magazine du château de versailles

Homme de cheval

En 2011, l’Unesco inscrivait l’équitation de tradition française au patrimoine mondial immatériel de l’humanité. Rappelons, à l’occasion de l’exposition Cheval en majesté et des rencontres internationales organisées par le château, l’importance de la cour de Versailles
dans son élaboration. Une pratique qui visait l’harmonie parfaite entre l’homme et le cheval, avant qu’elle n’évolue sous d’autres influences
à partir du XIXe siècle.

« Airs relevés. La croupade et la balotade », in École de cavalerie, contenant la connoissance, l’instruction et la conservation du cheval, par François Robichon de la Guérinière, dessin de Charles Parrocel, 1733, Paris, imprimerie Jacques Collombat, conservé à la Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand relate avec dérision sa mésaventure lorsque, débutant tout juste présenté à Louis XVI, il participe à une chasse du roi. La jument qui lui a été prêtée s’emballe ; il ne parvient pas à la maîtriser et se distingue, écrit-il, par sa maladresse aux yeux du monarque et des courtisans. Il ne lui en faut pas plus pour fuir la Cour, pris d’un « dégoût invincible ». Chateaubriand ne s’y trompe pas, lui qui ne s’est jamais beaucoup soucié des chevaux malgré son goût furieux pour la chasse : la pratique équestre est essentielle à la Cour.

« Parfait chevaucheur en toute selle »

Si le cheval constitue sous l’Ancien Régime un fait civilisationnel pour l’ensemble de la société, l’aristocratie, et plus précisément la noblesse de Cour, a développé une forme propre de culture équestre. Celle-ci est modelée par l’usage militaire, la pratique de la chasse et l’importance du paraître. Déjà, au XVIe siècle, le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione enjoignait au noble d’être « parfait chevaucheur en toute selle ». À Versailles, les témoignages des mémorialistes rendent compte de la dimension prise par la pratique de l’équitation dans la société de Cour : elle est quasiment quotidienne et on éprouve pour elle un goût souvent immodéré.
Le roi de France partage naturellement ces valeurs, et s’est même institué en ordonnateur de cette culture équestre. Il organise, par exemple, les moments collectifs à cheval et en offre le cadre, dans l’enceinte de ses domaines. Les carrousels passent de mode à partir de la fin du XVIIe siècle, mais les chasses du roi représentent, jusqu’à la Révolution française, un moment essentiel pour faire valoir ses intérêts auprès du monarque, comme le traduit si bien l’expression « être au galop pour toute nourriture » sous la plume du duc de Croÿ.

Écuyers et chevaux des Écuries du roi

Les Écuries du roi constituent le foyer d’excellence de l’art de monter à cheval. En leur sein sont réunis les meilleurs écuyers de leur temps, qu’ils aient été choisis à l’extérieur ou qu’ils soient issus de l’École des pages. Ils sont chargés du dressage des chevaux, qui représentent la fine fleur des différentes races, ayant fait l’objet d’une sélection minutieuse dans leur pays d’origine. Les chevaux de manège sont ainsi principalement importés d’Espagne et d’Afrique du Nord, tandis que les chevaux pour la chasse, appelés les coureurs, proviennent avant tout d’Angleterre. À la Grande Écurie, que l’on désigne volontiers comme « le manège du roi », est aussi enseignée l’équitation aux pages des différentes maisons royales et aux Enfants de France.

L’art de monter à cheval selon les traités

Les traités d’équitation de l’époque permettent de saisir ce qui caractérisait alors l’art de monter à cheval. Plusieurs écuyers du roi en ont publié, depuis Antoine de Pluvinel, qui a enseigné l’équitation à Louis XIII, jusqu’à Charles Le Vaillant de Saint-Denis, écuyer à la Grande Écurie à la veille de la Révolution. Il ressort de leurs écrits que l’idéal vers lequel il faut tendre repose sur la maîtrise de deux principes : la technique, désignée par les termes de « justesse » ou « d’adresse », et la manière, caractérisée par « la grâce et l’aisance ». Ainsi un bon cavalier sera-t-il qualifié de « bon homme » et de « bel homme de cheval ».
L’adresse s’acquiert par un apprentissage débutant par une longue période de travail au trot sans étriers (jusqu’à cinq ou six mois sont préconisés) afin d’acquérir une bonne assiette. Les cavaliers les plus exercés, les « habiles écuyers », sauront parfaitement exécuter les airs de manège, qu’ils soient bas, comme le passage ou le piaffer, ou relevés, comme la courbette, la croupade ou la cabriole.
La recherche de la grâce tient une place prépondérante dans les traités. Cette notion est très fortement liée à la dimension du spectacle, intrinsèque à l’équitation de cour. Le cavalier doit être agréable à regarder, ce qui tient en premier lieu à sa posture, l’ensemble de la gestuelle devant signifier l’aisance et la liberté du mouvement. Les manières désordonnées, les gesticulations pourraient trahir une forme de difficulté. En ce sens, les actions du cavalier pour diriger son cheval, appelées les « aides », doivent être très peu apparentes.

