Cavalcade

À l’occasion des Jeux olympiques, le cheval est roi
grâce à une exposition déployée à travers le château de Versailles.
Autour de cet animal mythique se sont mobilisés
des musées du monde entier qui ont accordé des prêts exceptionnels.

Le Carrosse impérial devant la cathédrale Saint-Stephen, tiré par huit chevaux, par Johann Erdmann Gottlieb Prestel, 1851, Vienne, Kunsthistorisches Museum. © Vienne, KHM-Museumsverband

 Depuis de nombreuses années, l’idée d’une grande exposition sur le cheval fait l’objet de réflexions intenses au sein des institutions muséales, en France et à l’étranger. Pourquoi n’avait-elle pas encore abouti ? Peut-être parce qu’entre les mille façons d’aborder le sujet, le choix était trop difficile. Il faut parfois laisser les idées mûrir d’elles-mêmes, et aussi savoir entendre les signes annonciateurs du moment opportun.
À Versailles, la question se pose toujours des limites du champ des expositions temporaires, de leur pertinence en regard de la vocation première de l’institution, de l’angle de vue que celle-ci détermine : lien avec la vie de Cour et ses productions artistiques propres, histoire de France, grands axes de développement des collections. Dans tous ces domaines, le cheval caracole abondamment. Mais surtout, il symbolise une civilisation dont le château de Versailles est l’un des représentants les plus significatifs parmi les musées nationaux, offrant la perspective d’une exploration pluridisciplinaire où les œuvres les plus somptueuses aussi bien que les documents les plus étonnants seraient convoqués.

Parmi les nombreuses œuvres du château comportant des chevaux, celle, emblématique, de Bonaparte franchissant le mont Saint-Bernard, par David, en 1802. © EPV/ Thomas Garnier

Une exposition ancrée dans l’ADN du château

Le propos de l’exposition est donc enraciné dans la tradition des projets versaillais, s’appuyant sur les spécificités de la vie de Cour sans s’y limiter, mêlant art et histoire dans une perspective internationale et sur de larges périodes. Le sujet équin étant inépuisable, il fallait opérer sereinement des choix drastiques, privilégiant les thèmes neufs, nourris par une recherche inédite, renonçant à d’autres qui pouvaient sembler incontournables, mais avaient été déjà fréquemment évoqués à Versailles (la chasse) ou, au contraire, nous emmenaient trop loin (le cheval de labeur). Une fois franchi ce cap conceptuel, l’aventure intellectuelle engagée par la conservatrice Hélène Delalex depuis de longues années pouvait se concrétiser, largement partagée avec les spécialistes et institutions de référence en France et à l’étranger. La liste des prêteurs de l’exposition reflète cette collaboration et la réunion des œuvres ressemble à un défilé d’ambassades.

Les armures équestres présentées dans le salon d'Hercule. © EPV/ Thomas Garnier

Armures de tous horizons

Dans le salon d’Hercule, l’alignement spectaculaire de trois armures équestres complètes, qui sont parmi les plus importantes conservées en Europe, témoignent de la puissance des cours de France, de Saxe et de Savoie. Il est précédé d’un magnifique cheval nu appartenant au Royal Armouries de Londres. C’est l’un des mannequins de présentation pour armures réalisés par Grinlin Gibbons à la fin du XVIIe siècle, qui a quitté la tour de Londres pour participer à notre grand hommage à la noblesse du cheval. Ce chef-d’œuvre de sculpture réaliste, débordant de nervosité et d’élégance, rappelle l’être sensible qui, comme son cavalier, se cache sous l’effrayante cuirasse.
Les armures de parade, dont certaines ne sont autres que des cadeaux de Louis XIV, apparaissent dans une autre partie de l’exposition grâce aux extraordinaires collections des Livrustkammaren de Stockholm et de la Rüstkammer de Dresde. Chanfreins et éperons du Metropolitan Museum of Art de New York complétent cette évocation en rappelant la passion des élites américaines pour ces symboles chevaleresques, témoins du pouvoir et de la splendeur de la vieille Europe.

Dans le salon de la Guerre, chanfreins du Metropolitan Museum of Art de New York. © EPV / Christophe Fouin

La Suède, grande partenaire

Le Wagenburg de Vienne permet d’évoquer les spectaculaires figures exécutées par les chevaux des écuries impériales, avec la cabriole de Cerbero immortalisée par le pinceau de Johann Georg de Hamilton. Le musée du Prado a accepté de prêter le célébrissime portrait équestre du cardinal-infant Ferdinand d’Autriche par Rubens. Mais, dans cette géographie des partenaires du projet, il faut faire une place spéciale à la Suède puisqu’elle ouvre l’exposition et que le Nationalmuseum de Stockholm fait plusieurs autres apparitions au fil du parcours, jusqu’à fournir sa conclusion avec deux images très émouvantes.

