Le château de Versailles conserve de rares témoignages de cette technique particulièrement raffinée et complexe à restituer.
Cité dès 1736 par Voltaire, mentionné par Jean-François Bastide dans La Petite Maison publiée en 1753, évoqué par le comte de Mirabeau deux années plus tard dans son Ami des hommes : la réputation du vernis Martin n’est plus à faire. Elle fut portée par ceux qui hissèrent cette technique à son excellence jusqu’à lui donner leur nom, les frères Martin.
Le « vernisseur du Roi »
N’étant pas parvenu à faire enregistrer au Parlement le titre de « vernisseur du Roi » que Louis XV lui avait octroyé en 1725 – titre qui devait lui assurer protection et faveurs – Guillaume Martin, l’aîné de la fratrie, n’en parvint pas moins à s’imposer sur les chantiers de la Cour. Dès 1738, il intervint dans les cabinets du Roi. Deux ans plus tard, il travaillait à la petite galerie des cabinets de la Reine. En 1748, il reçut l’ordre d’employer son talent au décor du cabinet intérieur de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe et, en 1755, son frère Étienne-Simon intervenait dans la pièce mitoyenne, la bibliothèque du Dauphin, témoignant de la permanence du goût pour ces boiseries raffinées et colorées.
Une technique exigeante, multipliant les couches de couleurs et de vernis
Bien que les documents d’archives confirment la réalisation de ces différents décors, force est de constater qu’aucun à Versailles ne nous est parvenu intact. Les modifications incessantes des appartements eurent raison de nombre d’entre eux et ceux du Dauphin et de la Dauphine sont des restitutions exécutées dans les années 1960-1980.
Précieux, ces mêmes documents permettent de comprendre en partie le procédé technique du vernis Martin appliqué aux lambris. Pour le cabinet de la Dauphine ainsi que le passage attenant, mille cent quatre-vingt-neuf journées d’ouvriers peintres furent nécessaires et quatre cent dix-sept pour les ponceurs. Quant à Martin, il se déplaça trente fois sur les lieux. Afin de s’approcher au plus près de l’effet de brillance et de profondeur d’un laque, la couleur dominante, désignée comme « vert d’eau », fut posée sur quinze couches de blanc, suivies de huit couches de blanc fin. Les inventaires après décès des Martin permettent d’en identifier, dans le stock des matériaux, la nature, majoritairement du blanc de céruse. Cinq couches de vert d’eau furent ensuite appliquées sur les principales moulures et les ornements sculptés furent rechampis de diverses couleurs, sans pour autant qu’elles soient précisées dans le mémoire, et enfin quinze couches de vernis fin achevèrent l’ouvrage. Le vernisseur Jean-Félix Watin, auteur d’un traité fameux, L’Art du peintre, doreur, vernisseur, souligne que la réputation des Martin s’était établie sur la qualité de leurs vernis blancs « faits au copal ». Paradoxalement, ce matériau n’est jamais mentionné dans les listes des matières premières de leurs ateliers alors qu’y sont citées diverses gommes telles que « carabé », « goutte », « sandaraque » et « lacque », voisinant avec des huiles d’œillet et de noix, de l’essence de térébenthine et de l’esprit de vin – ingrédients nécessaires à la réalisation du vernis et bien signalés par Wattin. Quelle qu’en soit sa composition – qui, d’un atelier à un autre, pouvait diverger – la qualité du vernis reposait aussi sur le ponçage minutieux dont faisait l’objet chaque couche, garant de l’effet porcelainé final.
Une restauration qui réinterroge les sources
Si ces deux décors peuvent témoigner aujourd’hui de cette mode pour le vernis Martin, il faut être conscient qu’ils résultent d’une restitution, certes basée sur les documents d’archives, sur un panneau qui avait été déposé et qui avait miraculeusement gardé sa teinte vert d’eau toutefois altérée par le temps, et sur quelques rares témoins conservés. La reprise dont ils viennent de faire l’objet a réinterrogé les différentes sources dont on dispose ainsi que les dernières analyses dont cette technique fit l’objet. Peut-on être sûr que l’effet actuellement obtenu reflète au plus juste la polychromie et la brillance de ces décors ? Les différentes nuances chromatiques proposées dans la bibliothèque relèvent aussi de l’interprétation et du talent des exécutants qui font intervenir leur sensibilité. C’est là précisément que repose toute la difficulté du travail, car, même quand les documents d’archives existent, ils ne disent pas tout.
Anne Forray-Carlier,
conservateur en chef du patrimoine, directrice adjointe du Musée des Arts Décoratifs
La restauration du cabinet de retraite de la Dauphine a été réalisée grâce au mécénat de compétence de l’atelier Gilles Dupuis.
Celle de la bibliothèque du Dauphin a été réalisée grâce au mécénat de la Société des Amis de Versailles, en partenariat avec la Fondation du patrimoine.
Article tiré des Carnets de Versailles n°21 (octobre 2022-mars 2023).
À VOIR
L’appartement du Dauphin, et l’ensemble des appartements du rez-de-chaussée du corps central du château (avec l’appartement de la Dauphine, celui des filles de Louis XV et celui du capitaine des Gardes, ainsi que la salle des Hoquetons), selon un nouveau parcours en visite libre.