Quatre cents ans, quatre hommages au Château pour fêter cet anniversaire : celui d’un artiste plasticien, celui d’un chef d’orchestre, celui d’un architecte et celui d’un écrivain, tous liés,
d’une manière ou d’une autre, à ces lieux qui les fascinent.
Ici, Jean-Michel Othoniel.
Versailles a toujours été d’avant-garde, conviant les meilleurs artistes de leur temps à imprimer leur marque sur ses terres. Ainsi de Jean-Michel Othoniel, sur une proposition du paysagiste Louis Benech, avec ses perles de verre doré bondissant au-dessus de l’eau. Elles ont réenchanté un bosquet disparu, tout d’abord détruit par Louis XVI, puis décimé par la tempête de 1999 :
« Ce château a la particularité de ne pouvoir être appréhendé dans sa globalité. On en retient seulement des fragments, au fil des émotions qui nous étreignent en passant de pièce en pièce. Ce château est construit comme un grand théâtre, tout compte fait. Quant aux jardins, ils sont peut-être encore plus vivants, de par leur nature changeante.
Ce qu’on appelle le Petit Parc a été conçu sur la base d’une déambulation, décidée par Louis XIV lui-même qui la décrit dans sa Manière de montrer les jardins. À travers le projet du bosquet du Théâtre d’eau, j’ai appris à connaître ces lieux, ponctués de mondes cachés, selon une orchestration qui en fait une vraie partition musicale. Or, c’est justement la musique qui a provoqué le déclic pour mon œuvre : en résidence à Boston, j’ai découvert un livre extraordinaire, publié en 1701, décrivant les pas de danse que Louis XIV apprit à la Cour et diffusa dans toute l’Europe. J’ai vu, dans ces arabesques, un écho direct à mon travail autour du mouvement, de l’énergie, des courbes et des entrelacs infinis. J’allais faire danser à nouveau le roi dans ce bosquet !
Pour cet endroit tombé en déshérence, le château avait, en effet, décidé de créer un jardin contemporain. Louis Benech s’était adressé à moi avec l’idée, intimidante, de rejouer le duo Le Nôtre / Le Brun. J’ai mis du temps à trouver comment m’inscrire dans ce projet où le paysagiste offrait une vraie continuité avec l’œuvre de Le Nôtre.
Finalement, mes perles étaient tout à fait baroques, avec leurs irrégularités propres à chacune d’entre elles, désignées comme telles dans la joaillerie ! Et le verre, autrefois, tapissait les fonds des bassins de Versailles, sous forme de lamelles qui diffractaient la lumière.
Quand j’ai planté un premier pieu, pour un essai, dans ce bosquet, j’ai ressenti quelque chose de très puissant, de tellurique. Versailles a traversé les siècles et fêtera, un jour, ses mille ans ! Il a une force indestructible. L’art contemporain y a toute sa place. S’y sont sans cesse déployés des constructions éphémères, des bals costumés féeriques, des créations extravagantes. Ces espaces très cadrés permettent de vraies folies et ont galvanisé les artistes. C’est aussi un lieu de grandes rencontres dont on sort électrisés. La “ machine à rêves ” de Louis XIV fonctionne encore et toujours. Versailles est ainsi plus qu’un patrimoine, c’est une sorte de météorite qui a sa propre existence, hors du monde.
Le bosquet en est l’une des manifestations les plus explicites, jardin d’Éden à petite échelle où l’on peut reprendre pied avant d’affronter à nouveau la dureté de la vie. J’espère qu’il en est ainsi avec le Théâtre d’eau dont j’assume pleinement l’effusion de beauté visant l’émerveillement, crucial de nos jours, dans une démarche presque politique. En ce sens, j’aime aussi beaucoup le bosquet des Bains d’Apollon qui apparaît comme dans un songe. Il fait hommage à l’essence même de ce jardin, accompagnant la course du soleil. Plus tard dans la soirée, l’astre couchant fait scintiller mes perles comme des trésors. »
Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°22 (avril-septembre 2023).
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