Les travaux dans l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf ont conduit au décrochage, pour la première fois depuis quarante ans,
de l’immense portrait de La Famille royale dans l’Olympe :
une occasion unique de découvrir de plus près les personnages,
grandeur nature, rassemblés autour de Louis XIV et de son frère,
Philippe d’Orléans, commanditaire de l’œuvre.
Comme les voûtes de la galerie des Glaces ou les bosquets des jardins, La Famille royale dans l’Olympe fait partie de ces œuvres que l’on ne peut trouver qu’au château de Versailles. Ses douze mètres carrés en font le plus grand portrait français du XVIIe siècle conservé à ce jour tandis que ses dix-huit modèles, appartenant tous à la dynastie des Bourbons, proclament magistralement l’ambition de son propos. Bien que le nom de son auteur, Jean Nocret (1615-1672), soit inconnu du grand public, et même de nombreux spécialistes, le tableau frappe les visiteurs par son caractère extrêmement spectaculaire : l’image créée, colorée, attrayante, parfois charmante, séduit l’œil et parvient à incarner, à elle seule, une partie de l’imaginaire versaillais.
Au chevet du plus grand portrait français du XVIIe siècle
Initiés en 2022, les travaux entrepris dans l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf ont offert l’occasion de confier cette vaste toile aux soins experts d’une équipe de dix restaurateurs. Une campagne de photographies scientifiques et techniques a également été menée, avec le soutien du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), tout comme de nouvelles investigations en histoire de l’art qui permettent aujourd’hui de mieux connaître, à la fois, le tableau et son auteur.
Les visiteurs qui reverront La Famille royale dans l’Olympe après son raccrochage, qui vient d’avoir lieu, seront sans doute frappés par la vivacité de ses couleurs, jusqu’alors obscurcies par un épais vernis. Ce dernier masquait la présence massive d’un pigment bleu extrêmement précieux, le lapis-lazuli, dont le peintre a fort habilement drapé la reine Marie-Thérèse ainsi qu’Anne d’Autriche et la fille de Philippe d’Orléans, Marie-Louise, alors âgée d’environ huit ans.
Rare témoignage du faste au château de Saint-Cloud
Le tableau, en effet, n’est pas une commande du souverain en personne, mais de son unique frère qui, éloigné du gouvernement, avait le loisir de mener une vie de plaisirs et de raffinement à la Cour comme à l’intérieur de ses propres demeures.
Jean Nocret entre à son service en 1652, alors que le prince n’a que douze ans, et y reste jusqu’à la fin de sa vie. Il s’agit, pour l’artiste, d’une troisième carrière après des années de formation en Lorraine et près d’une décennie passée en Italie, où il s’est imprégné de peinture romaine. Cette expérience lui est précieuse pour la création, voulue par Philippe et sa première épouse, Henriette d’Angleterre, de fastueux décors au château de Saint-Cloud, tous détruits à la fin du XVIIIe siècle à la demande de Marie-Antoinette.
Son autre grand chantier, les appartements de la reine Marie-Thérèse au palais des Tuileries, à Paris, connaîtra des heures glorieuses après la Révolution, lorsque s’y installeront Napoléon Ier puis l’impératrice Eugénie, mais disparaîtra dans l’incendie de la Commune, en 1871.
De l’œuvre de Nocret, artiste singulier au parcours si original, ne demeurent aujourd’hui que quelques toiles en souvenir, essentiellement des portraits conservés à Versailles, dont le plus flamboyant d’entre eux est sans conteste La Famille royale dans l’Olympe.
Prévu pour l’antichambre d’Henriette d’Angleterre à Saint-Cloud, le tableau doit avoir été commencé avant 1665, comme en témoignent une petite esquisse préparatoire, conservée dans une collection particulière, et un grand dessin, aujourd’hui au musée Fabre de Montpellier. En effet, la composition d’une telle œuvre, c’est-à-dire l’agencement des personnages les uns par rapport aux autres, ne s’improvise pas : la comparaison du dessin et du tableau définitif ainsi que les photographies techniques menées à l’occasion de la restauration ont permis de détecter plusieurs repentirs et variations, essentiellement autour des enfants du roi.
Nocret semble avoir dû s’adapter au rythme des naissances : alors que seul le dauphin, fils aîné du couple royal, figure aux côtés de sa mère sur la feuille du musée Fabre, sa petite sœur, Marie-Thérèse, dite la « Petite Madame », a été ajoutée sur la toile peinte. Quant à leur plus jeune frère, qui portait le titre de duc d’Anjou, il voit le jour en 1668, en plein travail du peintre : ce dernier modifie donc encore sa composition pour le représenter en Amour penché sur les genoux de sa mère, par-dessus la robe de cette dernière.
La Famille royale dans l’Olympe est presque une miraculée : les descendants de Philippe d’Orléans, bien qu’ils ne figurent pas sur le tableau, le conservent jusqu’à la vente du château de Saint-Cloud à Marie-Antoinette qui, à son tour, le garde après la destruction des autres décors de Nocret. Saisie à la Révolution, l’œuvre est transférée à Versailles où elle demeure en réserve jusqu’à son installation dans l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf, avant 1818. Elle échappe ainsi à l’incendie de Saint-Cloud pendant la guerre franco-prussienne, ainsi qu’aux mouvements trop fréquents, si dangereux pour des peintures de cette taille. Son décrochage et sa restauration viennent marquer une nouvelle étape dans l’histoire d’une œuvre devenue désormais totalement versaillaise.
Élodie Vaysse,
conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
La restauration de La Famille royale dans l’Olympe a été financée grâce au mécénat de la Société des Amis de Versailles avec le soutien de la Fondation du patrimoine.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°24 (octobre 2023-mars 2024).
À LIRE
Élodie Vaysse,
Jean Nocret, le peintre de Monsieur,
frère du roi,
coédition château de Versailles /éd. In Fine,
176 p., 19,5 x 25 cm, juin 2024, 29 €.