Un numéro d’inventaire au Mobilier national et la découverte de toiles conservées dans les réserves du Grand Trianon ont permis d’identifier puis de restituer l’étonnant décor textile qui ornait l’appartement privé de Louis-Philippe.
Une « toile perse fond blanc à gros bouquets » ornée de passementerie de soie « deux verts et cerise » constituait le décor textile de l’appartement privé que Louis-Philippe se fit aménager au Grand Trianon, à partir de 1836. Donnant une cohérence à l’appartement, elle se retrouvait dans les pièces principales : boudoir, chambre-cabinet, salle de bains, mais aussi pièce servant de passage. On peut être surpris par cette toile fleurie, ainsi que par la belle doublure rose des rideaux, décorant l’appartement d’un homme, alors âgé de 63 ans. Ces tissus reflètent le goût du Roi tout autant qu’ils illustrent la mode de l’époque.
Un grand décor textile du milieu des années 1830
La « toile perse » désigne alors une cotonnade de grande qualité, imprimée de motifs de plusieurs couleurs, variation des indiennes, si appréciées en Europe depuis le XVIIe siècle. En France, après la levée de l’interdiction de production de ces toiles1, en 1759, l’engouement s’accrut. C’est dans ce contexte que la manufacture de M. Oberkampf, à Jouy, connut un immense succès, fournissant même Marie-Antoinette pour ses appartements à Versailles. Les toiles imprimées ne cessèrent de se réinventer, rivalisant constamment avec l’Angleterre, durant la Révolution et l’Empire. Le goût ne se démentit pas sous la Restauration lorsque les efforts de l’industrialisation naissante permirent à la région de Mulhouse – ville désormais appelée « le Manchester français » – de devenir, dès les années 1820, un des hauts lieux de leur fabrication. Se développèrent plusieurs dizaines de manufactures, dont la production est connue aujourd’hui grâce à des albums d’échantillons où la variété des motifs proposés est étourdissante, avec certains motifs géométriques d’une modernité inouïe. Le Musée des Arts Décoratifs de Paris et, surtout, le Musée de l’Impression sur Étoffes de Mulhouse conservent de précieux fonds, qui ont permis de mieux connaître les toiles de Louis-Philippe à Trianon. Ainsi, celle « à gros bouquets » est attribuée à la manufacture Schlumberger-Koechlin et Cie de Mulhouse, alors que la bordure, plus proche des indiennes, semble issue de la manufacture Japuis de Claye. Ces entreprises innovantes avaient toutes deux été récompensées par une médaille d’or lors de l’Exposition des produits de l’industrie de 1834.
Trois tons de « roses garancés »
La découverte, au Mobilier national et dans les réserves de Trianon, d’éléments de ces textiles d’origine de l’appartement de Louis-Philippe en a considérablement enrichi la restitution, entreprise en 2010 par Jérémie Benoît2, et poursuivie sous la responsabilité de Laurent Salomé. Rideaux, lés de tenture et passementeries ont révélé d’audacieux coloris, avec des associations surprenantes, mais aussi des techniques de tapissiers novatrices, comme les languettes de finition3. Grâce aux parties abritées de la lumière, les trois tons de « roses garancés », qui séduisaient tant à l’époque et constituaient des défis chimiques4, ont été retrouvés, tout comme la couleur « bois » – aussi appelée « cachou » –, ou les étonnants « bleu de Prusse » et jaune citron. Aussi singulière, la doublure en « guingan rose » des rideaux, ton visible en transparence, apporte une teinte chaude supplémentaire suivant la lumière du jour. Enfin, les passementeries conservées ont permis d’identifier le ton « cerise » – plus griotte que burlat – et un vert clair, acidulé, que l’on retrouve sur plusieurs meubles contemporains et qui fait partie de ces couleurs oubliées.
