Marie-Antoinette a été, sans nul doute, la reine de France la plus musicienne et mélomane. Patrick Barbier montre, dans un livre passionnant, son rôle décisif et son influence à long terme
dans l’histoire de la musique.
Dans le sillage des harpes et des pianoforte
Sans se soucier d’un « grand dessein » pour l’avenir, Marie-Antoinette ne semble pas se rendre compte de ce qu’elle entraîne derrière elle. Emblématique est son influence dans le domaine de la facture de harpes et de pianoforte. En pratiquant avec passion ces deux instruments, elle suggère sans le vouloir aux grands facteurs de son temps (notamment Cousineau, Naderman et Érard) des améliorations techniques qui seront lourdes de conséquences sur les modèles à venir. Pour lui plaire, on confectionne des prototypes de harpes sans cesse plus perfectionnés, tant dans le mécanisme, qui permet de hausser les cordes d’un demi-ton, que dans le pédalier et les panneaux amovibles, capables d’atténuer ou d’augmenter la puissance expressive de l’instrument. Tous les atouts de la future harpe à double mouvement, inventée en 1810 par Érard, sont déjà présents dans les modèles créés pour elle à la fin de l’Ancien Régime.
En faveur des musiciens en herbe
Elle prépare également les temps futurs en encourageant les talents de jeunes musiciens, repérés par elle ou par son entourage, qu’elle fait venir à la Cour, conseille, soutient de ses applaudissements et, parfois, d’une aide substantielle pour financer leur formation. Beaucoup seront ensuite des acteurs du monde musical. Pierre d’Alvimare, qui joue à l’âge de sept ans dans ses cabinets privés, deviendra le professeur de harpe de l’impératrice Joséphine et de sa fille, la reine Hortense. La pianiste Caroline Wuiet, qui voit ses études entièrement prises en charge par la reine après avoir joué devant elle à cinq ans, donnera son premier concert à onze ans, puis deviendra dramaturge.
Quand la reine applaudit
Marie-Antoinette soutient de tout son poids les compositeurs de son temps et promeut leurs œuvres, souvent en applaudissant lors de premières représentations, au succès incertain. Il était, en effet, interdit de le faire lors d’un spectacle, sauf si le roi ou la reine battaient des mains les premiers. Une véritable « arme » pour forcer un succès, puis le prolonger pendant des décennies, dont Marie-Antoinette va se servir avec habileté pour sauver Gluck des débuts difficiles d’Iphigénie en Aulide ou d’Armide, mais aussi Piccinni, Sacchini, Salieri, Viotti, Grétry, Dussek, et bien d’autres. Un Allemand, des Italiens, un Belge, un Tchèque… La reine ne les soutient pas parce qu’ils sont étrangers (elle encourage aussi les premières d’opéras français), mais parce qu’elle ressent le besoin de leur ouvrir le paysage musical après un siècle de création franco-française.
« [Marie-Antoinette] est en train de faire de Paris une scène internationale qui va attirer à elle des artistes de contrées très diverses, convaincus que c’est désormais là qu’il faut être. »
Ce cosmopolitisme satisfait sa boulimie d’entendre des œuvres et des styles nouveaux, mais a aussi des conséquences qu’elle n’imagine pas : elle est en train de faire de Paris une scène internationale qui va attirer à elle des artistes de contrées très diverses, convaincus que c’est désormais là qu’il faut être. Avec Cherubini, Vogl, Zingarelli ou Viotti qui arrivent sous le règne de Marie-Antoinette, le grand Paris musical du XIXe siècle, celui de Spontini, Paisiello, Chopin, Liszt, Rossini, Bellini ou Meyerbeer, est déjà lancé dans les années 1780.
Une grande école de chant et de déclamation
L’action de la reine est aussi déterminante dans la création de nouvelles institutions qu’elle défend auprès du roi, parfois durant des mois, voire des années d’efforts et de négociations. C’est le cas de l’École royale de chant et de déclamation, ouverte le 1er avril 1784, pour laquelle elle a pesé de tout son poids. Consciente des lacunes du chant français, mais aussi des besoins nouveaux que réclame le répertoire, elle crée ainsi une sorte de « Grande École » financée par la Couronne, afin que le coût des études et d’un séjour à Paris n’entrave pas les élèves. Certes, la Révolution française mettra un terme à cette institution aux relents d’Ancien Régime, mais elle ne fera qu’en reprendre l’idée et le fonctionnement en créant, dès 1795, le Conservatoire de musique de Paris.
À l’origine du Théâtre-Italien
Passionnée de chant italien depuis son enfance à Vienne, Marie-Antoinette est aussi l’un des artisans majeurs de la création du Théâtre de Monsieur, le 1er janvier 1789. Elle qui avait tant favorisé les saisons italiennes de l’Académie royale de musique de juin 1778 à mars 1780, ainsi que le séjour d’une troupe italienne pendant quatre mois à Versailles, avait l’ardent désir de promouvoir de façon pérenne le chant et le répertoire comique italiens à Paris. Les révolutionnaires auront raison de ce théâtre au vernis trop aristocratique. Ils mettront un terme à sa courte carrière en août 1792, mais lui aussi renaîtra de ses cendres avec Bonaparte, en 1801, pour devenir le prestigieux Théâtre- Italien de l’époque romantique, scène de réputation internationale qui couronnera les chefs-d’œuvre de Rossini, Bellini ou Donizetti jusqu’à sa disparition, en 1878. Sans doute inconsciente de ce qu’elle léguait à l’avenir, peu préoccupée de grands discours musicologiques sur la valeur d’une œuvre ou la nécessité d’une réforme de l’opéra, toujours impatiente de satisfaire son plaisir et ses passions, Marie-Antoinette a joué à plein son rôle de mélomane, de musicienne, de mécène et, oserait-on dire, de « primo-influenceuse ».
Patrick Barbier,
historien de la musique
Cet article a été publié dans Les Carnets de Versailles n°21 (octobre 2022 – mars 2023)
À LIRE
Patrick Barbier, Marie-Antoinette et la musique, Éditions Grasset, janvier 2022.
Cet ouvrage a reçu, l’année dernière, le prix château de Versailles du livre d’Histoire 2022. Ce prix concerne les ouvrages consacrés aux XVIIe et XVIIIe siècles ou à l’histoire du château de Versailles, quel que soit le cadre chronologique, pour soutenir le dynamisme de la production éditoriale en matière de recherche historique.