Trouée de lumière dans un hiver maussade : après plus d’un an de restauration en atelier, Apollon et son cortège de créatures, ragaillardis et tout de plomb doré, ont retrouvé leur bassin
au cœur de la Grande Perspective.
Qui pourrait se targuer d’avoir un jour aperçu Apollon et ses chevaux en plein vol au-dessus du Grand Canal ? Une poignée de visiteurs a désormais ce privilège : les 15, 16 et 19 février dernier, les treize sculptures du groupe Apollon sur son Char, par Jean-Baptiste Tuby (1635-1700), ont repris place dans leur écrin par la voie des airs, transportées au bout d’une grue gigantesque, comme au moment de leur départ en atelier en décembre 2022. Un nouveau tour de force pour les équipes de la direction du patrimoine et des jardins, augmenté d’une épreuve d’adresse digne de figurer aux Jeux olympiques 2024, tout proches : imbriquer chaque figure à sa juste place dans la conduite hydraulique qui lui confère ses effets d’eaux. À titre d’exemple, Apollon sur son char – près de six tonnes et demie – correspond à la gerbe centrale du bassin qui doit pouvoir passer par l’étroit vase tenu par l’Amour à ses pieds. « Cela se joue au millimètre près ! », assure Julie Camus, conductrice d’opérations sur cette restauration d’envergure. « Seuls les corps des tritons abritent déjà un réseau de tuyaux de plomb à reconnecter sur place. » Tritons qui ont néanmoins présenté un autre défi : retrouver leurs emplacements précis aux quatre points cardinaux, dans le respect de leurs dispositions historiques.
De rouille et d’or
Ce n’est pas tant la prouesse technique de ce ballet aérien qui a ravi les visiteurs que le lustre recouvré des épidermes, la prestance des silhouettes, le dynamisme des figures, qu’une cure de jouvence a durablement restaurés. Les artisans des ateliers de la Fonderie de Coubertin se sont d’abord appliqués à décaper la peinture aux teintes de rouille qui habillait les figures de tristes oripeaux. Leur épiderme de plomb, mis à nu, livre l’historique fascinant de leurs dégradations et reprises successives depuis le XVIIe siècle. Taches, craquelures et bubons – bulles d’air disgracieuses emprisonnées dans le plomb – ont été traités pour limiter les altérations futures.
Les compagnons ont ensuite corrigé les défauts structurels causés par le manque d’armatures internes en renforçant le squelette des sculptures les plus affaissées. Ainsi, dauphins et tritons ont désormais un dos gainé mieux adapté à leur posture cambrée, tandis que les chevaux, équipés d’armatures neuves à l’encolure, ont recouvré leur impétuosité. Seul Apollon, doté d’une bonne assise dès sa création, a été exempté de ce redressement.
Ainsi pansé et préalablement enduit de plusieurs couches d’apprêt et de mixtion, le groupe a ensuite été doré à la feuille d’or. Mais attention à ne pas céder à la tentation de le faire briller de mille feux : « Historiquement, Apollon sur son char n’a jamais été doré à la feuille, mais bronzé, explique Julie Camus. En concertation avec Jacques Moulin, Architecte en Chef des Monuments Historiques, et la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), nous avons fait le choix d’une gélatine teintée apposée sur les ors, pour éteindre leur éclat, le temps qu’une patine naturelle se crée dessous. » Dans quelques mois, dissout par les eaux vives, le subterfuge laissera voir un Apollon sans artifice, fidèle à son histoire. Subtil rappel des principes de la restauration d’art : travailler avec le temps, en faire un allié plutôt qu’un adversaire.
Rétablir les jeux d’eau
Le relais est désormais passé aux fontainiers du service des eaux et fontaines du château qui travaillent au rétablissement des effets d’eau anciens. Ils vont s’attacher à retrouver la force et la forme des jets historiques : le faisceau en cloche jaillissant des conques, les éclaboussures sous les sabots des chevaux… Il leur faut d’abord renouveler les conduites en plomb, fragilisées au fil des ans par les Grandes Eaux, et assurer leur raccordement aux réseaux anciens. Forts d’un savoir-faire qui remonte aux Francine, les artisans usent de la technique de la soudure à la louche pour couler des joints neufs au sein des entrailles du bestiaire divin. C’est aussi un patient travail de recherche sur des ajutages créés sur mesure, réalisé en bonne intelligence avec l’ACMH. Les rapports d’études préliminaires sont truffés de croquis et d’esquisses pleins de poésie qui rendent compte de l’importance du moindre détail : ici, allonger la forme des buses afin d’amplifier la pression. Là, ajouter deux trous à un palet pour accentuer l’effet de pluie. Pas moins de trente ajutages sont ainsi à confectionner en vue des Grandes Eaux.
Avant tout, il s’agit de respecter les dispositions historiques et de travailler à partir de l’existant, en lui reconnaissant défauts et lacunes. Ne pas rechercher la perfection, mais le perfectionnement, sans jamais prendre le pas sur l’histoire des lieux. Et devant la beauté du bassin d’Apollon restauré, retrouver l’émerveillement originel, celui des visiteurs du premier Versailles, face à la cavalcade pleine de majesté, de fougue et d’écume des chevaux du dieu-soleil. En avant pour les Jeux olympiques !
Jeanne Mogis,
Chef de projet éditorial au château de Versailles
Le bassin d’Apollon a été restauré grâce au mécénat exclusif
du Groupe CMA CGM.