Fin d'après-midi
autour
d'une table de nuit

Les dons de la Société des Amis de Versailles ont permis d’acquérir plusieurs pièces de mobilier de la chambre à coucher du petit appartement de Marie-Antoinette, au rez-de-chaussée du château. Instants de grâce lors du retour d’une table de nuit à sa place d’origine.

Bertrand Rondot installant la deuxième table de nuit de la chambre à coucher de Marie-Antoinette. © EPV/ Thomas Garnier

« Alors, selon vous, dans quel sens la reine se couchait-elle ? La tête, du côté de la commode ou de la cheminée ? demande Bertrand Rondot, en balayant ses auditeurs du regard.
— Plutôt du côté de la cheminée », suggère timidement l’un des participants.
Ni une ni deux, le conservateur général se saisit précautionneusement de la table de nuit et la place près du lit de Marie-Antoinette, à l’endroit proposé.
« Et sa jumelle, alors, contre le mur ? Au centre de la pièce ? poursuit-il.
— Est-ce qu’elle pourrait être située de l’autre côté du lit, comme nous le faisons de nos jours ? lance une autre voix dans l’assistance.
— Ah, non, Monsieur, s’écrie Bertrand Rondot, faisant mine d’être choqué, il n’y avait pas de chambre conjugale à l’époque, sauf celle de la reine, dans les Grands Appartements, où venait la rejoindre le roi !
— Tout compte fait, elle vous embête, cette table… », plaisante une tierce personne dans l’assemblée, précisément formée d’une quarantaine des donateurs1 qui ont permis l’acquisition de cet objet insigne.

Les rires fusent, mais ce petit exercice charme tout le monde, groupé autour du conservateur chargé de cette acquisition venu, en compagnie de ses généreux mécènes, installer la table de nuit. En effet, il n’est pas toujours évident de déterminer les dispositions anciennes du mobilier dans le château qui, rappelons-le, a été entièrement vidé à la Révolution. « Les inventaires peuvent être très précis sur la liste des objets dans chaque pièce, mais jamais ils n’indiquent leur place exacte. Nous sommes donc amenés à la deviner, en nous fiant non seulement à notre bon sens, mais aussi à nos connaissances sur la vie et les usages au XVIIIe siècle, tout en devant préserver les couloirs de circulation des visiteurs », explique Bertrand Rondot.

Vue de la chambre à coucher du petit appartement de Marie-Antoinette, avec le mobilier de Georges Jacob. On peut remarquer la petite table de lit, posée sur la couche de la reine. © EPV / Christophe Fouin

 

Le conservateur est profondément heureux de cette récente acquisition qui vient renforcer l’authenticité de cet endroit extraordinaire : la chambre que se fit aménager Marie-Antoinette en 1783 au rez-de-chaussée du château, à proximité de ses enfants, prenant sur l’appartement de Madame Sophie, tout juste décédée.

Acquisitions en série

Dès 1977, et déjà grâce à la Société des Amis de Versailles, pouvait retourner dans la pièce le secrétaire à abattant, conçu par l’ébéniste Jean-Henri Riesener. En 1990, la table de toilette du même ensemble venait rejoindre les collections grâce au don de la Versailles Foundation2. La première table de nuit a été achetée en 2011 ; la seconde tout récemment, en 2023, grâce au financement des Amis, ainsi qu’une table de lit et un écran de cheminée, tous deux lors d’une vente aux enchères de meubles de Jacques Garcia.

L'écran de cheminée, signé Georges Jacob, acquis en 2023. Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

C’est précisément pour reconstituer cette chambre dans une exposition à Tokyo organisée par le château sur Marie-Antoinette, en 2016, que le décorateur avait prêté l’écran de cheminée : signé Georges Jacob, il est le point d’orgue parmi les fauteuils, chaises et tabourets qui vinrent renouveler, en 1788, le mobilier de la pièce.
Sculpté de palmettes, cet ensemble exceptionnel marque l’introduction d’un nouveau vocabulaire décoratif « à l’étrusque » illustrant une phase de l’engouement pour l’antique.

 

 

 

 

Une chambre à coucher presque complète

C’est donc une quête de longue haleine qui permet aujourd’hui de contempler les ameublements d’origine de cette chambre, commandés à partir de la fin de l’année 1783 pour Marie‑Antoinette.

La deuxième table de nuit qui vient d'être installée dans la chambre à coucher de Marie-Antoinette. Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Les deux tables de nuit font partie d’un tout premier lot. Le Journal du Garde-Meuble les décrit comme « deux tables de nuit de bois d’acajou de 34 pouces de haut ayant un tiroir et à deux tablettes de marbre blanc veiné, l’extérieur formant plusieurs compartiments et panneaux ornés de cadres, moulures, chapiteaux, sabots, portants et balustrades de bronze doré d’or moulu3 ».

Ces tables de chevet sont élégantes, mais sobres, voire simples, en comparaison avec certaines pièces somptueuses livrées à la reine à la même époque pour d’autres lieux, précise Bertrand Rondot. Elles donnent le ton pour la suite du mobilier que Riesener se voit commander, en mars 1784, sous la mention « meubles pour la chambre et le cabinet » : cet intitulé rappelle que la chambre de Marie-Antoinette jouxtait l’ancienne bibliothèque de Madame Sophie4, à l’emplacement de l’actuel vestibule de marbre. Or, la seconde table de nuit est munie de poignées et équipée d’un tiroir à plateau gainé de cuir pouvant servir d’écritoire. On peut donc supposer que celle-ci circulait peut-être… dans la pièce d’à côté ! Trêve de vagabonderie, le petit meuble a finalement trouvé sa place : l’un des Amis a proposé d’y associer un tabouret, à la hauteur de ce fameux plateau, pour pouvoir imaginer la reine, dans le silence de son intimité, absorbée dans ses pensées.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Plus de 130 membres de la Société des Amis de Versailles ont répondu à l’appel à contribution
lancé au printemps dernier.
2 Notamment grâce au soutien de madame Jayne Wrightsman.
3 Archives nationales, O1*3320 f°173.
4 La fameuse bibliothèque de stuc, détruite par la suite.

L'emplacement définitif de la table de nuit. © EPV/ Thomas Garnier

L’acquisition de la deuxième table de nuit a bénéficié du soutien de la Société des Amis de Versailles, tout comme celle de l’écran de cheminée et de la table de lit dont le financement a été possible grâce au legs de M. Elward Bresett.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°24 (octobre 2023-mars 2024).


À VISITER

Le petit appartement de Marie-Antoinette,
au rez-de-chaussée du château, dans le circuit de visite libre.


À REJOINDRE

La Société des Amis de Versailles
Informations : 01 30 83 75 48
contact@amisdeversailles.com

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