Portrait équestre de Charles XI, roi de Suède, attribué à David Klöcker Ehrenstrahl, 1672, Stockholm, Nationalmuseum. Stockholm, Nationalmuseum / photo Hans Thorwid

La première section, vaste galerie de portraits des chevaux favoris des souverains européens, commence avec ceux de Charles XI de Suède, immortalisés par David Klöcker von Ehrenstrahl – l’un des pères de la peinture suédoise – dans des formats monumentaux. La dernière illustre la fin d’une civilisation où l’homme et le cheval partageaient entièrement leur destin : un tableau de Léon Fauret, conservé au musée Carnavalet, montre l’arrivée au Grand Palais, pour le premier Salon de l’automobile, des fringantes voitures traînées… par des chevaux ! De façon moins cocasse, deux prêts du Nationalmuseum de Stockholm évoquent la fin cruelle des fidèles coursiers de la Compagnie des omnibus de Paris, devenus inutiles et condamnés à l’abattoir.

Œuvres inattendues

Pour oublier cette note tragique, signalons quelques prêts particulièrement originaux. La participation du musée de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort et de grandes bibliothèques matérialise, dans une section très pittoresque, les réflexions poursuivies par Hélène Delalex sur l’anatomie du cheval et l’hippiatrie. Le déplacement des Quatre Éléments de Claude Deruet depuis le musée d’Orléans permet de se délecter de ces visions délirantes où l’ordre du monde se décline en fêtes équestres.

L’Air [détail], par Claude Deruet, 1600-1634, Orléans, musée des Beaux-Arts. © Orléans, musée des Beaux-Arts / © François Lauginie

On découvrira aussi des artistes oubliés comme l’Espagnol Ulpiano Checa, dont les tableaux fantasmagoriques ne manquent pas d’étonner les familiers du château de Versailles ; des œuvres rarement montrées comme les études de chevaux morts de Charles Le Brun conservées au musée du Louvre ; des révélations comme ces deux chevaux marins, figures de poupe d’un canot royal du début du XIXe siècle, prêtés par le musée de la Marine.

Le Crépuscule, par Ulpiano Checa, 1912, Madrid, musée Ulpiano Checa. © Madrid, Museo Ulpiano Checa. Colmenar de Oreja / © Tino Muñoz

Un tableau magistral et « deux petites feuilles de papier »

Et puis il y a les grands chefs-d’œuvre, comme ce tableau inconnu en France, l’hypnotique portrait équestre du jeune Léopold de Médicis par Sustermans. Il vient du château de Konopište, en République tchèque, pour être installé en gloire dans la galerie des Glaces : une véritable icône où l’on pénètre un peu le mystère de cet indissoluble attachement qui unit l’homme (ici, l’enfant) à sa plus noble conquête...

Dans la galerie des Glaces, le portrait équestre de Léopold de Médicis, par Justus Sustermans, vers 1624-1625, Prague, Zamek Konopisté. © EPV / Christophe Fouin

L’autre grand événement de cette exposition tient à deux petites feuilles de papier témoignant de la recherche, à la fin du XVe siècle, des parfaites proportions du cheval. Pour la première fois, se trouvent réunies les œuvres de deux génies qui incarnent l’idéal humaniste de la Haute Renaissance. Le dessin de Verrocchio est conservé au Metropolitan Museum of Art, celui de Léonard de Vinci à Windsor, parmi les joyaux de la Royal Collection. Chacune des institutions nous a assuré de son accord si nous obtenions celui de l’autre… Nous les remercions très chaleureusement, ainsi que tous les autres prêteurs qui ont manifesté le même enthousiasme, dans un élan sans doute favorisé par la mystérieuse puissance de séduction de cet animal qui n’a pas vraiment perdu sa place au tréfonds de notre civilisation.

Laurent Salomé,
directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

L’exposition Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation
est organisée grâce au mécénat exclusif du groupe CMA CGM.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°24 (avril - septembre 2024).


Chanfrein du dauphin, futur roi Henri II de France, attribué à Romain des Ursins, fin du XVe siècle,
redécoré en 1539 pour le dauphin, New York,
The Metropolitan Museum of Art. © New York, The Metropolitan Museum of Art

À VOIR

Exposition Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation
Du 2 juillet au 3 novembre, au château de Versailles

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets : accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.

Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

COMMISSARIAT

Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Loretta Gaïtis et Irène Charrat

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr
Visites en famille : plusieurs activités pour les familles seront proposées.
Un parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application mobile : onelink.to/chateau
Une visite virtuelle de l’exposition ainsi qu’un long format digital seront à découvrir sur chateauversailles.fr
Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes

Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans, disponible sur chateauversailles.fr et en distribution libre à l’entrée de l’exposition.

À SAVOIR

Une exposition est également organisée au musée national de la Renaissance au château d’Écouen (95) :
À cheval : le portrait équestre dans la France de la Renaissance,
du 16 octobre 2024 au 27 janvier 2025.

 

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