« Airs relevés. La cabriole », in École de cavalerie, contenant la connoissance, l’instruction et la conservation du cheval, par François Robichon de la Guérinière, dessin de Charles Parrocel, 1733, Paris, imprimerie Jacques Collombat, conservé à la Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)

L’un des traités les plus significatifs sur l’équitation de tradition française est, sans doute, École de Cavalerie, publié en 1733 par François Robichon de La Guérinière. Ce célèbre écuyer n’avait certes pas de charge dans les écuries de Versailles, qu’il a malgré tout fréquentées, mais il était à la tête d’une académie parisienne puis du manège royal des Tuileries. Il affirme que : « La grâce est un si grand ornement pour un cavalier, et en même temps, un si grand acheminement à la science, que tous ceux qui veulent devenir homme de cheval doivent, avant toutes choses, employer le temps nécessaire pour acquérir cette qualité. »

Une aisance aristocratique

Cette dimension est partie intégrante de la culture aristocratique. Elle est commune à toutes les disciplines physiques, la danse, l’escrime, et même au maintien du corps dans son ensemble. Le courtisan doit avoir « bon air » ou encore « bonne mine ». Mais, particularité de l’équitation, cette recherche de perfection dépend de l’harmonie établie avec un autre, le cheval. Ainsi peut-on lire que « plus le cavalier se trouve à son aise, plus il opère moelleusement et plus il inspire de confiance à son cheval qui à son tour devient plus obéissant ». Les écuyers du roi prônent aussi la patience envers l’animal : « Les courtes leçons avec la douceur forment les chevaux, au lieu que les grandes leçons données durement les gâtent », constate Gaspard de Saunier.

Monsieur de Nestier, écuyer ordinaire de la grande Écurie du roi, par Jean Daullé, d’après Philibert-Benoît de La Rue, 1753, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles

C’est ainsi que le marquis de Dangeau apprécie, dans son Journal, les débuts de la duchesse de Bourgogne dans l’enceinte du parc de Versailles, en décembre 1700 : « Elle y est de très bonne grâce et elle n’est point embarrassée à mener son cheval. » À propos de Louis Cazeaux de Nestier, écuyer de Louis XV, le comte Dufort de Cheverny écrit : « J’ai admiré souvent la façon dont il courait et ramenait un cheval, sans aucun mouvement forcé ; vous auriez cru que l’homme et le cheval ne faisaient qu’un. » Il précise aussi qu’il « montait à la française, méprisant la manière anglaise », qui émergeait pourtant alors et allait fortement influencer l’équitation en extérieur, notamment.

Karine Mc Grath,
cheffe du service des archives du château de Versailles

Exercice de dressage dans le manège de l’Académie équestre, Grande Écurie du château de Versailles. © EPV / Thomas Garnier


À SUIVRE

Versailles et la culture équestre, d’hier à aujourd’hui

Rencontres internationales organisées par l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, grâce au soutien de McArthurGlen Paris-Giverny, en partenariat avec le Centre de recherche du château de Versailles, le Réseau des résidences royales européennes, l’Académie équestre de Versailles, l’ Institut français du cheval et de l’équitation et Campus Versailles.

Les 25, 26 et 27 septembre
Auditorium du château et manège de la Grande Écurie


À VOIR

Exposition Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation
Jusqu’au 3 novembre, au château de Versailles

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets : accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.

Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

COMMISSARIAT

Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Loretta Gaïtis et Irène Charrat

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne
Visites en famille : plusieurs activités pour les familles seront proposées.
Un parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application mobile : onelink.to/chateau
Une visite virtuelle de l’exposition ainsi qu’un long format digital

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » 

Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans, disponible sur chateauversailles.fr et en distribution libre à l’entrée de l’exposition.

À SAVOIR

Une exposition est également organisée au musée national de la Renaissance au château d’Écouen (95) :
À cheval : le portrait équestre dans la France de la Renaissance,
du 16 octobre 2024 au 27 janvier 2025.

 

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