est le cas pour obtenir les tons rose pâle et vert émeraude. Loin du célèbre « rose Pompadour », tirant vers le mauve, le « rose Du Barry » tient son charme à un ocre rouge de France, allant légèrement vers l’orangé. Quant au vert de la salle à manger, il correspond à un pigment froid et profond, à l’image d’un vert oxyde de chrome naturel. D’autres pigments, comme celui du bleu de Prusse, ont nécessité un broyage traditionnel à l’huile. Le grain est ainsi finement broyé à la main grâce à une molette en marbre. Cette méthode empirique est vitale pour garantir la qualité de la transparence, de la profondeur et de la puissance de valeur de la couleur.

Thibaud Lemarechal,
peintre en décor du patrimoine pour les Ateliers Gohard participant au chantier de restauration de l’appartement de madame Du Barry

1 Lire l’interview de F. Didier, « Esprits des lieux », sur la restauration de l’appartement de madame Du Barry dans Les Carnets de Versailles nº 20.
2 Effet en peinture qui consiste à tirer la matière pour lui donner un aspect strié.
3 Peinture à l’eau additionnée d’un agglutinant (aquarelle, gouache, peinture à la colle, etc.).

La restauration de l’appartement de madame Du Barry a bénéficié
du soutien du groupe AXA.

Article tiré des Carnets de Versailles n°21 (octobre 2022-mars 2023).


À SUIVRE

Tous les jours, en lien avec l’exposition Louis XV, passions d’un roi,
la visite « Chez madame Du Barry, dame de Cour et de cœur »

Renseignements sur le site Internet du château de Versailles


mot-clés

partagez

à lire également