Restituer cette toile, recomposer les coloris d’origine, mais aussi les apposer – avec ces légers débords et tremblements qui font le charme des impressions à la planche – a constitué un défi pour la maison Edmond Petit, éditeur et créateur d’étoffes d’ameublement. Défi également relevé par la maison Declercq pour les passementeries. Afin de renseigner les visiteurs sur la démarche de restitution, la décision a été prise de présenter, dans l’appartement, quelques-uns de ces éléments textiles d’origine, témoignages fanés – mais émouvants – du goût du Roi.
Noémie Wansart,
collaboratrice scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
1. Mesure de protection des fabrications traditionnelles en France à base non pas de coton, mais de lin, de laine et de soie.
2. Ancien conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
3. Dispositif permettant de masquer la fixation des tentures.
4. Défis retracés par Persoz dans son célèbre traité de 1846
Des roses à table
Au moment même du réaménagement de cet appartement à l’automne dernier, étaient préemptées en vente publique 48 assiettes d’un service dont le Château possédait déjà une paire. Ce beau service à dessert était constitué pour l’usage personnel de Louis-Philippe à Trianon. Il fut commandé par le Roi, entre 1845 et 1847, à la manufacture de Sèvres, qui créa ce décor de cinq cartouches de fleurs entre des agrafes à palmettes dorées, autour d’un petit bouquet central bordé d’une rosace en or. Le Roi possédait des services semblables, avec son monogramme LP couronné, dans chaque maison royale, identifiable grâce au cachet apposé sur le revers des pièces. Selon qu’ils étaient destinés aux princes, aux bals, aux officiers et enfin aux communs, les ornements se faisaient de plus en plus discrets.
Vincent Bastien,
Docteur en Histoire de l’art
Bienvenue chez Louis-Philippe !
Grâce à la restitution et au réaménagement de l’appartement privé de Louis-Philippe, le Grand Trianon offre un reflet désormais plus complet d’une époque méconnue et tout à fait originale sur le plan du mobilier.
Dès 1834, Louis-Philippe décida d’y séjourner avec sa famille, moyennant quelques interventions de décor et la création d’un nouvel appartement à l’emplacement des anciennes cuisines. Le salon de famille, la chambre de l’Impératrice et celle de la reine des Belges, la Chapelle, construite sous la monarchie de Juillet, ainsi que l’appartement de Madame Adélaïde évoquent la vie quotidienne de la famille royale et son histoire.
L’appartement privé du Roi, mis à disposition des chefs d’État accueillis par le général de Gaulle et restitué en 2010 au château de Versailles par le ministère des Affaires étrangères, montre l’intimité et les habitudes de travail de Louis-Philippe. Le décor met en lumière son goût artistique, reflet de la mode des années 1830, mais aussi de l’anglomanie du Roi. Comme souvent, celui-ci réutilisa le mobilier Empire encore en place à Trianon – il travaillait sur le bureau du cabinet topographique de Napoléon –, tout en commandant au Garde-Meuble quelques pièces de mobilier au goût du jour, tel que le fauteuil confortable. Mais le meuble le plus singulier est assurément le « lit à coffre se déployant » : une banquette pouvant se transformer en couchette dont Louis-Philippe souhaitait disposer dans sa pièce de travail.
Sur les tableaux et gravures ornant les murs, il ne reste aucun témoignage. L’accrochage proposé a été conçu autour de deux thèmes qui étaient chers aux Orléans : les représentations de la famille et leurs résidences.
À SUIVRE
La visite guidée « Louis-Philippe en famille à Trianon ». Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr
À LIRE
Lionel Arsac, Valérie Bajou et Noémie Wansart, « L’appartement de Louis-Philippe au Grand Trianon, restitution d’un ameublement royal de la monarchie de Juillet », La Revue des Musées de France – Revue du Louvre, 2021-1, p. 47-58.
Noémie Wansart, « Les textiles des palais de Trianon sous la monarchie de Juillet », Versalia nº24, 2021, p. 217-236.